Fabrique du vertige

Le 28 janvier 2010

Mise en ligne le 15 décembre dernier, beaucoup citée depuis, la vidéo « The Known Universe » a déjà été visionnée plus d’un million de fois. [...] Le modèle de cette séquence est le génial "The Powers of Ten", réalisé en 1977 pour IBM par les designers Charles et Ray Eames, longtemps projeté dans tous les musées des sciences du monde.

Mise en ligne le 15 décembre dernier, beaucoup citée depuis, la vidéo « The Known Universe » a déjà été visionnée plus d’un million de fois. Proposée par l’American Museum for Natural History pour l’exposition « Visions of the Cosmos. From the Milky Ocean to an Evolving Universe » (Rubin Museum of Art, NY), cette séquence s’inscrit dans la lignée des icônes métamorphiques, dont la « marche du progrès » fournit un exemple canonique. Sur le mode d’un zoom arrière et retour, elle dessine une promenade jusqu’aux confins de l’univers, en situant dans le temps et dans l’espace un ensemble d’informations qui synthétisent l’état présent des connaissances astronomiques.

Le modèle de cette séquence est le génial “The Powers of Ten” , réalisé en 1977 pour IBM par les designers Charles et Ray Eames, longtemps projeté dans tous les musées des sciences du monde. Ce film exemplaire propose une figuration rigoureuse de la vieille méditation pascalienne des deux infinis, qui recourait déjà, par la narration, au même principe d’un rapide déplacement d’échelle.

« Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et plaine majesté, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. (…) Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il connaît les choses les plus délicates. Qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours; il pensera peut-être que c’est là l’extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l’univers visible, l’enceinte de ce raccourci d’atome. Qu’il y voie une infinité d’univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné. » (Blaise Pascal, Pensées, 1670)

Même amputée de son volet microscopique, la mise en relation accélérée d’un repère à l’échelle humaine avec une proportion incommensurable produit cet effet de vertige mental que recherchait Pascal. Un effet propice à la réflexion sur la relativité des choses, dont on peut retrouver aujourd’hui la trace dans les réactions que suscite le film de l’American Museum for Natural History (ainsi tigerboy67: « In the face of this vastness, what am I? Nothing. What are you? Nothing. What is everything human beings have ever thought or accomplished? Almost Nothing. What do our religions mean? Nothing. What do we know? Next to nothing. Nothing at all.« )

Zoom final dans Men in Black (Barry Sonnenfeld, 1997).

Zoom final dans “Men in Black” (Barry Sonnenfeld, 1997).

Face aux icônes traditionnelles du photojournalisme, de telles images ne suscitent habituellement qu’une attention distraite. Pourtant, de Men in Black à Google Earth, on retrouvera de nombreuses traces de l’effet de zoom de « Powers of Ten » dans la culture populaire. Citations qui attestent que la puissance d’évocation et l’apparente évidence de ces constructions visuelles, appuyées sur l’autorité de la science, contribuent abondamment à forger notre compréhension du monde (via Patrick Peccatte).

» Article initialement publié sur Culture Visuelle

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