« Obtenir une domiciliation, c’est une délivrance »

Posséder une adresse postale est une condition sine qua non en France pour faire valoir ses droits. Le CASP est un des organismes agréés à Paris. Ils viennent de mettre en place un système qui facilite ce service.

Bon allez, I take you. So it’s a récipissé ? Asile ?
Yes, yes, asile…
Vous faites des démarches à la préfecture ? Oui, il y a bien un rendez-vous… Do you have CMU ?

Le globish1, Gérard le pratique tous les jours. Est-il serveur dans un café touristique des Champs-Élysées ? Non, salarié au service domiciliation du CASP (Centre d’Action Sociale Protestant), “la dom’“, comme ils disent entre habitués. Il entame une procédure pour Rajesh, un réfugié bangladais.

Gérard enregistre Rajesh, un réfugié bangladais.

Au 20, rue de Santerre, dans le 12e arrondissement de Paris, une mini-ville d’environ 2 500 personnes siège virtuellement dans cet immeuble de six étages, large de six fenêtres. Les personnes sans domicile fixe, qu’elles vivent sur un bout de carton dans la rue ou dans une chambre d’hôtel, sont obligées d’avoir une domiciliation, à l’exception des mineurs.

Autant qu’une obligation, c’est un droit entériné par la loi DALO sur le logement opposable en 2007 (circulaire du 25/02/08, pdf) : sans elle, impossible de faire les démarches administratives et sociales, bref d’avoir une chance de s’insérer. Cette adresse postale est à distinguer du logement, endroit physique où une personne vit.

« Obtenir une domiciliation, c’est une délivrance », résume Nadia, qui travaille aussi dans ce service. Gérard renchérit :

Certains demandeurs d’asile arrivent directement à se faire domicilier de l’aéroport, ils se passent le mot entre eux, dès leur pays d’origine parfois.

Et pour cause : le chemin pour obtenir des papiers commence là. S’ils sont déboutés, ils en auront aussi besoin pour avoir droit à l’aide médicale d’État (AME), réservée aux personnes en situation irrégulière.

Rajesh est dans le troisième cas de figure : bénéficiant du statut de réfugié politique, il est en situation régulière et peut chercher du travail en France. Problème: il ne peut plus habiter chez les personnes qui l’hébergeaient jusqu’à présent, ni recevoir son courrier et il a rendez-vous à la préfecture début mai. Alors ça urge. Il a déjà fait plusieurs autres services de dom’, sans succès.

Trois associations agréées à Paris

Seules trois associations à Paris possèdent tous les agréments : c’est une tâche lourde qui, paradoxalement, ne bénéficie pas d’aide de l’État alors que c’est une obligation. Le jeune homme s’est pointé là, sans rendez-vous. Il a eu de la chance, Gérard est un gars sympa, pas le genre à mettre des bâtons dans les roues par principe administratif : « on a le temps, il n’y a pas de raison de le faire attendre ». Et le voici invité à prendre place dans un petit bureau, aux côtés d’un ordinateur.

« Bon, name, prénom, sexe, masculin, c’est ça ? », lance Gérard en riant. Car il a beau côtoyer la misère, il se refuse pour autant à faire dans le pathos: « Nous ne sommes pas là pour les plaindre, il ne faut pas leur faire ressentir leurs difficultés. » Entre nécessaire rigueur administrative et humanité tout aussi nécessaire, la petite équipe gère les affaires.

À l'accueil. On vient parfois en famille.

Français ou globish, Rajesh comprend a minima ce qu’on lui dit

Pays d’origine, ville de naissance, les personnes du service dom’ ont acquis de solides connaissances en géographie: « Je vais passer à Question pour un champion, non mieux, Qui veut gagner des millions! ». Gérard enchaine les blagues, son interlocuteur esquisse un rire timide mimétique, engoncé dans sa doudoune et son bonnet, en dépit de la chaleur printanière. Arrivé en 2007, Rajesh comprend a minima ce qu’on lui dit, français ou globish.

Après le fichier du CASP, il faut encore remplir le « cerfa », comme ils disent entre eux pour désigner le cerfa 13482*02. Mis en place dans le cadre de la loi DALO, ce sigle désigne l’attestation d’élection de domicile, véritable sésame donnant accès aux prestations sociales : RSA, CMU, Assedics… Douze tampons pour valider le tout, un exemplaire pour lui, « you keep it always, no photocopy », un pour la CMU, « to say you have changed your address », et un dernier pour le CASP, « ça c’est pour nous ».

