OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’Iran étrangle Internet http://owni.fr/2012/02/13/iran-etrangle-internet-filtrage-dpi/ http://owni.fr/2012/02/13/iran-etrangle-internet-filtrage-dpi/#comments Mon, 13 Feb 2012 11:14:07 +0000 Pierre Alonso, Sabine Blanc http://owni.fr/?p=98208

Je ne pouvais pas entendre sa voix, son visage ressemblait à une peinture cubique.

Samedi soir, Farnaz Seifi, une journaliste et blogueuse iranienne installée en Allemagne, a essayé d’appeler son frère en Iran par Skype, comme à son habitude. En vain : la République islamique d’Iran a lancé une nouvelle vague de censure contre Internet depuis jeudi dernier.  Sur les réseaux, des milliers d’Iraniens signalent ne plus pouvoir accéder à Facebook, Gmail ou Yahoo. Selon une agence de presse iranienne, 30 millions d’Iraniens auraient perdu leur accès à leur service mail, soit un tiers de la population.

Même le recours à des moyens de contournement de la censure – proxies ou Tor – serait inutile. Un mot-clé a été lancé pour l’occasion sur Twitter, filternet. En ligne de mire : les sites nécessitant une connexion sécurisée, utilisant le protocole SSL.  Selon les hacktivistes du projet Tor, les autorités iraniennes censurent le réseau de trois façons.  En scrutant en profondeur les connexions via la technique du deep packet inspection, en bloquant directement certaines adresses IP et en filtrant certains mots-clés.

La lenteur du débit est telle que “consulter ses emails devient presque un défi, détaille Farnaz. Mon frère ouvre Gmail, va se faire du thé, revient et la page d’accueil se charge toujours.” Une expérience qu’a également connu le correspondant du Washington Post en Iran, Thomas Erdbrink, et qu’il relate en 140 caractères :

Gmail a été bloqué toute la journée en Iran, c’est arrivé avant mais maintenant que les VPN fonctionnent si mal, c’est très ennuyeux.

Selon Farnaz, les autorités s’en sont aussi pris aux antennes paraboliques. La jeune femme raconte que les autorités vont aussi de maison en maison pour les réduire en morceaux. L’accès à l’information est tellement restreint que de nombreux Iraniens “twittent que notre pays sera bientôt semblable à la Corée du Nord, coupé du reste du monde”, se désole-t-elle.

Aide extérieure

La communauté de Tor a rapidement réagi après le début de cette offensive. 50 à 60 000 utilisateurs de Tor en Iran pourraient être victimes de la censure, selon Jacob Appelbaum, un des fers de lance du projet. Vendredi, il a lancé un appel :

Aidez les internautes iraniens à se connecter [...] Nous disposons de peu de détails, mais nous travaillons sur certaines solutions.

L’équipe d’activistes affirment disposer d’un jocker : un pont Tor (programme intermédiaire entre l’utilisateur et le serveur auquel il veut se connecter) qui permet de faire du “camouflage de trafic”. Reste aux volontaires à le déployer.

Filtrage massif

Contrairement à l’Égypte ou à la Syrie, le régime iranien ne semble pas avoir coupé l’accès du pays au réseau mondial. Le niveau du trafic entrant et sortant reste stable. Les chiffres de Cedexis, une entreprise spécialisée dans la mesure du trafic, ne montrent pas de rupture autour du 9 février. Le filtrage était donc ciblé, ce que confirme le Transparency Report fourni par Google. Entre le 9 et le 10 février, Gmail n’est plus accessible quand les autres services de Google le demeurent.

Transparency Report de Google sur l'utilisation de Gmail en Iran

Ce n’est pas la première fois que les autorités de Téhéran entendent en finir avec la messagerie de Google. L’année dernière, elles avaient annoncé leur intention de bloquer définitivement Gmail et de le remplacer par un service national. L’annonce, comme souvent, n’avait pas été suivie d’effet, mais avait fait planer des doutes sur la confidentialité des échanges sur une messagerie gérée par les autorités.

Élections en mars

Dès juin 2009, Téhéran avait fait les frais de l’utilisation des réseaux par les manifestants au lendemain de l’élection jugée frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad. La répression s’était alors abattue dans les rues et sur Internet. Depuis, aucune importante échéance électorale n’a eu lieu, les élections municipales étant reportée sine die depuis juillet 2010. Le 2 mars, les Iraniens se rendront aux urnes pour une autre élection, les législatives.

Les réformateurs ont annoncé leur intention de boycotter le scrutin. Mehdi Karoubi, l’un des chefs de file du mouvement vert, le mouvement d’opposition née au lendemain de la réélection d’Ahmadinejad, avait vivement critiqué fin décembre une parodie :

Les autorités ne croient pas au vote populaire et préparent une élection factice.

