Banques : des comptes courants qui polluent plus que les 4×4

Le 1 février 2011

Derrière les bons sentiments écolos de leur marketing, les banques entretiennent leur bénéfices à coup de vieilles industries polluantes... sans jamais prendre le soin d'en informer leurs clients !

Dans le coffre numérique des banques de l’hexagone, votre argent fume. Plus que ça même : il pétarade, crachote et souffle dans l’atmosphère plus de CO² chaque année que ne pourraient le faire la voiture et l’essence que vous pourriez vous payer avec : à 900 kg rejetés par mille euros déposés, un compte courant à la Société générale réchauffe plus le climat qu’un 4×4. Qu’il soit entre les mains de la BNP, « la banque d’un monde qui change », ou du Crédit agricole, et sa « relation durable », le pognon tel qu’il est géré par le système bancaire français est un agent de pollution massive, comme le prouve une étude menée par le cabinet Utopies, dont Stanislas Dupré a tiré son livre Que font-ils de notre argent ?

« Allez poser la question à votre banquier, il sera aussi incapable que la plupart des Français d’y répondre », assure l’auteur. Malgré le récent buzz provoqué par la proposition d’Éric Cantona de retirer son argent des banques pour faire s’écrouler le système, la question de la transparence des placements financiers n’a guère été soulevée au niveau politique : la plupart des clients restent persuadés qu’un chèque déposé à la banque est thésaurisé dans un coffre à grosse porte circulaire en métal. Or, il y a derrière les murs des banques la même chose que derrière leurs arguments marketing pseudo écolo : rien !

L’opacité : enfin une règle respectée par les banques !

S’appuyant sur les rapports annuels de sa banque (la Société générale), Stanislas Dupré a ainsi détaillé le sort de ses 10.000€ de prime placés sur un compte courant fin 2007 :
1.700€ ont servi à financer l’économie locale (crédits à la consommation, projets de PME et de collectivités locales) ;
1.000€ ont alimenté des dépenses publiques (achat de dette des États) ;
1.300€ ont été prêtés à d’autres organismes financiers (banques ou assurances) qui les ont placés à leur guise ;
4.100€ ont été injectés dans des multinationales par divers biais (achat d’actions, prêts, etc.) ;
1.900€ ont rejoint le bal des produits dérivés et autres produits complexes.

60% de la prime a rejoint les sommets du CAC40 et les tréfonds des stratégies financières les plus tordues. L’opacité est, dans le cas des comptes-courants, devenu une règle tacite. Un régime auquel sont également tenus la plupart des produits d’épargne : en dehors de « l’épargne réglementée » (type livret A ou livret Développement durable, ex-Codevi), les placements ne répondent qu’à une logique de rentabilité indexée sur un indicateur de marché. Selon le placement, la banque promet de suivre les performances du CAC40, du DAX, du marché EuroNEXT… Mais ne détaille pas les moyens déployés pour arriver à ces fins. Et pas la peine de se tourner vers les placements « éthiques et solidaires », qui n’ont « d’éthique » que le nom.

Généralement commercialisés sous la forme d’organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), les fonds « solidaires » répondent aux règles de l’Autorité des marchés financiers qui visent à la stabilité des produits. Or, l’une de ces règles édicte que les fonds communs de placement en entreprise ne peuvent investir plus de 10% dans des entreprises « solidaires »… Une part ironiquement nommée ratio poubelle. Autrement dit : même agréé par l’organisme Finansol (spécialiste de la labélisation de produit financiers « éthique »), aucun produit financier n’est investi à plus de 10% dans des sociétés non côtées aillant une politique sociale ou écologique spécifique. L’attribution du reste des sommes est « discrétionnaire et dépend des anticipations du gestionnaire », pour reprendre la notice d’un produit financier élégamment intitulée : « Ethique et solidarité – FCPE Solidaire ».

Les banques d’un monde qui refuse de changer

Contredisant tous les discours publics, les banques vont ainsi chercher la rentabilité dans les activités les plus polluantes et technologiquement rétrogrades de l’économie : sur les 10.000€ de Stanislas Dupré, quelques euros ont peut-être abondé les 860 millions de dollars de prêts octroyés par la Société générale pour la construction d’un pipeline visant à acheminer le pétrole des gisements de sables bitumineux d’Alberta. Principal émetteur de gaz à effets de serre, le secteur de l’énergie est également l’un des principaux émetteurs de bénéfices de l’économie occidentale. Leader du CAC40, le géant pétrolier Total affiche une capitalisation de 100 milliards d’euros et traîne à sa suite le fabricant de tubages pour l’exploitation pétrolière Vallourec, recordman de la performance boursière sur 10 ans avec 1453% de valorisation.

