La taxe carbone victime de la démagogie fiscale

Le 1 octobre 2009

L’injustice n’est pas la fiscalité environnementale, l’injustice serait de ne rien faire. Jusqu’à ce week-end, je ne voyais pas l’intérêt de m’immiscer dans le débat sur la taxe carbone tant il a coulé d’encre sur le sujet ces dernières semaines. Qu’écrire qui n’ait pas été écrit? Comment le dire pour rétablir la justesse et la vérité [...]

L’injustice n’est pas la fiscalité environnementale, l’injustice serait de ne rien faire.

Jusqu’à ce week-end, je ne voyais pas l’intérêt de m’immiscer dans le débat sur la taxe carbone tant il a coulé d’encre sur le sujet ces dernières semaines. Qu’écrire qui n’ait pas été écrit? Comment le dire pour rétablir la justesse et la vérité sur ce que constitue ou devait constituer la contribution climat énergie?

Et puis, samedi 27 septembre au matin à Thionville au lancement de la votation citoyenne pour le maintien de la poste en service public, ce n’est pas sur la notion de service public que le journaliste de l’Huma m’a interrogée, ce n’est pas sur nos valeurs de solidarité territoriale qu’un passant m’a interpellée en ces termes «vous les écolos vous voulez qu’on paie, vous vous en foutez des pauvres!».

Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment d’une situation où tout le monde (ou presque) considère que les changements climatiques représentent une menace sérieuse, admet qu’il est urgent de limiter nos consommations énergétiques émettrices de CO2 et reconnaît qu’il faut une incitation financière directe et spécifique (sous condition que simultanément soient mises en Å“uvre des solutions alternatives), nous soyons arrivés à une opposition globale à toute idée de taxation énergétique ? Que s’est-il passé pour que cette bonne idée soit ainsi gâchée, déformée, atténuée … ? Que s’est-il passé pour que nous (les écologistes) soyons ainsi alpagués dans la rue, recevions des mails d’insultes, soyons taxés d’«anti-sociaux» ? Que s’est-il passé pour que la mesure soit jugée injuste aujourd’hui, alors que la vraie injustice pour les plus démunis serait justement de ne pas prendre cette mesure. Parce que ce sont bien ces derniers qui seront les premiers touchés par l’augmentation du coût énergétique laissé à la loi du marché; ce sont bien eux qui seront les premiers touchés par les effets du dérèglement climatique !

Nous devons cette situation à une magnifique démonstration de démagogie politique de la part de ceux qui ne veulent pas du changement et qui ont royalement réussi à «carboniser» un choix d’avenir progressif et réaliste. Quelques vrais mensonges et approximations pour des positions plus électoralistes qu’écologistes, pour une classe politique déterminée à faire passer les élections régionales avant la défense de la planète et de ses habitants.

J’avoue que je n’ai pas pris garde aux alertes comme celles de France Nature Environnement : «Entre le flou gouvernemental et polémiques socialistes, la FNE craint que la montée du «populisme fiscal» ne nuise à la réforme. Si on décrédibilise l’instrument, les écologistes passeront pour ceux qui veulent une écologie punitive et taxative», craint Arnaud Gossement, son porte parole».

Je n’y ai pas pris garde, car je nous – militants, citoyens, consommateurs – faisais confiance pour ne pas nous laisser abuser. Mais j’ai sous-estimé la manÅ“uvre politicienne de nos bons gros partis traditionnels qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et qui calculent leurs positionnements non plus dans la poursuite de l’intérêt général mais au regard d’intérêts électoralistes : ne reculer devant aucune démagogie pourvu que cela serve leur image et leur projet de carrières politiques. Je suis écÅ“urée mais pas abattue!

A charge, maintenant, pour les détracteurs de la taxe carbone de se montrer audacieux et force de proposition lors des débats parlementaires à venir à l’occasion de la loi de finance 2010 pour réinstaurer une contribution climat énergie équitable écologiquement et socialement!

Contribution Climat Energie: Agir maintenant pour ne pas subir demain

Reposons simplement les termes du débat et revenons aux fondements de ce que devait constituer la Contribution Climat Energie, telle que proposée et soutenue par les écologistes (portée par toutes les ONG pendant le Grenelle).

La taxe carbone n’est pas la contribution climat énergie. Ce n’est pas qu’une question de sémantique: le choix des mots n’est pas innocent et n’est pas sans effet. Le mécanisme retenu par le gouvernement exclut la production électrique dans l’assiette de la taxe. En d’autres termes, l’exonération de l’électricité invite à intensifier le recours au chauffage électrique (promotion engagée dès le Grenelle! avec l’amendement Ollier). C’est une aberration écologique puisque nos centrales électriques fonctionnent au gaz et au charbon pour répondre aux pointes de la demande électrique avec un bilan carbone désastreux. Une aberration sociale et contre-productive par rapport à l’objet même de la contribution climat énergie qui vise la réduction de notre consommation énergétique.

