ONA Awards 2010: ||l’aventure américaine d’OWNI

Le 1 novembre 2010

La soucoupe vient de traverser quatre semaines pour le moins hors normes. Joyeux novembre à tous ! Voici venu l'heure de l'édito d'octobre. Retour de Washington, ONA, Wikileaks, augmentation de capital. C'est l'heure des leaks /-)

Pour gagner un prix, comme pour accrocher au revers de son veston le pin’s de la Légion d’honneur, il faut d’abord concourir. S’inscrire. Postuler. Et comme à tout concours, quoi qu’en ait pensé notre compatriote de Coubertin, participer a beau être essentiel, c’est loin d’être la finalité.


Chaque année depuis dix ans, l’Online News Association organise et décerne les prix les plus reconnus en matière d’innovation et d’excellence journalistique à l’échelle mondiale, avec un (très) fort tropisme américain. Depuis 3 ans que les prix en langue “non-anglaise” existent, seul un projet de l’AFP qui consistait en une couverture originale du Tour de France avait permis à la France de se distinguer en emportant un prix. Rue89 et Blogtrotter avait quand à eux atteint les phases finales. S’il y a peu à y gagner (3 000 dollars pour la catégorie des sites touchants moins d’un million de visiteurs uniques par mois et en langue non-anglaise, dite “non-english small site”) nul journaliste ou “patron de presse” ne niera que les “Awards” de l’ONA sont le principal trophée international du journalisme web.

Vague but exciting

C’est Adriano Farano, associé au sein d’OWNI, actuellement à Palo Alto dans le cadre de la Fellowship de la Knight Foundation, qui a rempli le formulaire en ligne, en mai dernier.

- J’ai fait une première version, j’ai besoin que vous regardiez…

me confia Adriano, avec son accent chantant italien, une heure après s’y être attelé.

La soucoupe étant loin – très loin – d’être un centre de villégiature, ni les développeurs, ni les éditeurs et journalistes et encore moins le directeur de la publication que je suis n’ont véritablement investi d’attention alors à cet ouvrage. Je l’ai biffé à deux endroits. “Chez OWNI, on travaille mon bon monsieur, on a guère le temps pour les concours de miss”, pensai-je intérieurement.

L’axe canado-taïwanais

Il y a un peu plus d’un mois, fin septembre 2010, les centaines de “screeners” qui donnent les premières notes aux sites en compétition ont rendu leurs copies aux juges de l’ONA. Ceux-ci se prononcèrent : nous étions en finale. Nos pairs nous signifiaient que notre travail était de qualité, bien que très dissonant dans le paysage médiatique : pas de publicité, pas d’abonnement, pas d’acte d’achat direct ou de péage ; une rédaction (vingt salariés) sans chefs ni sous-chefs en strates et sous-strates mais dotée d’autant de développeurs et de designers que de journalistes, adossée à une communauté de près d’un millier de blogueurs et auteurs de talent (journalistes, universitaires, professeurs, experts, étudiants…) avec laquelle nous avons des liens véritables : combien sont venus boire un verre, partager un déjeuner…

De cette première bonne nouvelle, nous avons fait une brève – et comme à chaque excuse qui se présente, nous avons trinqué avec force joie!

Les juges allaient donc regarder attentivement les sites des finalistes quelques jours durant afin de se prononcer. Ils sont plus d’une centaine. Des pros. Face à nous : les Canadiens de Cyberpresse.ca et un site taïwanais propulsé par Yahoo, Local Foods Yahoo!Taiwan. Branle-bas de combat au 50ter rue de Malte. Nous devions leur montrer le meilleur de ce que nous aspirons à vous délivrer au quotidien, le plus juste de notre engagement : démontrer que l’on était non seulement un #beaumedia (on y reviendra ;) mais en plus de cela que notre approche était vraiment à valeur ajoutée, citoyenne, pédagogique, économique et culturelle. Il s’agissait de monter en puissance, en exigence, mieux, en audace.

6 octobre 2010, 21 : 30

Un appel téléphonique.

- Allo, c’est XXXX XXXXXXX*

Comme pour les Oscars, un référent parmi les juges doit signifier au gagnant qu’il serait tres bienvenu qu’il n’ommette pas de se déplacer, afin que celui-ci ne soit pas absent le jour J.

- Nicolas, vous devez être à Washington ! Je ne fais que vous en informer afin que vous soyez à tout prix présents. Mais n’en parlez pas.

