Livre : comment inventer un datamining plus humain ?

Le 12 décembre 2010

Comment faire en sorte que les ouvrages plus confidentiels trouvent leur public sur le Net, par le biais de la recommandation ? Les auteurs et petits éditeurs devront collaborer ensemble pour Thierry Crouzet.

Com­ment les auteurs réussiront-ils à trans­mettre leurs textes longs à des lec­teurs rares et épar­pillés ? Soit ces textes longs n’ont plus de per­ti­nence, et il n’y a aucun pro­blème, le blog deve­nant la seule forme lit­té­raire contem­po­raine. Soit les textes longs conti­nuent de jouer un rôle cultu­rel clé, ce que je pense, et nous devons les connec­ter avec les lec­teurs qui pour­raient les goû­ter… et qui, par ailleurs, ne goûtent pas néces­sai­re­ment les textes courts propres aux blogs.

Aujourd’hui, les éditeurs nous bom­bardent de best­sel­lers. De leur côté, les libraires éclai­rés et les blo­gueurs liseurs nous conseillent quelques lec­tures hors des sen­tiers bat­tus. Dans un monde de plus en plus numé­rique, à côté de cette pres­crip­tion humaine, les outils de data­mi­ning (ana­lyse de ce que vous lisez, des articles que vous consul­tez, com­pa­rai­son avec ceux qui effec­tuent les mêmes actions que vous… ) pro­posent déjà des filtres de pres­crip­tion (lisez ce que vos amis lisent). Par affi­ni­tés élec­tives, des ouvrages en rela­tion avec ceux que nous lisons nous sont pro­po­sés, pour nous faire des­cendre vers les bas-fonds de la longue traîne. Excepté quelques auteurs stars, tous les autres dépendent de plus en plus d’algorithmes que seuls des géants peuvent mettre en œuvre (car eux seuls dis­posent de suf­fi­sam­ment de don­nées). Il y a de la place pour Apple, Ama­zon, Google… Je ne vois même pas la Fnac s’en tirer.

Sur Internet, la même dépendance aux grosses machines ?

Se pose la ques­tion pour les petits éditeurs et les auteurs indé­pen­dants de faire connaître leur pro­duc­tion. On parle tou­jours de la néces­sité d’avoir un blog et une plate-forme pro­prié­taire mais elle ne per­met­tra pas de faire du data­mi­ning, faute d’un nombre de tran­sac­tions suf­fi­sam­ment élevé. Il sera impos­sible dans un petit écosys­tème d’amener les textes vers les rares lec­teurs qui, quelque part, existent et qui pour­raient les appré­cier. Cette tâche semble dès lors dévo­lue aux seules grosses machines.

Un site est un bon endroit de fidé­li­sa­tion mais pas un lieu à par­tir duquel gagner de nou­veaux lec­teurs, sinon par un lent grap­pillage (qui n’est pas néces­sai­re­ment com­pa­tible avec la forme blog). Je ne fais que mettre en évidence un piège qui est en train de se refer­mer : nous avons cru à l’indépendance en ligne, nous ris­quons d’y être plus que jamais dépen­dants de la distribution.

Il n’existe guère qu’une solu­tion pour conser­ver notre liberté : l’interconnexion des auteurs et des éditeurs selon une logique win-win. Mettre en œuvre un data­mi­ning humain. C’est ce que je théo­rise dans L’alternative nomade. Mais je me demande si les auteurs réus­si­ront à pra­ti­quer cette stra­té­gie du lien, tant pour la plu­part nous ne pen­sons qu’à pous­ser nos propres textes au détri­ment de ceux des autres. Si cette men­ta­lité se main­te­nait, ce serait notre perte, nous serions défi­ni­ti­ve­ment dépen­dants de la distribution.

Le prix unique du livre électronique, une catastrophe

Pour avoir une chance de ne pas nous empri­son­ner, il fau­drait au mini­mum que nous puis­sions vendre en direct nos œuvres au prix que nous sou­hai­tons, donc moins cher que la grande dis­tri­bu­tion. C’est ce que je tente avec La tune dans le cani­veau.

C’est pour­quoi le prix unique du livre élec­tro­nique serait pour les auteurs et les éditeurs une catas­trophe. En nous inter­di­sant de vendre en direct à un prix avan­ta­geux, il don­ne­rait une rai­son de moins pour les lec­teurs de venir sur nos sites per­son­nels ou ceux de nos éditeurs. Ces lec­teurs auraient une chance de moins d’être en contact d’un data­mi­ning humain, un data­mi­ning de la pas­sion et non uni­que­ment celui d’élections algo­rith­miques ou promotionnelles.

Si nous réus­sis­sons à pro­po­ser chez nous nos œuvres à un prix avan­ta­geux, chaque fois qu’un lec­teur trou­vera un livre sur une grosse pla­te­forme, il saura qu’avec un petit effort il trou­vera le texte moins cher à la source. Le plus sou­vent, il ne s’y ren­dra pas, par com­mo­dité, mais il saura que cette porte est tou­jours ouverte et qu’elle offre d’autres iti­né­raires de lecture.

Résumé

-Un blog d’auteur avec des articles rela­ti­ve­ment courts n’est pas néces­sai­re­ment un vec­teur adapté pour pro­pul­ser des textes longs.
-Un auteur sur son blog peut se pro­pul­ser mais pas se prescrire.
-Tous les auteurs et tous les éditeurs peuvent s’interconnecter pour créer un data­mi­ning humain.
-On peut ima­gi­ner un pro­to­cole open data pour inter­con­nec­ter tous les ven­deurs directs de livres et pro­po­ser des algo­rithmes de pres­crip­tion décen­tra­li­sés qui vien­draient riva­li­ser avec ceux des pla­te­formes géantes.
-Nous devons nous oppo­ser au prix unique du livre pour pous­ser nos lec­teurs à venir ache­ter chez nous. Le prix unique ferait le jeu des grandes plateformes.
-Le prix unique du livre papier devait pro­té­ger les petites librai­ries. Le prix non unique du livre élec­tro­nique s’impose pour pro­té­ger les auteurs et les éditeurs. Un choix inverse s’impose parce que nous avons les moyens de vendre moins cher chez nous, en direct, puisque nous sommes les producteurs.
- N’oublions pas que sur un réseau the win­ner takes all. Nous devons empê­cher cette perte de diver­sité et sur­tout pas la favo­ri­ser par une loi sur le prix unique. Notre seule chance sera de pro­po­ser nos textes moins chers chez nous.
-Au temps du papier, les éditeurs ne pou­vaient pas vendre en direct puisque tout le monde ache­tait en librai­rie. La loi sur le prix unique ten­tait de mettre tous les dis­tri­bu­teurs, petits ou grands, à égalité.
-Il s’agit aujourd’hui de ne pas obli­ger les éditeurs-vendeurs en direct via leur site à se sou­mettre aux gros distributeurs.

Billet initialement publié sur le blog de Thierry Crouzet

Image CC Flickr piermario et thefost

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