L’énergie seule représenterait ainsi 13% du porte-feuille type du gestionnaire de fonds français. Non content de monopoliser les investissements sur le marché d’action, les hydrocarbures sont également les stars des marchés des produits dérivés : « les volumes échangés sur les marchés financiers du pétrole sont trente-cinq fois supérieurs à ceux échangés sur les marchés physiques », un constat alarmant dressé par… Christine Lagarde !

Bien sûr, chacune de ces grandes entreprises disposent d’un département « responsabilité sociale et environnemental » et d’une fondation visant au mécénat de projets écologiquement responsables. Or, il s’agit généralement plus d’un hommage du vice à la vertu que de réelle velléités de changement : dans la notice d’impact de Total présentant les conditions dans lesquelles le géant pétrolier comptait évaluer le potentiel gazier des schistes du sous-sol lanquedocien, la fondation était mentionnée comme une sorte de « fonds de compensation » pour les dommages causés aux riverains. « La plupart des grands groupes ont une stratégie incrémentale vis-à-vis de l’écologie », explique Stanislas Dupré. Loin d’imaginer une révolution de leur secteur, elles adoptent « à la marge » des gadgets qui permettent de conserver les marges bénéficiaires tout en affichant une volonté de changement.

Et le consultant en sait quelque chose pour avoir travaillé avec Lafarge, producteur d’un des produits les plus polluants qui soit : le ciment qui, pour un kilogramme de matériau produit rejette 800 grammes de CO2 dans l’atmosphère. Invité à réfléchir à une stratégie de réduction de l’impact écologique du ciment, le consultant d’Utopies réunit autour de la table le PDG de la firme, des directeurs techniques et des chercheurs tentant de reproduire les mécanismes de production d’un ciment « naturel » à température du corps : la coquille d’oeuf ! Enthousiaste au sortir de cette rencontre, Dupré va boucler le dossier chez un des directeurs de la boîte. Quelques heures de discussion plus tard, son interlocuteur l’arrête dans ses espoirs : « la culture du groupe, c’est le ciment, sort-il. L’alternative au ciment verra peut-être le jour dans une start-up ou un laboratoire de recherche mais certainement pas chez un grand cimentier. » Dix ans après, Lafarge tousse toujours plus de CO2.

Les bénéfs jusqu’à la dernière goutte

Par un cercle vicieux les banques entretiennent donc un vieux système du fait de sa stabilité… Or, sans leurs milliards d’euros, ce système lui-même se serait déjà effondré. Localement, pourtant, des initiatives montrent la viabilité d’une économie plus responsable écologiquement : lancée comme une expérimentation dans le domaine de la recherche et développement en technologies vertes, Ecomagination, filiale du géant américain de l’électricité General Electrics, a renouvelé la stratégie du groupe et enrichi son catalogue avec des moteurs d’avion moins consommateurs, des moteurs hybrides pour locomotives, etc. Jusqu’à ce qu’il isole la comptabilité de sa « branche verte », GE n’avait aucune idée de son potentiel. Désormais, les investisseurs demandent à l’entreprise d’émettre des actions pour pouvoir miser sur cette réussite !

Las, la tendance naturelle des grands groupes dominants les marchés mondiaux reste à exploiter les filons jusqu’à la dernière goutte. Endetté, le groupe GDF-Suez a ainsi envisagé de faire coter en Bourse son activité exploration-production, très rentable et dont la croissance repose sur des plates-formes de forage off shore comme le champs de Gjoa en Norvège et l’exploitation des gaz de schiste. Même logique au groupe Carrefour qui espère tirer plus de bénéfice en faisant coter ses trois principales entités séparément pour lever plus d’argent sur les marchés.

Cependant, la tentative de Bank Run a créé un précédent sur le souci porté au circuit de l’argent. « La Fédération des banques françaises a réagi, c’est une véritable mue culturelle, insiste Stanislas Dupré. À un certain moment dans la prise de conscience environnementale, le contrôle de l’utilisation de l’argent par les banques est un débat d’une importance comparable à l’instauration du droit de vote. » Alors que la plupart des instituts financiers ont claqué le méprisant « c’est n’importe quoi » en réponse au bilan carbone des placements dressé par le cabinet Utopies, une filiale de la BNP, Cortal, a soutenu le projet et envisagé de mener des études sur l’évaluation de l’empreinte carbone. À terme, une vraie politique de transparence devrait pouvoir mener à la création de vrais produits financiers « écologiquement responsables ». Peut-être un peu moins rentables que les actuels OPCVM et autres FCPE proposés aux clients. Mais, à terme, eux aussi devront peut-être revoir leurs prétentions à la baisse pour espérer voir un jour leur argent arrêter de fumer.

Illustration Flickr CC @NOO, PNNL et Laure73

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