OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Srdja Popovic communique la révolution http://owni.fr/2011/03/24/srdja-popovic-communique-la-revolution/ http://owni.fr/2011/03/24/srdja-popovic-communique-la-revolution/#comments Thu, 24 Mar 2011 07:30:25 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=52622

Un poing serré sur fond noir. Derrière ce symbole, exhibé en Égypte ces dernières semaines après l’avoir été en Géorgie, en Ukraine et en Serbie, une voix grave et sûre d’elle-même. Celle de Srdja Popovic, fondateur d’OTPOR et actuel directeur du Centre for Applied Non-Violence And Strategies (CANVAS), passé de l’activisme à l’enseignement de la lutte non-violente.

Fin octobre 1998, il fonde OTPOR, “résistance” en Serbe, avec une quinzaine d’autres amis. Le groupe rassemble des étudiants en lutte contre la dictature de Milosevic. Popovic a 25 ans. Il n’en est pas à son coup d’essai.

Back to Yougoslavia, 90s

Srdja est né en 1973 dans une famille de journalistes. Son père et sa mère travaillent pour la télévision nationale yougoslave. Fier, il rappelle que son père a été blessé sur un champ de bataille pendant la guerre du Liban, qu’il est le seul journaliste yougoslave à avoir rencontré des leaders de premier plan de l’IRA, le groupe armé indépendantiste irlandais.

Srdja Popovic s’engage tôt en politique, après un bref détour par la musique : deux albums et quelques concerts parce que “c’était la façon d’être branché” résume aujourd’hui Popovic l’enseignant établi. Le 9 mars 1991, quand 100 000 opposants descendent dans la rue pour dénoncer le régime de Slobodan Milosevic, il découvre la politique. Et la répression sanglante. Il est alors au lycée mais décide de s’enrôler dans le parti démocrate. Fin de l’acte I, la vie bohème d’un jeune yougoslave de la classe moyenne intellectuelle.

Commence une période d’engagement politique actif au sein des institutions. Après la guerre, il est le plus jeune élu de l’assemblée municipale de Belgrade en 1996, au terme d’une “élection volée” précise-t-il, quinze ans après. Pendant l’hiver 1996-1997, l’opposition serbe défie le pouvoir lors de manifestations quotidiennes. Il y participe et découvre le militantisme de rue, s’essaie aux happenings qui feront le succès d’OTPOR quelques années plus tard.

On se foutait de la gueule du gouvernement, on jouait au chat et à la souris avec la police, on posait pour les journalistes.

Capter l’attention médiatique, utiliser les ressorts de la communication : les bases d’OTPOR sont posées.

OTPOR est une alliance savante des théories de la résistance non-violente et des techniques modernes de communication bien rôdées. Les membres d’OTPOR ne vont pas à l’affrontement, ils ridiculisent les forces de sécurité. Comme avec l’opération “un dinar pour un changement” lancée en novembre 1999. Sur un tonneau en ferraille est collée une photo de Milosevic. Les passants sont invités à frapper la cible avec un bâton, en échange d’un dinar. La performance plaît. La police est obligée d’intervenir, et arrête le tonneau en l’absence des organisateurs, fondus dans la foule. Popovic, dans un entretien accordé à OWNI :

Au moment de lancer OTPOR, nous avions déjà une énorme expérience de la lutte non-violente.

Baigné de non-violence

Pendant deux ans, OTPOR lutte contre Milosevic. Premier ingrédient : se doter d’un logo très graphique que tout le monde reconnaît d’un coup d’oeil. Nenad Petrovic, connu sous le pseudo de Duda, propose le poing serré sur son fond noir. Banco. Il est graphique, facile à reproduire sur les murs avec des pochoirs, symbolise l’activisme en faisant un pied de nez aux mouvements fascistes qui tendent le bras et la main. Très efficace, donc. Le mouvement croît rapidement. En témoigne la répression qui s’abat sur lui. Srdja Popovic est arrêté le 15 décembre 1998 pendant quelques heures. La nouvelle se répand très vite via Internet. Les organisations de défense des droits humains font pression et obtiennent sa libération. La force du réseau, déjà.