L’opposition a d’ailleurs lancé un appel à manifester. L’année dernière, le 14 février, 25 Bahman au calendrier iranien, avait été le dernier rassemblement du mouvement vert, organisé ce jour-là en soutien aux révoltes arabes. Le filtrage massif d’Internet est sans doute une réponse à ce nouvel élan des réformateurs. “L’opposition en exil a fait une déclaration et a demandé aux gens de sortir dans la rue pour protester ce mardi, explique Farnaz Seifi. Ils l’ont déjà fait à de nombreuse reprises auparavant, à chaque fois que  Moussavi et Karoubi demandent de manifester, ils bloquent l’accès des internautes à la plupart des sites et réduisent le débit autant qu’ils peuvent.”

Pour verrouiller cette poussée de révolte, la coercition traditionnelle a aussi été employée. “Ces derniers jours, ils ont convoqué des prisonniers politiques et des manifestants qui étaient détenus brièvement, rapporte Farnaz Seifi, et les ont forcés à promettre de ne participer à aucune manifestation durant cette période.”

Internet Halal

Ce regain de censure fait resurgir un vieux serpent de la dictature : la mise en place de l’Internet halal. Autrement dit, un Intranet géant, un “Internet national”, comme on l’appelle aussi. “Certains spécialistes estiment qu’ils ne peuvent pas bâtir un Intranet, en raison du manque d’équipement et de technologie, raconte Farnaz Seifi. Mais le ministre de la communication et de la technologie a affirmé plusieurs fois qu’ils travaillent dessus, et que l’accès à tous les sites ‘mauvais et diaboliques’ comme Facebook ou Twitter sera bloqué.”

Interrogé par Rue89, Reza Moini, responsable de l’Iran pour Reporters sans frontières, estime que cet Internet halal était bien en route :

On va de plus en plus vers un Internet national. Selon mes informations, certains endroits peuvent encore avoir accès à Internet, comme les grandes sociétés et les banques. Ils veulent de plus en plus séparer ces deux parties : un Internet filtré et à bas débit pour le peuple, et un autre pour les notables et les grandes entreprises.

Côté filtrage, le régime peut compter sur les technologies occidentales. Plusieurs entreprises ont été montrées du doigt pour avoir vendu du matériel de censure à la République islamique. En 2009, le rôle de Nokia et Siemens avait été dénoncés, de même qu’une entreprise irlandaise, AdaptiveMobile Security. Plus récemment, c’est une firme israélienne, via une entreprise danoise, qui a éveillé les soupçons. Allot Communications vendait des services d’interception des communications électroniques et des SMS. La  semaine dernière, Le Canard Enchainé révélait que le groupe Bull, dont fait partie Amesys, possède une succursale dans le pays depuis quelques années. Amesys, bien connue pour vendre à des gouvernements pas très démocratiques des solutions pour censurer le Net.


Illustration par Eric Drooker via Isaac Mao/Flickr (CC-by)

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Liberté, je chiffre ton nom http://owni.fr/2011/03/01/liberte-j%e2%80%99encrypte-ton-nom/ http://owni.fr/2011/03/01/liberte-j%e2%80%99encrypte-ton-nom/#comments Tue, 01 Mar 2011 07:58:58 +0000 diane de sysop http://owni.fr/?p=49032 Internet aurait joué le rôle de moteur lors des révolutions en cours dans les pays arabes. Des thèses, plus ou moins convaincantes, tentent de cartographier l’impact de Twitter ou de prédire l’avenir politique du geek Wael Ghonim, devenu égérie de la dissidence numérique. Il faudrait peut-être renverser la perspective : garder aux hommes leurs actes, et à Internet sa fonction d’outil. Et si c’étaient en revanche les événements – et ce malgré l’incertitude qui les accompagnent encore aujourd’hui – qui réveillaient l’avenir de la liberté du web ?

Le paradoxe a voulu que, lorsque le pouvoir égyptien a coupé Internet au titre de la répression, ses citoyens ont redécouvert les modems bas débit ou activé le partage des dernières connexions encore en activité. Et par rebonds, les détournements offerts par un retour à la Low Tech ont bousculé les habitudes. Alors que l’action des Anonymous (selon leurs dires, groupe de « hackers on steroïds ») a prouvé sa limite dans le cas d’une censure à grande échelle, des applications peu connues, destinées à un public réputé initié, sortent du bois.

«Et par le pouvoir d’un mot» : aLiveIn

Faites un pas, ne soyez pas effrayés; c’est une révolution, pas un jeu d’enfants ! Bougez-vous ! Que la paix soit avec vous ! [Voice-to-Tweet, 11 février 2011]

Le 31 janvier, alors que la révolution avait commencé en Égypte depuis cinq jours et que le dernier opérateur Internet venait de cesser d’émettre, Google, Twitter et SayNow se sont associés pour lancer le service Voice-To-Tweet, qui permet, à travers des numéros internationaux, de laisser des messages vocaux repris non seulement sur Twitter, mais également sur AliveIn, entièrement dédié aux révolutions arabes.

Cette évolution technologique, qui permet de contourner l’absence d’accès à Internet, est, à elle seule, le fil émouvant d’échanges incertains. Quelques mots lâchés à toute vitesse depuis Le Caire, prières et discours prêchés au long cours via des lignes plus confortables aux quatre coins du globe, jusqu’aux youyous de la victoire.

