La leçon d’économie de The Social Network

Le 10 novembre 2010

The Social Network, le film de David Fincher sur la génèse de Facebook, traite en creux des particularités propres à l'économie numérique. Analyse.

Le film “The Social Network” est une Å“uvre de fiction sur la naissance du réseau social Facebook. Une Å“uvre à charge pour le fondateur Mark Zuckerberg, présenté comme un nerd asocial.  Mais le récit des premiers mois du développement de Facebook est aussi une introduction aux principes de base de l’économie du web.

A l’heure où près d’un million de spectateurs se sont rendus dans les salles de cinéma, il est intéressant de comprendre ce que “The Social Network” nous raconte de l’économie du web.

Couverture de Wired, mai 2010

Première leçon : la création naît du remix

Dans l’une des premières scènes du film, l’anti-héros veut se venger de sa petite amie qui vient de le quitter. Il lance en une nuit le site Facemash avec une idée simplissime : deux photographies d’étudiantes sont présentées côte à côte et l’internaute doit voter pour la plus séduisante.

La séquence illustre la manière de procéder du développeur : il parcourt les sites web des campus, il lance des requêtes automatiques, il récupère les photographies… En bref, il applique l’une des toutes premières leçons de l’économie du web : la création naît (aussi) du remix. L’originalité du service repose donc plutôt dans la capacité à mixer plusieurs sources d’information (mash-up) plutôt que sur une création ex-nihilo.

Deuxième leçon : les outils de production sont entre nos mains

Le scénario d’Aaron Sorkin est construit autour de la reconstitution de deux procès. Le premier oppose Zuckerberg à trois étudiants de Harvard qui revendiquent la paternité de l’idée de Facebook, les frères Winklevoss et leur associé. Le second procès est initié par l’ancien colocataire de Zuckerberg, premier associé et directeur administratif et financier (CFO) de Facebook, Eduardo Saverin.

Mis entre de bonnes mains, un bon outil de production peut donner des choses surprenantes

Au moment du lancement du site, le personnage de Zuckerberg sollicite auprès de son colocataire 1000 dollars pour acheter quelques serveurs et faire héberger le site en création. C’est bien la preuve que nous sommes dans le “nouveau monde” : l’investissement nécessaire pour lancer l’affaire est très réduit. Il n’y a pas a proprement parler de barrière à l’entrée capitalistique, pas d’autorisation à demander avant de se lancer.  Les outils de production – en l’occurrence les ordinateurs – sont entre nos mains.

Troisième leçon : timing is everything (de l’idée à l’action)

Face à ceux qui l’accusent d’avoir volé l’idée d’un réseau social sur le campus d’Harvard, le personnage de Zuckerberg répond “je n’ai pas volé votre code”. Toute la complexité de la notion de propriété intellectuelle dans l’économie de l’immatériel est résumée dans cet échange imaginaire. Les uns revendiquent la paternité d’une idée, les autres se prévalent de la réalisation, de l’action.

Hormis les séquences concernant les deux procès, l’action se déroule sur une période très condensée, les premiers mois de la naissance et du développement de Facebook.

Zuckerberg a  déjà visiblement une idée très fine du concept de”first-to-market” et sa philosophie personnelle semble se résumer à “just do it”. On voit son personnage ajouter une fonction au réseau dès qu’il en a l’idée – en l’occurrence l’ajout du statut”marital” parce qu’un de ses amis cherche des informations au sujet d’une fille qu’il a croisé dans un amphi…

Pas d’études quantitatives ou qualitatives, pas de focus group, pas de plan de développement produit défini. Pas de recherche, que du développement. Implémenter au plus vite, tester in vivo, reprendre et re-coder : timing is everything !

Ce que le film illustre, c’est l’importance du “momentum”, du point de basculement.

Quatrième leçon : le modèle économique ne passe pas toujours par la rentabilité (immédiate)

Les personnages de Zuckerberg et de son associé s’opposent rapidement sur le modèle de financement de Facebook. Savarin reste sur la côte Est des Etats-Unis pour convaincre des annonceurs d’acheter de l’espace publicitaire sur le réseau social naissant (et dont la croissance est déjà à l’époque très importante).

Zuckerberg pour sa part ne cherche pas la rentabilité à tous prix. Il cherche d’abord à développer le service et à en assurer la croissance. Facebook est aujourd’hui valorisée 25 milliards de dollars. La société n’est toujours pas cotée en Bourse.

Allégorie de Zuckerberg prenant son envol

Cinquième leçon : le hasard des rencontres

C’est l’une des scènes les plus étonnantes : au moment de l’ouverture de Facebook aux universités au-delà d’Harvard (dont Stanford sur la côte Ouest), le fondateur de Napster, Sean Parker, apprend l’existence de Facebook par l’une de ses conquêtes et se met en relation avec Zuckerberg.

Au moment de la rencontre, le service d’échange P2P Napster a déjà été fermé suite (déjà) aux plaintes des majors de l’industrie du disque.

Le film raconte la rencontre entre celui qui a démocratisé les échanges P2P et celui qui a démocratisé la notion de réseau social : c’est comme si Thomas Edison et Alexander Graham Bell s’étaient rencontrés et avaient fait des affaires ensemble ! (en fait, ils se sont rencontrés).

Les leçons oubliées du film

L’annonce du premier million d’inscrits sur Facebook est l’une des dernières scènes du film. Rien pourtant n’illustre les mécanismes économiques à l’Å“uvre pour passer de quelques milliers d’inscrits à 500 millions d’internautes. Tout a l’air si simple !

Rien sur les externalités positives (qui renforce les plus forts), ni sur la loi de Metcalfe (qui décrit la valeur d’un réseau), encore moins sur la viralité. La notion de plate-forme, l’un des clés du succès de Facebook, n’est pas abordée dans le récit.

Il y a fort à parier que, parmi le million de spectateurs français à avoir vu le film, il se trouve des apprentis entrepreneurs qui feront le rêve de monter le Facebook de demain.

Au moment où les lumières se rallument dans la salle, qu’auront-ils retenu ? Que pour réussir, il faut “trahir” ses amis, émigrer sur la côte Ouest des Etats-Unis ? Qu’il faut se méfier des avocats d’affaires et des capitaux-risqueurs ?

Retiendront-ils plutôt qu’un tel succès reste encore possible sur l’Internet d’aujourd’hui et que la philosophie de l’action reste toujours d’actualité ?

Comme le résumait Lawrence Lessing à propos de Mark Zuckerberg et de son “invention” : “He made it”, tout simplement.

Illustrations CC FlickR dfarber, Gubatron, Cayusa

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