Deuxième ingrédient : la non-violence. OTPOR se fait le chantre des idées de Gene Sharp, théoricien américain de la lutte non-violente et auteur de l’ouvrage De la dictature à la démocratie, traduit en 25 langues. Sans refuser le rapprochement avec cet idéologue, Srdja Popovic précise d’emblée qu’il était imprégné par le pacifisme depuis longtemps :

Tito, le président de la Yougoslavie, faisait partie du mouvement des non-alignés pendant la guerre froide, tout comme l’Inde. On a été exposé aux idées de Gandhi depuis notre plus jeune âge, ça faisait partie de notre éducation.

Gene Sharp reste un inconnu jusqu’en 2000. Deux mois avant la chute de Milosevic, Robert Helvey, co-auteur et co-théoricien de la lutte non-violente avec Sharp, vient en Serbie pour professer son savoir. Helvey, c’est un peu l’ombre de Gene Sharp. Le premier se cache, l’autre se montre. Colonel de l’armée américaine à la retraite, il est envoyé à Belgrade par l’International Republican Institute, une fondation liée au parti conservateur américain. “L’expérience a été décisive” expliquait Srdja en 2005 à Manon Loizeau, auteure du documentaire “États-Unis, à la conquête de l’Est”. Aujourd’hui, il insiste sur la période Gandhi et auto-formation des années 1990. Comme pour anticiper d’autres questions qu’ils n’aiment pas. Comme pour répondre à ceux qui ont montré les liens étroits qu’il entretenait avec les programmes de démocratisation du gouvernement américain. Srdja, grand blond au visage aiguisé, maîtrise aujourd’hui sa communication.

L’Américain ?

Helvey n’a pas seulement aidé OTPOR à triompher, il en a aussi fait un diffuseur de ses théories. Le triptyque mouvement étudiant/marketing/non-violence surgit au début des années 2000 en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan. À chaque fois, le scénario est le même. Un groupe d’étudiant choisit une couleur ou un symbole et porte la contestation non-violente.

L’ombre d’OTPOR plane au-dessus de ces révolutions de couleur. Popovic n’était pas loin. Il avait donné un stage en Ukraine en 2004.

Entre temps, il a créé un centre de formation, le Centre for Applied Non-Violence and Strategies. L’idée lui est venue en 2003 après un séjour en Afrique du Sud. Il y formait des Zimbabwéens en lutte contre Robert Mugabe, pur produit des dictatures post-coloniales africaines.

On a réalisé que la révolution non violente serbe était une marque internationale très puissante, bien plus puissante qu’on ne l’avait imaginé.

La décision est prise : il se consacre à l’enseignement et abandonne sa vie politique. Il démissionne de son poste de député du parti démocrate en 2004. CANVAS est créé avec Slobodan Djinovic, un ancien d’OTPOR qui a fondé l’un des premiers fournisseur d’accès internet (FAI) serbes en 2000.

CANVAS attire l’attention. Derrière le poing noir se cache bien souvent des financements américains. Dès 2000, Roger Cohen, journaliste au New York Times révélait les financements américains d’OTPOR [en], via le National Endowment for Democracy (NED) lui-même financé par le Congrès. Lors du sommet États-Unis-Russie de Bratislava en 2005, George Bush rend hommage aux leaders des mouvements étudiants victorieux, assis à la tribune d’honneur. Srdja Popovic était présent.

Le communicant

L’internationale de la lutte non-violente a fait long feu. Popovic est aujourd’hui prudent quand il évoque les autres révolutions, surtout depuis la chute d’Hosni Moubarak. Après cinq ans de discrétion, le poing serré d’Otpor est réapparu dans les rues du Caire. Popovic avait bien suivi la révolution avortée du Safran en Birmanie en 2007, mais elle n’avait pas triomphé de la junte au pouvoir.