C’est désormais, avec les violences et incertitudes de la situation libyenne, une des premières sources d’information à avoir attesté de bombardements de civils, via le fil AliveInLibya. Angoisse, souffles, colère : ce n’est pas seulement l’information partagée qui importe, c’est qu’elle prenne corps : les manifestants, leur entourage, y inscrivent une parole plus souple que les tweets.

Peut-être parce qu’ils sont plus nombreux à pouvoir y avoir accès. Peut-être parce qu’ils ont moins peur d’y être reconnus, car les messages ne nécessitent pas de pré-enregistrer un profil. Peut-être parce que ce qui a d’abord été pensé comme une solution de repli a soudain permis de littéralement donner de la voix, de chanter, et, aussi, car la pudeur n’est pas de mise, d’appeler au secours la communauté internationale.

« …Bien au-dessus du silence… » : la crypto pour tous

The greater story of my life has been the story of a giant pendulum swinging back and forth along a metaphorical axis of desire.
[Moxie Marlinspike]

Quand la censure est forte et pour les dissidents les plus surveillés, ce système non chiffré n’est pas nécessairement une protection suffisante. Que se passe-t-il quand toutes les communications peuvent être interceptées ? Là encore, les révolutions en cours ont incité les hacktivistes à mettre à disposition leurs moyens de passer outre. Le hacker américain Moxie Marlinspike, aux dreadlocks aussi longues que ses talents de cryptographe qui lui valent parfois la curiosité des autorités, a développé un système de chiffrement des échanges voix et SMS par VOiP présenté aux États-Unis en 2010.

Il a choisi toute séance tenante de mettre son application à disposition gratuitement en Égypte, ce qui nécessitait une autorisation d’exportation et une mise aux normes pour fonctionnement local (il semble que ses efforts n’aient finalement pas servi, Moubarak ayant quitté le pouvoir au même moment).

TextSecure et RedVoice ont pour l’instant deux limites : il faut un accès de type réseau 3G ou Wifi et un terminal mobile compatible avec Android. Il est facile de sourire à l’idée qu’avec 3% d’utilisateurs mobiles utilisant Androïd au Moyen-Orient, ça ne sert à rien, ou à bien peu. C’est vrai. Mais en Chine, Androïd domine un  marché de 800 millions d’utilisateurs. Par exemple.

« Sur la mousse des nuages… » : détourner la Nébuleuse.

Engineers sometimes mystify what they do, as a form of job security. I prefer to make light of it, so more people will be tempted to give it a try. [Dave Winer]

Lorsqu’il s’agit d’imaginer comment contourner la censure à grande échelle, il faut aussi faire confiance aux pionniers : dépasser les barrières, ils ont eu cela dans le sang avant l’invention du Apple II (1977). C’est le cas de Dave Winer. Dave Winer fait partie de ces génies d’une ancienne génération, qui se définissent comme « entrepreneurs », sont politiquement libéraux, philanthropes et engagés, n’ont pas de Facebook même s’ils n’ont rien contre – et ne s’entendent pas forcément entre eux.

Dave Winer a un autre trait de personnalité très caractéristique des nerds : il est un peu parano sur la sécurité et la vie privée. Quand ce genre de personnage annonce qu’il faut créer des réseaux hébergés par le cloud (virtualisation des données, comme le EC2 Amazon et la version libre OpenStack) qui résistent à une panne ou censure localisée, il est tentant de le croire, même si on ne comprend pas tout.

Dave Winer

Il appelle ça des Fractional Horsepower News Networks : des réseaux d’information indépendants, qui ne pourraient être court-circuités que par un arrêt complet, international, des connections Internet, puisqu’ils sont délocalisés, immatériels. L’idée de détourner la nébuleuse pour y construire son petit coin de paradis (un serveur), dédié au partage d’informations et de connaissances accessibles au plus grand nombre sans contrainte technique majeure, a de quoi faire rêver. Et pas nécessairement que rêver. Dave Winer, « computer poet »,  est le père de deux petites inventions dont vous avez peut-être entendu parler : le podcast et le blog.

Aucune de ces technologies, prise isolément, ne peut avoir un impact suffisant sur la circulation de données ; de même qu’Internet ne garantit pas, hélas, une issue heureuse aux soulèvements en cours. C’est leur combinaison, leur multiplication, et leur articulation à d’autres mécanismes, dont le célèbre TOR, qui peut permettre de contourner les grandes murailles des pare-feux et faire émerger la prise de paroles.

Avec l’avènement des révolutions orientales, Internet s’éprouve comme un eldorado pour la mètis, cette ruse chère à Ulysse. Et les chevaux de Troie, soudain, deviennent monture pour les ninjas.


crédits photo via Flickr: Encrypted VPN par Loppsilol [cc-by] ; Numbers by Pink Sherbet Photography [cc-by] ; Dave Winer par Joi Ito [cc-by] ;

Retrouvez les autres articles du dossier :
Les Anonymous dans l’agenda politique et Les Anonymous sautent sur Téhéran

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