(ce log a été anonymisé avant publication /-)

Waow ! Notre métier n’est pas de (se) taire. Cela allait représenter une première, rapidement renouvelée. Se taire… Au point de ne même pas pouvoir crier sa joie, partager cette fierté sans précédent, pas même avec ma femme ni avec ceux avec qui je passe 12 heures (voire bien plus) par jour. Se taire. Et pleurer, déjà. De bonheur. Incrédule. Sonné et remonté comme jamais. Je n’ai trouvé qu’un exutoire : écrire le discours qu’il faudrait prononcer ce jour-là, ce 30 octobre en orbite (voir plus bas). Tenter de ne pas perdre authenticité et émotion. Être dans le vrai, ne pas avoir à chercher quelque “spontanéité a postériori” trois semaines plus tard, quand il faudra monter sur scène et dire à tous pourquoi cet honneur en est véritablement un – au-delà de la reconnaissance par les plus grands professionnels de notre écosystème.

Agenda de guerre

Pendant ces folles semaines, notre chemin a croisé celui de Julian Assange, rendant la séquence encore plus complexe. Nos clients, à qui nous livrons des sites de publication en open source et des interfaces de datavisualisation et applications de “journalisme augmenté“, n’ont pas cessé de nous solliciter non plus. L’actualité et les grèves à répétition comme les enjeux de ces rebellions quotidiennes n’ont pas permis de baisser à un seul moment la garde. Mieux ? La dernière semaine, nous avons carrément fait “les trois huit”, une partie de l’équipe étant à Washington dans le plus grand secret, l’autre lançant, en cinq jours, pas moins de trois sites (OWNIsciences, OWNIpolitics et OWNI.eu en langue anglaise et européennes).

Cette période fut d’autant plus folle en terme de pression que ces enjeux en croisaient d’autres :

- le 22 octobre 2010, nous devions (et avons ;) bouclé notre levée de fonds, initiée en août.

- Ce même 22 octobre, nous sortions, sans en avoir maitrisé à aucun moment le calendrier, l’application qui permet à WikiLeaks de donner à qualifier de façon optimale les 400 000 documents classés secrets défense portant sur la guerre en Irak. Peut-être la plus grande fuite de l’histoire de la guerre mais avant tout la plus grande collaboration transnationale de l’histoire contemporaine des médias.

Le media qui vit de l’innovation

Nous étions une entreprise sortie de terre sans aucun moyen financier propre mais douée de la religion de l’indépendance (celle qui a pour “culte” le fait de ne pas perdre d’argent, au risque de perdre alors toute liberté et de fausser toute ambition, et pour “église” un capital et un plan de vol ouverts à nos forces vives, l’essentiel d’entre nous étant associé au sein de la société : Nicolas Voisin, Franz Vasseur, Florimont (Pierre Bilger), cofondateurs et Thomas Wersinger, Aurélien Fache, Guillaume Ledit, Loguy, Adriano Farano, Sabine Blanc, Nicolas Kayser-Bril, Rémi Vincent). Nous étions une structure profitable qui a financé sans subvention ni crédit un nouveau média ; nous devenions aux yeux des plus grands de la profession “le média qui vit de l’innovation”, quand tant d’autres peinent à survivre de publicités invasives, ou d’abonnements excluants…

Remettons donc ces trois semaines dans leur ordre chronologique : WikiLeaks, bouclage de la levée et départ à Washington se sont déroulés sur une période de vingt jours ! Ce n’est pas le plus reposant des scénarios. En même temps – c’est le cas de le dire – si les arbitrages stratégiques à réaliser au quotidien étaient on ne peut plus complexes, je vous mentirais si je vous disais que tout cela ne s’est pas fait dans un esprit rock & roll et sans une tension émotionnelle exceptionnelle.

Together we rock !

En cette fin octobre, Kima Ventures (Xavier Niel), Marc Simoncini, Michele Cerqua, Jean-Philippe Larramendy, Marie-Hélène de Lesquen, Henri Pinon, Pink / Faber Novel (Stéphane Distinguin), mais aussi des membres déjà actifs de la soucoupe (Régis Confavreux, Pierre Romera et Martin Untersinger) sont entrés au capital d’OWNI pour un peu plus de 12% des parts de la société. Toutes les actions émises on été vendues.

Ceci nous garantit d’ores et déjà une force d’investissement et une trésorerie dépassant les 300 000 € (et donne à la soucoupe une “valorisation” de près de 3 millions d’Euros – pas mal pour un nouveau né ;-). Dans la foulée, nous allons à nouveau ouvrir notre capital, et cherchons à réunir, pour porter nos projets d’applications, “d’objet en bois d’arbre” (si, si !) et de R&D (notamment) 1 à 1,5 millions d’Euros, pour 10 à 15% du capital. Ainsi, nous détiendrons toujours plus de 70% de notre compagnie – l’indépendance est à ce prix – mais auront également une force de frappe qui n’aura rien à envier à nos confrères, en particulier d’outre atlantique. Je rappelle, à toutes fins utiles, qu’OWNI est une société qui ne perd, mois après mois, aucun argent, et réinvestit la totalité de sa marge dans le développement de ce groupe de médias européens innovants, bâtis pas à pas. Ce modèle mixte est le cœur de notre liberté. Un point clef de notre originalité.