Avec un discours bien construit digne d’un communiquant gouvernemental, il explique que “les médias nous ont accordé trop d’importance, 100% du crédit doit revenir aux Égyptiens“. Mohammed Adel du Mouvement du 6 Avril joue un rôle de premier plan dans la révolution en février. Il a suivi un stage au CANVAS pendant l’été 2009. Popovic est “fier” de leur succès, “les suit avec beaucoup d’intérêt” et rejette préventivement les accusations d’interférence :

Notre propre expérience nous a appris que les intrusions étrangères faisaient partie du problème, pas de la solution.

Circulez, il n’y a rien à voir.

Même concision sur les sources de financement. Srdja Popovic affirme recevoir uniquement des fonds privés. Sa voix a toujours la même assurance, le ton grave légèrement fissuré par une pointe d’énervement contenu.

Nous n’acceptons pas de financements gouvernementaux ou liés à des gouvernements.

En vrac, il cite l’OSCE, le PNUD, Amnesty International. Plus de quinze ONG à travers le monde qui l’invite à donner des conférences. Et Freedom House, une ONG financée par le gouvernement américain. Une faille dans le discours du communicant ?

Crédits Photo CC : Wikimedia Commons Le serbe // FlickR mr.beaver / Lincolnian (Brian) – BUSY / padwilks

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Serbie: Faites du foot, pas la guerre http://owni.fr/2011/01/28/serbie-faites-du-foot-pas-la-guerre/ http://owni.fr/2011/01/28/serbie-faites-du-foot-pas-la-guerre/#comments Fri, 28 Jan 2011 13:35:42 +0000 Anaïs Llobet http://owni.fr/?p=44230 Dix ans après les guerres qui ont ravagé les Balkans, la Serbie n’est toujours pas en paix. La preuve avec son football, malade de l’hooliganisme : pas de match sans bagarres, émeutes ou drapeaux d’anciennes provinces serbes brûlés… En septembre 2009, un supporter toulousain, Brice Taton, était tombé sous les coups des hooligans serbes. Alors que des peines de 4 à 35 ans de prison ont été prononcées contre les responsables de sa mort, retour sur le football serbe, rêvé comme instrument de paix et devenu arme de guerre.

Comme chaque samedi, la petite Jelena joue au football. Elle s’échauffe, puis se lance sur le terrain avec entrain. Première passe à Hazema, une Bosniaque musulmane. Deuxième passe à Alena, une orthodoxe de Bosnie. Jelena aussi est orthodoxe, mais d’origine serbe.

Son coach, Simo Tumarčić, sait que la scène n’est pas banale. Il est très fier de ses petites protégées. “Depuis le début, il n’y a eu aucune dispute, aucun incident”, explique-t-il en souriant. “Les filles sont très unies entre elles”. Simo, 30 ans, est bosniaque. S’il a décidé d’entraîner cette équipe multiculturelle, c’est parce que l’Association Cross Cultures Project (CCPA) le lui a proposé, avec un bon salaire à la clé. Mais aussi parce qu’il est convaincu qu’ “à travers le football, les enfants peuvent dépasser la haine de leurs parents, la haine de la guerre”.

Renouer le dialogue grâce au football

Une guerre qu’a bien connue Anders Levinsen, le fondateur danois de la CCPA. Pendant les deux conflits qui ont ravagé les Balkans de 1991 à 2001, il faisait partie des Casques Bleus de l’ONU chargés de pacifier la Bosnie et la Serbie. “Oui, j’ai vu l’horreur de la guerre, se souvient-il, mais j’ai surtout vu que la paix serait impossible tant que des plateformes de communication ne seraient pas reconstruites entre les anciens ennemis”.

