Qui a peur du grand méchant Twitter?

Le 3 août 2011

Les réseaux en général et Twitter en particulier, font encore peur à bon nombre de journalistes. Pourquoi ? Parce qu'il faut accepter de s'y mettre (un peu) en danger.

Twitter ou ne pas twitter, telle est désormais la question dans bon nombre de rédactions. Et l’on réclame des chartes, des guides, bref, tout un arsenal car, au fond, beaucoup de journalistes ont la trouille du numérique, des réseaux sociaux en général et de Twitter en particulier. Pourquoi ?

Sur Twitter, le journaliste est à poil devant ses lecteurs

Twitter n’est pas un outil corporate destiné à faire la publicité du média pour lequel on travaille, ce n’est pas une page Facebook gérée par un community manager ou un jeune journaliste un peu geek (souvent en CDD)… Non, sur Twitter, le journaliste est tout seul. Pas de médiateurs comme on les aime tant dans les rédactions, personne pour sélectionner les commentaires les plus intelligents, les plus constructifs ou ceux qui permettent opportunément de mettre en valeur le formidable travail des journalistes. Non, sur Twitter, le journaliste est à poil devant ses lecteurs. Il lui faut répondre lui-même, expliquer, débattre, argumenter, connaître son sujet. Il y fera face à des argumentations parfois pertinentes, retorses, idiotes ou provocatrices.

Bref, sur Twitter, les journalistes sont devant leurs lecteurs. Et ça, pour un certain nombre d’entre nous, c’est une petite révolution. Car mine de rien, et sans paraphraser Desproges, on peut faire une brillante carrière de journaliste sans rencontrer ses lecteurs. C’est même souvent plus confortable pour tout avouer. On rencontre des collègues, des élus, des communicants, des chefs d’entreprises, des syndicalistes, des présidents d’associations, bref, tous ceux qui ont un rôle “officiel” et qui, d’une façon ou d’une autre, doivent communiquer. Mais des lecteurs, ceux qui chaque jour, chaque semaine, déboursent quelques euros pour nous lire, pas si souvent que ça, et c’est un euphémisme.

Partout dans le monde, Twitter questionne le journalisme

Twitter casse les codes du respect dû aux anciens

(ou comment s’y faire tutoyer par des petits cons)

Du coup, lorsqu’il n’y a pas de filtre, la plèbe se lâche et oublie parfois le respect dû non seulement aux aînés mais aussi et surtout aux journalistes ! On s’y fait tutoyer comme n’importe quel quidam, ce que tout le monde n’est pas prêt à supporter :

Et l’on a beau être un journaliste expérimenté, reconnu, travaillant dans un média national, on se retrouve parfois à devoir débattre avec des gamins à peine sortis de l’école de journalisme et qui, en plus, ont des avis bien arrêtés ! Mais si certains ne l’acceptent pas, d’autre savent se prêter au jeu :

Sur Twitter, les erreurs sont plus vite repérées

L’avantage d’écrire dans le journal ou de causer dans le poste, c’est qu’on y est seul et que ceux qui nous lisent ou nous écoutent le sont souvent aussi. Bref, c’est chacun chez soi et Dieu pour tous.

Du coup, quand une erreur, une approximation ou une superbe connerie se glisse dans un article (si,si, ça arrive je vous jure), les dégâts sont limités. Rien ne dit que le lecteur / téléspectateur esseulé va la repérer et si c’est le cas, il grommelle dans son coin sans plus. Seuls quelques très motivés, les ronchons de service, iront allumer leur ordinateur (ou pire, prendre leur plume) pour envoyer un commentaire ou une correction bien sentie.

Pas de quoi faire trembler un journaliste. Pour peu que ce commentaire soit accompagné d’une réflexion acide ou d’un trait d’humour un peu trop féroce, il a de fortes chances de rester bloqué dans l’une des barrières érigées au fur et à mesure que les lecteurs essayent de prendre la parole.
Au pire du pire, le commentaire sera bien en ligne, mais noyé au milieu des autres tout en bas de l’article en question (comme sur mon blog) et si le courrier de lecteurs paraît (en petit, sans photo et dans une mise en page austère), on lui fera une réponse cinglante et sans retour à l’envoyeur possible.

Sur Twitter, rien de cela. Quand un journaliste écrit une connerie, il est à peu près certain qu’elle sera repérée et que cela se répandra comme une traînée de poudre. Moi le premier :

Pire, certains ne se contentent plus de relever les erreurs et de le dire, ils utilisent carrément les réseaux et les blogs pour dénoncer méthodiquement les articles idiots. C’est ainsi que François Hauter, journaliste au Figaro, a pu voir l’un de ses articles vertement critiqué par deux journalistes-blogueuses, Virginie Lominet (@laristocraft) :

et Gaëlle-Marie Zimmermann (@LaPeste) :

Elles ne se sont pas contentées de pester dans leur coin contre cet article hautement critiquable, mais ont publiquement pris à parti le journaliste sur leurs blogs et sites respectifs, Le Plus et Twitter, rendant ainsi leurs réponses publiques et très diffusées (elles comptent à elles-deux un peu plus de 7 000 followers et les deux billets doivent totaliser au moins 10 000 lectures).

Sur Twitter, on ne lave plus notre linge sale en famille

Sur Twitter, les journalistes parlent entre eux, ce qui n’a rien de révolutionnaire (encore que…). Comme dans n’importe quelle rédaction normalement constituée (là aussi, encore que…) ils débattent entre eux, n’y sont pas d’accord, et parfois même s’y engueulent un peu sur des sujets importants. Mais cette fois, c’est en public et les internautes peuvent intervenir, réfuter, abonder, s’en foutre ou participer.

