Pourquoi je signe le Pacte pour les libertés numériques, par Sandrine Bélier (Europe Ecologie)

Le 4 mai 2009

«If you can run it, you can crack it». Ce slogan, Stéphane, jeune créateur d’entreprise spécialisée dans le développement de jeux vidéos me l’a rappelé, il y a quelques jours de cela, à l’occasion d’une discussion informelle sur Hadopi. «Un slogan de hacker», relevait-il, se qualifiant ainsi lui-même de «pirate». Mais l’activité de téléchargement illégal [...]

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«If you can run it, you can crack it». Ce slogan, Stéphane, jeune créateur d’entreprise spécialisée dans le développement de jeux vidéos me l’a rappelé, il y a quelques jours de cela, à l’occasion d’une discussion informelle sur Hadopi. «Un slogan de hacker», relevait-il, se qualifiant ainsi lui-même de «pirate». Mais l’activité de téléchargement illégal est pourtant susceptible de fragiliser son activité économique, à l’instar de celles et de ceux que le gouvernement nous dit tenter de protéger… Il me dit que non. Non, car pour Stéphane, comme pour de nombreux autres créateurs, la riposte graduée, la criminalisation des «pirates» est non seulement inefficace, car inapplicable techniquement, mais elle ne défend en rien la création…

Hadopi, pourtant, nous laisse entendre notre ministre française de la Culture, saura supprimer le piratage et donc sauvegarder les droits des auteurs. Mais les «vrais» pirates utilisent déjà depuis un certain temps des crypteurs SSL, qui leur permettent notamment de télécharger/échanger pour 5 euros par mois des fichiers en toute discrétion. On m’a expliqué que ces crypteurs seraient d’une rare efficacité et contrecarrent déjà le plus simplement du monde toute velléité de riposte… Alors, l’application de la loi Hadopi pourrait imposer aux Internautes le téléchargement de logiciels espions sur leur ordinateur au motif de leur protection contre toute erreur «judiciaire». Mais là encore, et au-delà de me poser quelques question en matière de libertés publiques et de respect de la vie privée, je m’interroge techniquement… «If you can run it, you can crack it»…

Une solution bien plus juste et manifestement plus efficace ne serait-elle pas de faire valoir la pertinence de la licence globale ou de mettre financièrement à contribution les FAI dont une très large partie de l’offre repose – justement – sur la diffusion de biens culturels immatériels? La solution est-elle trop évidente et trop raisonnable pour être tout simplement balayée d’un revers de la main ? Qu’est-ce qui peut bien expliquer ce rejet de la culture Internet? Qui est vraiment victime d’Internet ? Qu’on ne me fasse pas croire que ce sont les artistes et les auteurs, quand nous vivons une époque où justement et notamment sur le plan musical, de nouveaux artistes se sont fait connaître parce que leurs titres s’échangeaient sur la Toile avant que des majors ne profitent de leur succès. Alors qui Hadopi veut-elle vraiment protéger? Les auteurs et les citoyens dont les libertés publiques sont chaque jour qui passe un peu plus menacées, ou bien quelques lobbies?

La réflexion qui m’a conduite à m’opposer fermement à ce projet de loi à été nourrie notamment par la démarche de 700 artistes britanniques regroupés autour de la Featured Artist Coalition. Selon eux, le problème ne réside pas tant aujourd’hui dans l’activité de piraterie que dans l’absence de partage équitable des rentrées financières de la création entre artistes et intermédiaires. Ce constat n’est pas non plus étranger à l’industrie cinématographique… Novembre 2006, le réalisateur Ra’Up MacGee ne trouve pas de distributeur pour son film Autumn . Conséquence : il le met en ligne en exclusivité et gratuitement sur GoogleVideo. Le succès est au rendez-vous. Le DVD sort quelques mois après et les intermédiaires traditionnels écartés des recettes des ventes … 21 mars dernier : le troisième film du scénariste et réalisateur Rick Winters, Blank , sort cette fois directement en DVD, mais aussi sur les réseaux P2P, où il est mis gratuitement à la disposition des Internautes. Le parti pris de l’équipe du film: «travailler exclusivement contre un pourcentage des profits réalisés» en vente directe. Résultat : Grands gagnants de l’opération: les créateurs – Grands perdants, les intermédiaires. Dans le cas de Stéphane, si celui-ci s’autoproduisait, vendait en direct via une plateforme de téléchargement de type Steam, ses gains seraient dix fois supérieurs à ce que le système actuel lui permet de toucher. Le tout, en divisant son prix de vente par près de quatre… Concrètement, un jeu vendu 15 euros lui rapporterait 10 euros en droits d’auteurs, contre 1 euros aujourd’hui, au prix de 40 euros!

Tous, nous avons un jour ou l’autre échangé des fichiers numériques (je dis échanger pas pirater!). Plus jeunes (en tout cas pour moi), j’avoue mon délit : j’ai copié des chansons qui passaient à la radio avec mon enregistreur cassette…. Pas vous ? Au regard de Hadopi, je suis, nous sommes tous des pirates. Des délinquants. Va-t-on sauver la culture et les auteurs en supprimant l’accès Internet à tous les délinquants que nous sommes? Bien évidemment non, à moins de croire ou de laisser croire que les ennemis de la culture et de la création sont ceux qui la diffusent et la font vivre.

Signer le Pacte pour les libertés numériques c’est notamment refuser la simplification du débat et refuser d’opposer les auteurs à leur public.

Signer le Pacte pour les libertés numériques, c’est obliger nos responsables politiques à faire l’effort d’un peu d’imagination et surtout, pour une fois, à être un peu artistes politiquement, et pour une fois, à être créateurs de propositions qui constituent de véritables solutions.

En tout état de cause, que notre ministre soit rassurée, pour le moment, il n’y a aucun risque qu’elle se voit pirater ses idées !

Sandrine Bélier, tête de liste Europe Ecologie Région Est

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