Proposer des rencontres officielles entre les maires de deux villages, c’est encore un peu prématuré quand ils se sont entretués la veille. Alors, pour les réunir, il prend le prétexte du football. En 1999, à la frontière serbo-bosnienne, il organise une rencontre entre cent enfants serbes et cent enfants bosniens. Les équipes sont toutes multiculturelles. “C’était la fête, la paix retrouvée !, se rappelle-t-il avec joie. Il n’y avait pas que des enfants, mais aussi leurs parents, des gens qui faisaient office de coachs, d’arbitres ou de traducteurs. Et beaucoup de membres des administrations locales”.

Après la guerre, Anders Levinsen décide de continuer l’aventure. Il crée des Open Fun Football Schools et y entraîne des enfants serbes aussi bien que bosniens et bosniaques. Sans oublier les coachs, qui viennent de tous les Balkans. “Ce sont des écoles qui ont pour mission d’apprendre le football, mais surtout la paix”, souligne le Danois.

Le football, école de la paix… à condition qu’il n’y ait pas de matches

Pour Anders Levinsen, “le football, c’est l’instrument le plus facile et le moins cher pour faire la paix.” A une condition cependant : que les équipes ne s’affrontent jamais. Ainsi, pas de match de football à la CCPA. “Dès qu’on essaie d’en organiser un, il y a des problèmes, se justifie Anders Levinsen, les Serbes veulent jouer à part et les Bosniens aussi. Ca devient vite l’affrontement entre deux équipes et ça n’est pas notre conception du football”.

Bogdan, lui, a une autre conception du football. Bogdan est serbe, il a 28 ans et il refuse de donner des interviews autrement que par téléphone, via des cabines publiques qu’il quitte toutes les dix minutes pour s’assurer qu’il n’est pas suivi par la police. Bogdan est chômeur, ce qui lui permet d’être “hooligan professionnel”, comme il aime à le répéter. Pour lui, le football sans les matches, ce n’est pas du sport. “D’ailleurs, j’y connais pas grand chose au foot, la stratégie et tout ça. Moi ce qui m’intéresse,  c’est les matches, l’affrontement sur le terrain, la tension entre les deux équipes”.

Un prétexte pour faire la guerre

Bogdan soutient le Partizan, l’un des meilleurs clubs de Serbie. Chaque dimanche, dans les tribunes, Bogdan est au premier rang, il agite un drapeau soit aux couleurs du club, soit à celles du Kosovo, l’ancienne province serbe devenue indépendante en 2008. “Il n’y a pas un match où je ne finis pas par me battre avec un supporter de l’équipe adverse”, fanfaronne Bogdan. Les bagarres qu’il préfère ? “Celles avec les équipes de Bosnie, comme tout le monde : on préfère taper local. Brice Taton, c’était surtout une erreur de cible, même si ça devait servir à certains qui voulaient faire pression sur le gouvernement”, explique Bogdan.

Pour lui, les matches n’ont aucun enjeu sportif. Ils représentent un simple prétexte pour exister aux yeux des autorités. “Les matches, ça nous permet d’être visibles aux yeux des hommes politiques. On leur rappelle qu’on est là et que la prochaine fois qu’ils font la connerie de brader la Serbie, on brûlera plus qu’une ambassade”, explique-t-il. En février 2008, au lendemain de l’indépendance autoproclamée du Kosovo, l’ambassade américaine avait été incendiée lors d’émeutes réunissant des milliers de jeunes Serbes, menés par un noyau dur d’hooligans. Bogdan faisait partie d’entre eux. “Faut pas croire les médias, on est très populaires en Serbie”, affirme Bogdan. “On est comme une force politique, et notre seul programme, c’est de faire ce dont tous les Serbes rêvent : nous vengeons notre pays. Le football, c’est notre façon de faire la guerre”.

