Pour une “virginité” numérique des enfants

Le 20 octobre 2010

Cédric Motte refuse systématiquement que des photos de ses enfants soient publiées sur Facebook et s'en explique.

Mes enfants sont (très) beaux, en bonne santé, et leurs yeux pétillent d’intelligence. Parfois, quand je vois les photos des autres copains sur Facebook ou ailleurs en ligne, vient l’envie de les “montrer” – afin d’attirer des commentaires qui sont autant de compliments, ne nous leurrons pas sur nos motivations de parents exhibitionnistes.

Pourtant je m’y refuse.

Pire, à chaque fois que des personnes passent à la maison et prennent des photos des enfants, je casse l’ambiance en leur précisant, sans négociation possible : “Ne mettez pas les photos sur le Net, et évidemment pas sur Facebook”.

Et à chaque fois, l’étonnement se mêle à l’incompréhension. “Ah bon ? Mais pourquoi ?” ; “Mais tu sais qu’on peut gérer les paramètres de confidentialité ?” ; “T’as peur de quoi ?”

Jusqu’ici, je n’ai jamais apporté de réponse claire et définitive : je refuse sans explication.

Les raisons énoncées ci-dessous tentent d’expliquer pourquoi. Certaines vont paraître recevables, d’autres complètement barrées. À vous de me dire si ce refus tient la route ou s’il s’agit d’une position anachronique…

Capture d'écran de la recherche "garçon enzo" sur Google Images

Vos amis sur Facebook ne sont pas les miens…

Une raison que j’estime suffisante. Autant vous avez toute ma confiance, autant je n’en ai aucune vis-à-vis de vos contacts.
“Les amis de mes amis sont mes amis” vaut pour plein de trucs (partager une bière, jouer à la pétanque, travailler, etc.) ; certainement pas pour ce qui est de la vie privée. Et tant que les enfants sont petits, je gère leur vie. Quand ils prendront leur indépendance sociale, ils feront ce qu’ils décident, après de (potentiellement vaines) tentatives d’éducation aux “social media” pendant les repas dominicaux.

… “oui mais toi, tu les contrôles tes amis non ?”

Tout à fait. Avec les règles de confidentialité de Facebook, cela ne devrait pas me poser de problème de poster des photos de mes enfants sur mon compte. Sauf que les règles valables aujourd’hui peuvent changer à tout moment. Pour vous la faire courte, je n’ai aucune confiance dans ce que fait Facebook.

“Et pourtant, tu décides pour eux de leur entrée (ou non) en religion…”

“Être baptisé à un an et faire sa communion à neuf ans parce que les parents le décident, c’est autrement plus impliquant que d’avoir des photos sur Facebook non ?”

C’est évidemment bien plus impliquant, mais cela reste dans la sphère privée. Précisément, dans la sphère intime. La religion est une construction de soi (ou une dé-construction, selon certains points de vue…). Elle n’engage que l’enfant et sa famille sur ce que cela signifie pour lui et pour elle. Les discussions ont lieu entre nous, sans aucune publicité.

Plus tard l’enfant, une fois en pleine conscience de ce qu’est la religion, décidera ou non d’afficher son appartenance à celle choisie par ses parents. Mieux, il peut décider d’en changer ou devenir athée. Il est “libre de se libérer” s’il le désire.
À l’inverse, la publication de photos en ligne accessibles “par n’importe qui” le fait entrer dans des sphères semi-publiques. Pire, ce qui se dit aujourd’hui sur lui – dans les commentaires par exemple – est rattaché au profil de la personne qui commente. Via les commentaires laissés par mes amis et qui apparaissent dans mon flux d’activités, j’ai accès à un paquet de photos de gens que je ne connais pas.

Et vous, comment avez-vous configuré la confidentialité de vos photos ?

Mon profil est entièrement public. Décision professionnelle, pour faciliter ma présence en ligne.
Du côté des amis moins impliqués dans le milieu d’Internet – voir totalement éloignés – les règles de confidentialité sont extrêmement disparates, mais bon nombre sont publics – ce qui est l’option par défaut. Vais-je devoir vous demander de changer vos paramètres pour une photo d’un enfant ?

“Et les photos dans le journal local, quand y a le cross des écoles ou le Père Noël ?”

Le journal local est… local. Certes, il est disponible en pdf sur le Net, mais dans le journal il n’est jamais indiqué les prénoms/noms des enfants. Et sur les photos, (sauf victoire au cross…), votre enfant est perdu au milieu d’autres enfants.

“Pourquoi pas un pseudo ?”

Une option serait de ne pas les nommer avec leur vraie identité. D’ailleurs, ils ont déjà un surnom dans la famille, surnom tout à fait adapté pour un pseudo. “Ben alors ?”

Connaissez-vous iPhoto ? Savez-vous quelle nouvelle fonctionnalité teste “Face”book en ce moment ? Avez-vous joué avec la dernière version de Picasa ? Partout, tout le temps : la reconnaissance faciale.
Tout ceci m’amène à l’argument le plus important à mes yeux : les enfants ont le droit à une “virginité numérique”. Pour cette génération, les traces laissées en ligne depuis leur enfance vont les suivre une bonne partie de leur vie.
Or ces traces sont autant d’informations pour leurs futures rencontres en tant qu’adolescent et adulte. Auront-ils envie, adolescent, que de gentils camarades se moquent d’eux parce qu’ils ont trouvé des photos d’eux bébé ? En train de souffler un gâteau ? En train de jouer de la guitare difficilement ?

La question que je me pose, tout de même, c’est la possibilité inverse : noyer le tout dans une sur-abondance d’informations. On n’est jamais aussi bien caché que dans la foule. Si je publie un nombre colossal de photos, de vidéos, d’instants avec eux, il y aura une telle “littérature” qu’on sera perdu.

Mais pour le moment, je reste attaché à leur droit de décider de leur présence en ligne. Et vous ?

Billet initialement publié sur Chouingmedia sous le titre Quelle présence en ligne/identité numérique pour les enfants ?

Images CC Flickr _FuRFuR_

À lire aussi Le Monde confond photos et photos d’identité d’André Gunthert et Mes amis sur Facebook n’ont pas (encore) toutes leurs dents, par Marie-André Weiss

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