Lorsque Johan Hufnagel, co-fondateur de Slate.fr, Jean-Christophe Féraud de Libération, Eric Mettout de L’Express.fr, Fabrice Arfi et Christope Gueugneau de Médiapart se lancent dans une discussion journalistique de fond (est-il de la responsabilité des médias de reprendre une bonne info sortie par un confrère/concurrent ?), les arguments volent, le ton monte parfois et les échanges sont vifs. Mais cela ne se fait pas dans le secret d’une salle de réunion ou d’un bistrot, mais “en public” ou presque.

C’est risqué (un peu), passionnant (souvent), inutile (parfois) et inédit dans une profession habituée à ne jamais ouvrir ses portes au public pour autre chose que pour les auto-célébrations de ses anniversaires (“il est beau mon n° 1000, regardez comme on est forts”).

Lire de bas en haut et de gauche à droite

Twitter? Bonjour les emmerdes !

En résumé, pour les journalistes, le numérique, les réseaux et Twitter en particulier, ce ne sont que des emmerdes. Il faut y parler avec des lecteurs ou des internautes qui se permettent de vous y tutoyer, il faut s’y justifier, faire attention à ce qu’on y écrit sous peine d’être repris, corrigé, “clashé”. Et même entre confrères on n’est plus tranquilles.

Non, vraiment, pourquoi utiliser les réseaux ? Pourquoi aller sur Twitter ?

Exactement pour les mêmes raisons, justement.

Sur Twitter, on rencontre des lecteurs, des internautes, et c’est ça qui est passionnant

Et comme le dit Eric Mettout dans l’un de ses derniers billets, “les journalistes ont longtemps fait comme si leurs lecteurs n’existaient pas – pour être exact : une majorité de journalistes font toujours comme si les lecteurs n’existaient pas. Tâcher de savoir qui ils sont, ce qu’ils pensent, comment ils réagissent, d’où ils viennent, pourquoi ils viennent, ou ne viennent pas, entrer en contact avec eux, leur donner la parole, voire quelques clés, ce n’est pas se soumettre aux lois du plus grand nombre et du plus petit dénominateur commun, c’est reconnaître qu’on n’envoie pas nos articles dans le cosmos mais sur une planète pleine de gens bizarres qui nous lisent – ou dont on aimerait bien qu’ils nous lisent “.

Échanger, réfléchir, débattre librement entre journalistes et lecteurs, cela vaut bien un tutoiement intempestif non ?

Sur Twitter, pas de barrières.

Pour les journalistes, et particulièrement pour les jeunes journalistes, c’est une opportunité nouvelle. Pour la première fois, un journaliste débutant peut dialoguer facilement et comme il le souhaite avec des confrères expérimentés, des rédacteurs en chefs de médias nationaux, échanger avec lui, ne pas être d’accord, apprendre.

Pour les journalistes qui travaillent seuls ou presque, et ils sont un paquet (pigistes, correspondants, dans les agences locales des grands journaux de PQR, médias dans lesquels les conférences de rédaction sont réduites à leur plus simple expression…), les réseaux sont aussi une formidable occasion d’échanger, réfléchir, discuter entre confrères. Cela vaut bien un petit tutoiement intempestif envers nos glorieux (hum…) aînés non ?

Sur Twitter, les erreurs sont vite repérées.

Tant mieux ! Chaque année, l’enquête de nos confrères de Télérama nous le rappelle : une grande majorité du public n’a pas confiance en nous. Nous faisons, et c’est normal, des erreurs dans tous nos journaux, dans toutes nos éditions. Mais nous crevons de ne pas les reconnaître et d’avoir tant de mal à les corriger.
Arrêtons de nous planquer derrière des droits de réponses à envoyer dans-les-délais-par-recommandé-avec-accusé-de-réception-et-pas-au-journaliste-qui-a-signé-mais-au-directeur-de-publication-sinon-mon-pauvre-monsieur-on-ne-peut-pas-le-passer.

On a écrit une connerie, une approximation ? Ce n’est ni la première, ni la dernière, nous ne sommes pas des spécialistes de tous les sujets que l’on traite et heureusement. Alors, écoutons ce que les autres ont à nous dire, prenons leurs réflexions en compte, corrigeons si besoin. Tout le monde en sortira gagnant.

Sur Twitter, on ne lave plus notre linge sale en famille.

Ça tombe bien, il semblerait que notre lessive ne soit pas très efficace… La presse généraliste va mal depuis 15 ans au moins, les audiences des JT s’effritent presque toutes, le public se défie des journalistes plutôt que de leur faire confiance. Bref, les débats que nous tenons (ou pas) dans le secret de nos salles de rédaction ne semblent pas avoir été suffisants pour trouver la formule magique. Que risquons-nous à, de temps en temps, parler de tout ça en public ?

Twitter n’est ni le paradis ni l’enfer des journalistes. On peut très bien vivre sa vie de journaliste sans y être, on peut considérer (parfois légitimement) que cela prend trop de temps. Il n’y a, heureusement, pas de règle absolue et rien n’oblige un journaliste à aller sur Twitter et sur les réseaux sociaux. Mais lorsqu’on décide de les utiliser, on peut en retirer des choses très intéressantes pour faire son métier de journaliste à condition d’accepter de se mettre (un peu) en danger et de parler aux autres, n’en déplaise aux ronchons de tous poils !


Article initialement publié sur Cross Media Consulting, sous le titre “Pourquoi Twitter fait-il tellement peur à certains journalistes ?”

Illustrations CC Flickr cdharrison,luc legay, 200moremontrealstencils

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