Ceci étant dit, si nous sommes tous d’accord sur le fait que face aux bouleversements climatiques qui menacent, il convient d’agir dès maintenant. Personne ne peut honnêtement nier que la contribution climat-énergie constitue indubitablement un des outils de cette action pour induire le changement qui doit intervenir dans nos modes de production et de consommation.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître (j’entends déjà les hurlements poussifs des ultras-libéraux et ultras-démagos), le développement de la fiscalité environnementale doit nous réjouir. Car il s’agit d’un outil financier et fiscal qui viendrait se substituer et non s’ajouter à d’autres outils (la taxation sur le travail) en contribuant à une meilleure efficacité des politiques publiques environnementales (dont le développement d’alternatives comme les transports publics). Les taxes visent à être utilisées pour différencier le coût de produits afin de tenir compte de leur rareté et impact écologique, tandis que les dépenses fiscales et les aides publiques doivent permettre le développement de comportements moins polluant et/ou la consommation d’éco produits.

S’inspirant des expériences en Suède, au Danemark, le principe d’une contribution climat énergie est de faire augmenter progressivement le prix de l’énergie afin d’encourager chacun à réduire ses consommations. Avec cette mesure, qui donne un signal clair, les citoyens vont pouvoir se préparer à la raréfaction annoncée du pétrole, tandis que les entreprises vont être encouragées à innover pour mettre sur le marché et démocratiser des produits plus «écologiques». Elle constitue un levier d’innovation technologique et de changement des comportements plus que jamais indispensables.

La contribution climat énergie constitue une opportunité pour la France de donner un nouveau sens à sa politique fiscale, de faire basculer les régulations pour qu’elles soient moins pénalisantes pour l’emploi tout en sanctionnant les excès de la consommation d’énergie. Et ce n’est pas une augmentation de la fiscalité mais sa réorganisation : elle ne sera pas plus lourde, mais plus écologique. Il n’a jamais été question d’augmenter la pression fiscale. Les écologistes ont toujours accompagné le mécanisme du principe d’une contrepartie pour les ménages et les entreprises. L’objectif de la contribution climat énergie n’est pas de remplir les caisses de l’Etat, mais d’inciter chacun à changer de comportement. Le mécanisme proposé depuis toujours du chèque vert ou chèques «éco-énergie» permet d’encourager financièrement ceux qui réduisent leurs consommations d’énergie: c’est une sorte de bonus malus permanent. Ceux qui économisent le plus d’énergie sont doublement gagnants : ils réduisent leur facture d’énergie, tout en continuant à recevoir un chèque. Et le consommateur devient un acteur actif de la transformation de la production dès lors que l’achat d’appareils « efficaces » (électroménager, éclairage…) ou encore de panneaux solaires ou chaudières bois permet de faire une double économie : à l’achat et sur la facture énergétique chaque mois. Ex : Dès lors que les frigos basse consommation seront moins chers à l’achat qu’un frigo classique, ces derniers ne devraient plus se vendre et les producteurs ne devraient donc plus les produire… La réorientation de la demande sur de nouveaux produits conduira les entreprises à s’inscrire elles aussi dans un nouveau cercle de production et s’inscrire dans la transformation de l’économie par l’écologie.

Ultimatum Climat: Le changement n’est plus négociable!

La fiscalité écologique en France est aujourd’hui «loin d’être exemplaire en Europe» comme le souligne l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). «Elle ne représentait que 2,3% du PIB en 2006 (21ème rang sur 27) alors que certains pays européens sont déjà parvenus, grâce notamment à une taxation plus lourde des énergies fossiles, à des niveaux sensiblement plus élevés : 6% du PIB au Danemark, 4,1% aux Pays-Bas, et 2,7% en moyenne dans l’Union européenne». La France a perdu son rôle de pionnier et leadership, elle qui instituait dès 1964 les redevances sur l’eau ou encore en 1985 une taxe sur la pollution atmosphérique.

Avec le système d’affectation que les écologistes proposent, fiscalement neutre pour les entreprises et redistributif pour les ménages, la France a les moyens de mettre en place unilatéralement un instrument puissant de décarbonisation de l’économie, et de prendre ce faisant de l’avance dans la course ouverte de l’après-pétrole. Transport et bâtiments sont deux secteurs clé et ne sont pas ou peu couverts par le champ des politiques européennes. La contribution climat énergie complète le système européen des quotas d’émissions pour ces secteurs d’émissions diffuses. Et il sera essentiel de porter cette mesure au niveau européen : le signal-prix sur le carbone doit toucher l’ensemble des acteurs de l’Union européenne, car c’est une échelle importante pour répondre au défi du changement climatique.

A la fin de l’année, le monde a rendez-vous à Copenhague, pour trouver un accord international sur la question climatique. Vous vous souvenez de la mythique phrase de G.W Bush : «le mode de vie américain n’est pas négociable». Aujourd’hui, la donne a changé et soyons clairs : si nous devons changer nos modes de vie aujourd’hui, c’est parce que la planète et le climat nous indiquent qu’il en va de la survie de l’humanité et que la réduction de nos émissions de CO2 n’est simplement plus négociable.

Sandrine Bélier

Lire également: Taxe carbone; trop tard pour pinailler, Taxe carbone: Ségolène a raison et La taxe carbone remet le duel Sarkozy-Royal au goût du jour.

> Première publication sur Slate France, le 30 septembre 2009

Image de une via pfala, sur Flickr

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