Internet permet de désengorger le service

Rajesh serait venu trois mois plus tôt, la procédure se serait arrêtée là. Mais il devra encore patienter quelques minutes, pour une très bonne raison : le CASP a mis en place un système destiné à désengorger le service. Une carte magnétique toute simple avec un numéro qui simplifie tant la vie des bénéficiaires du service que du personnel qui en la charge. Avant, il était nécessaire de se déplacer pour savoir si l’on avait du courrier, avec à la clé une longue attente pour parfois rentrer les mains vides. Maintenant, en se connectant sur un site Internet grâce au numéro inscrit sur leur carte, ils savent s’ils ont du courrier. Faute d’Internet, ils n’ont qu’à passer leur carte sur la borne à l’entrée du 20, rue Santerre.

Ce système est né cet hiver d’une mini-crise, provoquée par leurs obligations : le CASP domicilie 750 demandeurs d’asile qui alourdissent la charge de travail. En effet, ils restent domiciliés chez eux peu de temps, avant d’être envoyé en CADA aux quatre coins de la France. Et donc autant de réexpéditions à gérer. Quand il s’agit de faire suivre une convocation à la préfecture dont dépend le sort d’une personne, on comprend qu’ils aient « mis une alerte » cet automne. La réaction suivra quelques mois plus tard, au grand soulagement de tout le monde.

Du coup, l’augmentation de la demande est gérée avec sérénité. « À mon arrivée en 2001, la file active était de 1 600 », se souvient Gérard. Engorgés, France Terre d’asile et Dom’asile leur envoient davantage de monde qu’avant, ils récupèrent aussi beaucoup de déboutés.

« Vous n’avez pas grande enveloppe ? »

Mamoudou, le vigile présent à l’accueil est beaucoup plus tranquille : « de temps en temps, une personne s’énerve, mais cela reste rare ». De fait, c’est le calme total. Chacun leur tour, les gens se présentent au guichet lorsque leur numéro de passage a été tiré. Une femme à l’accent russe prononcé présente son pass Navigo : « Je sais pas utiliser, c’est pas moi qui a carte. » Son nom suffit à la retrouver dans la base de données. Bénéficiaire de l’AME, domiciliée depuis 2006, Nadia sait immédiatement qu’elle est sans-papier. Dans le casier à la lettre V, par chance trois lettres,  la femme n’est pas venue pour rien. Pourtant, c’est tout comme : « Vous n’avez pas grande enveloppe ? » La déception ferme son visage, elle part.

Un enfant sautille de la porte à l’aquarium, tapote la vitre devant laquelle ondulent des poissons rouges, il babille dans une langue que l’on devine de l’Est. Sa maman n’est pas d’humeur à jouer. Dans ses mains, une lettre de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP) qu’elle a ouverte, en vain : arrivée d’Ukraine voilà six mois, elle ne comprend pas le français. Et puis une enveloppe de la Cour nationale du droit administratif (CNDA), de celle dont dépend votre destin : numéro de dossier, convocation, refus ? La jeune femme repart, l’enveloppe close à la main.

16 heures, les visiteurs se font plus rares, Nadia s’en va vaquer, une caisse de lettres à trier à bout de bras : il y en a trois cents à ranger tous les jours, six cents les jours de pointe, quand les impôts ou les allocations familiales arrivent. De l’administratif pour l’essentiel, même si cela n’empêche pas des missives personnelles d’arriver aussi.

Lazhar, prêt à user encore un peu plus ses mains en faisant n'importe quel boulot.

Un homme déboule, tapote nerveusement de ses doigts sur le comptoir en attendant son paquet, il se prend la tête dans les mains. C’est Lazhar, qui a plus d’énergie à revendre que son geste désespéré ne le laisse penser. « Demain, je vais en Angleterre, Inch’ Allah » s’exclame-t-il en riant.

Avec son accent à couper au couteau et sa grammaire à faire frémir les pontes de l’Académie française, on le dirait étranger. Et bien non, il nous tend une carte d’identité française, français, tendance breton rouquin tâches de rousseur d’un côté, algérien de l’autre. Pas de métier en particulier, il est prêt à faire n’importe lequel pour travailler. « Et tu loges où maintenant ? »

J’habite partout… partout !

Son cousin le rejoint, ses lettres pliées en deux sous le bras, Lazhar repart, comme il était arrivé, en trombe. Son dernier passage au 20 rue, Santerre, maison de paille d’un instant qui l’aura bien aidé.


Texte : Sabine Blanc
Photos : Ophelia Noor

  1. anglais simplifié issu de la mondialisation []

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