Welcome to the Pédogone

Le 8 septembre 2010

Ébranlé par un scandale de pédopornographie en son sein, le Département de la Défense américain vient de refermer le dossier. L'occasion de détailler les usages parfois déraisonnables de l'armée sur le web.

Le 23 juillet dernier, le Département de la Défense a publié le Flicker Project, un rapport de 94 pages, qui révèle que 264 employés du Pentagone ont acheté et téléchargé de la pornographie infantile en utilisant l’ordinateur mis à leur disposition par le gouvernement. Alors oui, on pourra rappeler que les gradés en uniforme sont loin d’avoir le monopole de la pédopornographie. On pourra aussi rappeler que le DoD recense pas moins de 700 000 employés civils, et le double de militaires, ce qui ramène le chiffre à un infinitésimal 0,01257%. Sans être à la décimale près, ce mini-scandale nimbé de mystères, exhumé par le Boston Globe (archive payante) pose une question douloureuse: celle des usages d’Internet dans un monde aussi normé que celui des bureaux mélaminés du Pentagone.

L’enquête, diligentée par le DCIS (l’inspection générale du Département de la Défense) en 2002, révèle qu’au moins 30 employés ont fait l’objet d’une enquête individuelle au cours des huit dernières années. Pire, elle met en lumière des cas particulièrement sensibles. Ainsi, 9 des individus incriminés bénéficieraient d’une accréditation Top Secret / SCI (Sensitive Compartmented Information). Le quotidien bostonien évoque notamment les cas de deux employés de la National Security Agency, la très secrète agence de renseignements, et d’un chef de programme du DARPA, le département high-tech de l’armée.

Silence ou transparence?

Avant d’être autorisés à consulter des documents classifiés, les agents du Pentagone doivent répondre à un questionnaire poussé, l’ESPQ, sigle de l’Electronic Security Personal Questionnaire. Dans pas moins de 43 modules, les aspirants doivent décrire leur activité professionnelle des sept dernières années, égréner leurs domiciles successifs sur le sol américain, donner les noms et coordonnées des “trois personnes qui [les] connaissent le mieux”, détailler leur consommation de drogues depuis l’âge de 16 ans, ou encore leur affiliation avec une “organisation dédiée au renversement par la violence du gouvernement américain”. Si la liberté d’association est garantie par la constitution, le droit de prescription n’existe pas aux Etats-Unis. Voilà comment vous vous retrouvez à confesser votre passé de Weatherman ou de Black Panther.

En dépit de ce filtre supposément efficace parce qu’il est intrusif, il semblerait que quelques moutons noirs aient réussi à contourner les pare-feux et autres chevaux de frise mis en place par l’administration pour se prémunir contre les candidats “inadaptés”. Il faut dire qu’à Washington D.C., si les officiels montrent chaque jour un peu plus leur appétence pour le web et ses stratégies, ils font pour l’instant peu de cas des accusations qui planent sur certains de leurs subordonnés. “En raison de la nature du projet et de la nécessité de concentrer les moyens sur d’autres priorités du DCIS, peut-on lire dans le rapport, ce projet est considéré clos.”


On imagine aisément la gêne du Pentagone face à ces accusations. Par leur comportement, les militaires ciblés pourraient devenir particulièrement perméables au chantage, surtout ceux disposant d’un accès privilégié à des informations confidentielles. Dans ces conditions, aux yeux du DoD, le silence est visiblement préférable à la transparence. Pourtant, il a déjà su faire étalage d’un zèle à la limite de ses prérogatives, en traînant devant une cour martiale Billy Miller, un jeune soldat déployé en Afghanistan, au mois de janvier. Le motif? Il possédait sur son ordinateur la photographie d’une de ses petites cousines, une fillette de 4 ans posant en maillot de bain. Le cliché avait été envoyé par sa mère, pour “apaiser son mal du pays”.

5 millions de PC pour l’armée

Dans un rapport de 2007, le Department of Defense Personal Access to The Internet (PDF), les autorités militaires évoquaient leur stratégie, notamment le fait qu’elles étaient “favorables aux réseaux sociaux, bons pour le moral des troupes déployées en Afghanistan et en Irak”. Elles étaient tellement bienveillantes qu’elles venaient même de créer 650 unités MWRNET, des cybercafés “uniquement dédiés à la détente”, pour un coût opérationnel de 48 millions de dollars.

Aujourd’hui, le parc informatique de l’armée américaine s’élève à 5 millions de machines, et à 12 000 réseaux locaux. Devant ce chiffre, qui croît d’année en année, une seule obsession guide le Pentagone: l’optimisation de la bande passante. En ce sens, il a restreint plusieurs sites de streaming audio et vidéo, parmi lesquels YouTube (rien que ça), mais aussi Myspace, MTV ou Stupidvideos.com. Et en cas de dommage collatéral (l’argument numéro un des contempteurs du filtrage), le modus operandi est limpide… Le site bloqué est restauré.

Addendum: Depuis 2000, le Children’s Internet Protection Act (CIPA) requiert des écoles et des bibliothèques américains qu’elles installent des logiciels de filtrage pour protéger les enfants. En 2006, un député a tenté de déposer un amendement, le Deleting Online Predators Act (DOPA). Toujours examiné par la FCC, l’agence de régulation des télécoms, il voudrait étendre le filtrage à tous les réseaux sociaux et autres chat rooms. Ca vous rappelle la Loppsi 2? Ca montre surtout la schizophrénie américaine en matière de sécurité informatique.

Crédits photo Flickr CC par gregwest98, Laughing Squid

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