L’impression 3D, boulet médiatique

Le 23 octobre 2012

Impression 3D et imprécision XXL. Naguère confidentielle, l'impression 3D est devenue un sujet abordé par les médias généralistes, qui s'enthousiasment parfois sans trop de pincettes. Avec le risque de décevoir les attentes énormes soulevées par cette technique dite révolutionnaire.

La semaine dernière, on a pu voir sur les murs de Paris une affiche posant cette question :

Et si ma nouvelle chaise sortait d’une imprimante 3D ?

Il s’agissait d’une réclame pour Demain dans ma vie, un événement de la Mairie de Paris destiné à mettre en valeur des “lieux d’innovation”. Le site Internet poursuivait :

L’innovation, tout le monde en parle. Mais qui se doute que dès aujourd’hui et demain encore plus, les objets de notre quotidien auront été fabriqués sur une imprimante 3D dans une boutique du coin de la rue.”

Cet été, le JT de France 2 s’est penché sur les fab labs. Après la diffusion du reportage, son auteur est venu sur le plateau avec une MakerBot, le nom générique donné aux imprimantes fabriquées par la société américain MakerBot industries, pionnier de la démocratisation de l’impression 3D grand public, avec RepRap. Extrait du simili-dialogue qui s’en est suivi :

Présentateur du JT de France 2 : ça veut dire que demain je casse ma branche de lunette, je casse mon stylo préféré, je ne vais pas l’acheter, je ne vais pas chez le fabricant, je le fabrique moi-même…

Reporter, la main sur une MakerBot : absolument, [...] vous trouvez les plans sur Internet, vous appuyez sur “enter” et la machine vous l’imprime. [...]

Présentateur : demain on a tous ça chez nous ?

Reporter : absolument, là c’est parti, [...] et si vous êtes très bricoleur, vous pouvez la fabriquer vous-même chez vous, c’est la magie d’Internet.

Extase

Chaque (r)évolution a besoin de symbole. La révolution industrielle eut la machine à vapeur, la fabrication numérique personnelle a l’imprimante 3D. Et ce n’est pas forcément une bonne chose. Tout symbole est un raccourci, avec ce que cela peut véhiculer d’erreurs, d’imprécision, de déception.

Imprimer le réel à portée de main

Imprimer le réel à portée de main

Les imprimantes 3D, c'est-à-dire des machines capables de fabriquer des objets, intéressent désormais de puissants ...

Il est compréhensible que les médias mainstream aient besoin d’un objet “sexy” qui fasse passer un concept, lui donne corps.

L’imprimante 3D est le “bon client”, photogénique en diable avec ses couches de plastique coloré qui s’accumulent et forment devant les yeux émerveillés du spectateur, son petit cri-cri qui ravit le preneur de son. Parfait pour résumer le pitch “from bits to atom”1. Et elle-même est considérée comme une technique “disruptive”, comme le fut le PC en son temps, ce qui rajoute à son potentiel attractif.

Owni n’échappe pas à cet engouement, il suffit de jeter un Å“il aux illustrations de nos articles sur le sujet, et le nombre d’articles qui se focalisent sur ce seul objet. RepRap et MakerBot y sont déclinés sous toutes les coutures.

Cela devient franchement gênant quand le symbole est prétexte, conscient ou non, à tordre la réalité, au mépris du plus élémentaire bon sens. Revenons à nos exemples du début. Imprimer une chaise en 3D : même un enfant de 6 ans sait que le bois, contrairement au plastique, ne peut pas fondre. Même si l’on teste aujourd’hui l’impression de pâte à bois, la table basse en chêne qui sort de votre machine, ce n’est pas pour demain. Ni après-demain. Jamais en fait. Et en admettant que le modèle plastique vous tente, aujourd’hui, le format maximum est de 28,4 x 15,2 x 15,4 cm si vous avez sous la main la Replicator 2, la dernière MakerBot, sortie en septembre. Avec une imprimante CupCake, c’est 10 x 10 x 10 maximum.

Pourtant, il est déjà possible de fabriquer une chaise avec ses mimines à l’aide d’une machine assistée par ordinateur sans passer par la case CAP de menuisier et avec de l’entrainement, en utilisant une découpe-laser, la mal-aimée médiatique.

L’exemple du “stylo préféré” est tout aussi erroné : à moins que d’avoir pour stylo préféré un Bic basique, on ne peut pas aujourd’hui faire un stylo en métal d’un clic. Et puis il faudra que les plans de votre modèle favori soient en ligne, ce qui n’est pas gagné. Bref, un coup de scanner 3D semblerait plus logique. Mais c’eût été ne pas évoquer “la magie d’Internet”.

Monts et merveille

Le côté magique de l’impression 3D est un formidable attrape-mouches, comme s’il portrait tous les espoirs d’un nouveau modèle de société, avec le saint triptyque local-soi-même-personnalisé. Mais pour l’heure, il risque de susciter de la déception, comme le soulignait cet article, qui invitait à une vision à moyen et long terme :

Pour beaucoup, l’impression 3D atteint le pic de son cycle de la hype, développé par Gartner, et elle est sur le point de s’effondrer dans les abîmes de la désillusion. J’espère vraiment que c’est le cas. Pour être honnête, cela n’arrivera jamais assez rapidement pour moi !

Je trouve beaucoup plus facile de combattre le pessimisme des gens avec les possibilités positives de l’impression 3D (il y en a beaucoup) plutôt que de constamment crever la bulle des attentes exagérément enflées du public sur l’impression 3D.

L’enjeu est de la maintenir réelle, là maintenant, avec des applications authentiques et assez étonnantes, nées de la compréhension de ce que l’impression 3D PEUT et NE PEUT PAS réaliser.

Il est aussi important de comprendre que nous sommes seulement au début de ce voyage de l’impression 3D et que la technique promet de bien plus grandes choses dans le futur, avec la poursuite de la R&D.

Alors oui, nous aurons peut-être, si ce n’est déjà le cas, des cheveux gris quand l’impression 3D sera une technologie mature qui tiendra ses promesses actuelles, en admettant que les lobbies du copyright et de la propriété intellectuelle ne foutent pas tout en l’air.

L’impression 3D vend son âme

L’impression 3D vend son âme

Le fabricant d'imprimante 3D grand public MakerBot incarnait la possibilité d'un business model basé sur l'open ...

En attendant, prudence et distance sont de mise. Et rien ne vaut la pratique si l’on veut éviter de dire des âneries : mon regard sur cette technique a changé radicalement le jour où j’ai vu, piteuse, une clé laborieusement construite avec un logiciel de CAO, sortir, inutilisable : la MakerBot était mal réglée.

Toutefois, tout n’est pas à jeter dans cet engouement mal renseigné. L’attrape-média est aussi un attrape-grand public, une porte d’entrée attrayante vers les lieux de refondation (potentielle) de la société que sont les maker/hackerspaces et autres fab labs.

C’est aussi un des leviers du progrès de la technique : la communauté des contributeurs grossit, qui dit demande, dit investissement, dit R&D, dit amélioration.

Avec un possible contre-coup qui point déjà : des gros investisseurs qui se fichent pas mal des valeurs de partage et d’entraide qui ont permis à un rêve de devenir réalité, aussi mal ébarbée soit-elle à ses débuts.


Objet en 3D par Makerbot (CC-by)

  1. Littéralement : des octets à l’atome. Que certains considèrent comme la prochaine révolution industrielle. []

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés