Le nouveau Casino relaxé face à l’inspection du travail

Le 1 février 2011

Une décision de justice reconnait l'accès des amateurs aux salles de spectacles professionnelles. Reste à savoir comment favoriser la pratique amateur en trouvant des critères plus contemporains et objectifs que ceux visés par un vieux décret de 1953.

Le 27 Janvier 2011, le tribunal correctionnel de Paris s’est prononcé en faveur du Nouveau Casino et des 11 parties accusées de “travail dissimulé” par l’inspection du travail. Le code du commerce assimile le spectacle vivant à un acte commercial et le code du travail considère donc que tout artiste se produisant devant du public est présumé salarié. Le contentieux qui dure depuis 2006 a donc permis de reconnaître qu’un artiste peut déroger à la présomption de contrat de travail. Le statut d’amateur ou d’artiste non salarié, est finalement reconnu et le lien de subordination par voie de contrat de travail d’un artiste avec un organisateur de spectacles ou promoteur professionnel n’est plus irréfragable. Ce grand pas dans l’histoire du spectacle vivant français ouvre désormais la question de l’encadrement de ce statut dont les abus existent déjà et risquent de se multiplier au vu de la clarification du droit opéré par cette décision. Cet incident soulève aussi l’inexistence d’un système permettant de faciliter l’accès aux scènes professionnelles par des artistes en développement.

Les faits

Le gérant du Nouveau Casino, est accusé avec 11 autres personnes morales gérants de structures organisatrices d’événements (spectacles vivants) par l’administration (inspection du travail), peu aux faits des réalités du secteur mais conformément aux interprétations des textes législatifs en vigueur. Elle considère que les exploitants de la salle mythique ont eu recours, à plusieurs reprises, à des entreprises pratiquant le “travail dissimulé”. Plus concrètement, les associations ou organismes co-réalisateurs de 10 événements ont permis à certains de leurs membres de participer bénévolement aux représentations et n’ont donc pas effectué de “déclaration préalable à l’embauche” pour ces volontaires. Dans la plupart des cas, ces artistes payaient une adhésion aux associations organisatrices et ne souhaitaient pas être rémunérés alors que les intermittents ayant participé aux événements considèrent cette participation comme une activité accomplie pendant leur temps de loisir, donc à titre gratuit. Seulement voilà, le statut des artistes n’étant pas clair en France, l’inspection du travail, a dans ce cas considéré, sur la base de l’ordonnance de 1945 que tout artiste se représentant devant un public est supposé bénéficier d’un salaire – et ceci de façon irréfragable – à moins qu’il soit travailleur indépendant.

Laurent Sabatier (Directeur du Nouveau Casino) et son équipe, passionnés de musique, considèrent qu’il est de leur devoir d’accompagner le développement d’artistes en voie de professionnalisation et la pratique amateur en mettant à disposition leur structure professionnelle.

La loi

Un décret de 1953, définit l’artiste amateur ainsi:

Est dénommé « groupement d’amateurs » tout groupement qui organise et produit en public des manifestations dramatiques, dramatico-lyriques, vocales, chorégraphiques, de pantomimes, de marionnettes, de variétés, etc., ou bien y participe et dont les membres ne reçoivent, de ce fait, aucune rémunération, mais tirent leurs moyens habituels d’existence de salaires ou de revenus étrangers aux diverses activités artistiques des professions du spectacle.
Ce décret permettrait donc aux amateurs de déroger à la présomption salariale. Or, dans le cas résolu ce 27 Janvier, le gérant du Nouveau Casino n’aurait pas dû ignorer que ses partenaires étaient dans l’obligation de fournir une fiche de paye à ses adhérents.

Le statut des artistes amateur reste imprécis et la collaboration avec des structures professionnelles périlleuse.

La présomption de salariat qui découle de la fameuse “ordonnance de 45″ participe à la “mort de l’amateurisme” et empêche les défricheurs de têtes de faire leur devoir. La plupart des associations impliquées dans ce procès ont cessé leurs activités et ce sont autant de passionnés que l’on empêche de pratiquer, faire connaître ou se faire connaître.

IRL

Il faut reconnaître que si la professionnalisation est souvent souhaitée par de nombreux artistes et est encouragée par des structures comme le Nouveau Casino, la phase de développement qui précède l’obtention de ce statut nécessite quelques sacrifices financiers. L’industrie du disque ne pouvant, ou ne voulant, plus supporter ce risque, ce travail de développement est de plus en plus délégué aux producteurs de spectacle vivant. Le Nouveau Casino a accepté à plusieurs reprises de co-réaliser, à perte, des événements culturels pour le bien de l’art: une activité non profitable, qui s’appuie sur son savoir-faire professionnel. Les amateurs, enchantés de ne plus avoir à se faire ponctionner par de petits café-concerts, mal équipés et dont les gérants sous-estiment souvent la valeur, se réjouissent de pouvoir se produire sur une scène digne de ce nom.

La loi, en décalage avec la réalité des pratiques pour ce qui concerne la présomption de salariat pour les artistes, a déjà fait l’objet de demande de révision à plusieurs reprise. Le Prodiss, (Union du spectacle musical et de variété) a formulé en 2009 cinq propositions en vue de promouvoir la création et la diversité des spectacles. L’une d’elle porte sur la clarification du statut des artistes.
En 2008, M. Philippe Madrelle adresse un courrier à Christine Albanel ou il appelle l’attention de Madame la ministre de la Culture et de la Communication sur l’inquiétude des organisateurs de spectacles vivants quant à la réglementation des conditions de la participation des amateurs dans le spectacle vivant.

Christine Albanel, à son arrivée rue de Valois en 2007 avait rappelé qu’elle « n’a jamais fait part de la moindre volonté de légiférer sur un tel domaine » concernant un texte qui visait à la fois à « donner un véritable statut à la pratique amateur afin de l’encourager et de la développer » et à « apporter une sécurité juridique aux organisateurs de spectacles vivants » qui ont recours à des non professionnels.” (source quobuzz magazine).

Les exemples de cas démontrant le besoin de clarifier ce statut sont nombreux mais il aura fallu attendre un long procès et la cession d’activité de multiples groupements d’artistes actifs pour se rendre compte de l’absurdité du système.

Le vendredi 27 Janvier 2011 a sonné le glas de cette incohérence judiciaire et a reconnu l’existence d’artistes amateurs en relaxant la totalité des parties accusés.

Nous nous réjouissons de l’indépendance que cette décision permet aux artistes. Paradoxalement cette victoire représente un danger assuré. L’abus de ce statut, s’il n’est pas rapidement légiféré et encadré, est assuré et non souhaitable.

Malgré la satisfaction de Laurent Sabatier quant à cette décision judiciaire, il ne prendra plus le risque d’organiser un événement comme il avait l’habitude de le faire. Il déplore l’incompréhension persistante des institutions face à son métier. Il voudrait que les structures en ayant le pouvoir encouragent les pratiques qui consistent à organiser des événements mixtes confondant amateurs et professionnels et permettent de faciliter les démonstration d’artistes en développement en procurant un soutien économique aux salles et organisateurs compétents, allant jusqu’à inclure cette responsabilité dans leur cahier des charges.

Patrice Mancino, enthousiasmé par cette reconnaissance des réalités craint que cette jurisprudence ne soit utilisée à des fins moins romantique qu’un concert entre passionnés sur une scène réputée.

Les artistes, souvent inconscients de l’abus dont ils sont victimes devraient être capables de vérifier la bonne foi de l’organisme producteur, une forme de labélisation devrait être délivrée aux personnes ou structures habilités à découvrir.

Car l’interprétation à laquelle nous avons été exposés lors de ladite procédure voulait faire croire que les organisateurs ou associations avaient un ascendant moral et un pouvoir de persuasion tel qu’ils auraient poussé des artistes à accepter d’être bénévoles à l’insu de leur plein gré. Il ne faut pas exagérer, d’autant plus dans le cadre d’une organisation associative, si les bénévoles (organisateurs ou musiciens) ont autre chose à faire le jour d’un concert, ils n’hésitent à décliner l’invitation. (Patrice Mancino)

Si la plupart des associations qui ont été piégées par cette incohérence juridique ont dû cesser leurs activités, elles se réjouissent de la future possibilité pour des défricheurs, découvreurs de talent de pouvoir exister à nouveau.

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Crédits photos CC flickr: http: caveman; cayusa; mommy peace; blumpy

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