K Street

Ces derniers jours, nous avons donc pris bagages à main et United Airlines (et ses repas innommables :) direction l’hôtel Renaissance Marriott de Washington où se tenait le meeting annuel de l’ONA, à 300m de l’un des principaux bureaux du FBI et 3 km de l’Intelligence Center de la CIA ; ceci 8 jours après la mise en ligne de l‘application des IraqLogs. Certains nous pariaient 10 ans sans séjour américain… L’imagination n’est pas toujours bonne conseillère !

Arrivés avec 3 jours d’avance, en plein rassemblement de gradés et collectionneurs de pin’s militaires, nous avons installé notre WarRoom & QG-wifi au sein du “lobby” – cela ne s’invente pas, le Renaissance est à l’angle de K street, la rue des lobby, et notre espace de travail, aux sièges capables d’accueillir chacun un cheval, est aussi nommé le lobby !

Le jury a motivé son choix ainsi : “ The judges concluded that OWNI offers, for its size, an ambitious commitment to many of the most innovative uses of digital journalism available. Its clearly designed, superbly functional site is a role model for others in how to generate engagement and produce great journalism at the same time”.

Le 30 octobre 2010, à 22h, soit 4 heures du matin heure française, et après un moment de pression digne d’un James-Bond-ou-presque, les 4 petits français que nous sommes (ici de gauche à droite : Adriano Farano, Nicolas Kayser-Bril, Nicolas Voisin et Franz Vasseur) ont eu l’ultime confirmation de cette victoire… Et ont gravi la scène de ce qu’il est convenu d’appeler les Oscars du journalisme.

La suite tient en des milliers de tweets, une vidéo en live et un discours : ici à 1h14 / ne manquez pas non plus le clin d’oeil du présentateur à 1h21 !)

Les plus attentifs d’entre-ceux qui l’ont entendu ont noté que mon anglais n’a d’égal que la qualité de la restauration sur United Airlines1)

Ces 15 jours passés à taire un bonheur et à construire le meilleur ont été une expérience sans pareil.

Vous avez aimé octobre ? Joyeux novembre !

Voici, à nouveau, une profession de foi. Celle-ci dans la langue de Shakespeare (ou presque /-)
Voici le discours “prononcé” ce soir-là.

Washington DC 2010/10/30

(NV) Good evening Washington DC,
Sorry we’re french, we prepared something :)

OWNI is only 2 years old.
It was already a great honor to have been selected by the Online News Association.
And you award us this prize: the honor is doubled.
Above all for the modest French craftsmen we are.

I have thirty seconds to thank my Mom, my wife and eleven-month old Eva.
But let me before introduce another Nicolas (a few years ago it was a trend to be a Nicolas in France) Nicolas Kayser Bril, our head datajournalist.

(NKB) We’d like to thank our bloggers, our 900 authors.
We thank our journalists, datajournalists 
our community editors .
Our five designers 
our illustrators, infographists, artists, and our many, many developers.
All the craftsmen and women who make this beautiful young media group

 .
We’d like to thank OWNI’s twenty full-time employees 
who’re 27 on average.

We’re are WordPress specialists.
We’re Javascript and HTML five addicts.
We’re among the only actors in datajournalism in France (and continental Europe).
We’re social media editors.
While our competitors still sell time, or ad, we are the watchmakers of the news.
We rather design, develop and sell publishing platforms and datavisualization to the main medias in Europe.
With those revenue streams we are able to fully finance our own media owni, without any ads or paywall, and remain wholly independent.
We are at the same time a profitable company and a free open source media that publishes everything under a Creative Commons license.
We innovate with passion 

!
We’re online, we’re coming on iPad and mobile devices and in English. And we’ll try new innovations, even on paper.

(NV) About this,
We’re opening our second round of funding to those who believe in the need for mediation 
innovation 
experimentation 
and subsidiarity.

We’d like to thank the Online News Association for their inspired choice.
Such a vote is well worth the rings under our eyes and a few years’ hard work.

We are half rock ’n roll, half businesspeople.

Welcome on board /-)

Together, we rock!

* = NDLR : clin d’oeil appuyé à d’autres rebondissements ayant conduit à travailler dans le plus grand secret et dont on a depuis eu l’occasion de vous faire part.



  1. N.B. cet article étant écrit après une quantité considérables de nuits consécutives de moins de 4 heures, mal assis dans le vol qui nous ramène à Paris, cette insistance à taquiner United n’est que le fruit d’un contexte, roi, et d’une fatigue, reine ;- []

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