“Le football est souvent le microcosme de la guerre, remarque Franklin Foer, un miroir où se réfléchissent toutes les tensions de la société”. Auteur du bestseller Comment le football explique le monde, l’Américain est passionné par les relations incestueuses entre football et politique. Pour lui, “l’exemple le plus marquant en est la Serbie, notamment avec le match de 1990, qui annonçait la guerre” [voir encadré]. Parfois signe avant-coureur qu’un conflit est sur le point d’exploser, le football peut aussi être un acteur à part entière de ce dernier. Arkan, leader des supporters de l’Etoile Rouge avant que la guerre n’éclate, l’avait bien compris. Celui qui allait devenir l’un des principaux chefs génocidaires serbes formait les supporters au maniement des armes, sur les terrains mêmes du club. Lorsque la guerre a commencé, ces mêmes supporters ont très vite intégré la milice des “Tigres d’Arkan”, responsables de nombreux nettoyages ethniques au cours de la guerre.

Le football, des passions nationalistes refoulées

Alors le football, instrument de guerre plutôt que de paix ? Tout dépend qui manipule “cet instrument d’influence très puissant” pour Rubin Zemon, chercheur à l’Institut Euro-Balkan. Or, dans le cas des Balkans, “ce sont malheureusement les nationalistes qui savent le mieux s’en servir”, remarque le chercheur.

Dans la Yougoslavie dirigée d’une main de fer par Tito, les nations n’avaient pas le droit de cité ; encore moins lors des matches où s’affrontaient des équipes multiculturelles. Les drapeaux et autres symboles nationaux étaient immanquablement raflés par la police. Des passions nationalistes refoulées de force et qui ont fini par éclater lors des guerres des années 1990. “Après la guerre, elles ont envahi les stades”, explique Rubin Zemon. “Grâce à un discours qui mélange esprit revanchard et fierté serbe, les nationalistes ont réussi à séduire les jeunes des milieux défavorisés, ceux-là mêmes qui constituent le gros des supporters”.

Parmi eux, Emil*. Ce supporter de l’Etoile Rouge l’avoue volontiers, c’est dans les tribunes des stades qu’il s’est forgé une opinion politique. “Avant, je ne m’intéressais pas à la politique. Et puis avec d’autres supporters, on a commencé à en parler, à participer aux manifestations”, raconte Emil. “J’ai compris ce que ça voulait dire d’être serbe, j’ai compris que je me battrai toute ma vie pour que le Kosovo reste à nous et pour que les autres peuples nous respectent”. Même chose pour Bogdan. C’est dans les stades qu’il a appris les hymnes nationalistes et les frontières de la Grande Serbie, qui englobent le Monténégro, le Kosovo, la Macédoine, la Croatie, une partie de la Bosnie-Herzégovine et certains territoires albanais, roumains, bulgares et hongrois. “Dans les tribunes, j’ai appris ce qui fait de moi un Serbe”, lance Bogdan, non sans fierté.

“Le football canalise la violence”

Mais si Bogdan est devenu hooligan, “ce n’est pas seulement par conviction”, avoue-t-il à demi-mots. C’est aussi parce qu’à 28 ans, il n’a toujours pas trouvé de travail “et qu’il n’a que ça à faire”. Avec un chômage qui touche presque 30% de sa population active, la Serbie occupe la première place en Europe. “Mon pays, j’en suis fier mais c’est un cauchemar économique”, regrette Bogdan. “Le football me fait oublier que je n’ai pas d’avenir”, renchérit Emil, le jeune supporter de l’Etoile Rouge. Lui aussi vient des quartiers pauvres. Grâce à une bourse, il étudie dans l’une des meilleures facultés de Belgrade, mais sait que “ça ne servira à rien de toute façon”.

“Si les jeunes trouvaient du travail, il n’y aurait plus d’hooliganisme”, prédit Ivan Stojič, qui co-dirige l’équipe du football du FK Rad Belgrade, l’un des cinq meilleurs clubs serbes. “Après tout, les valeurs du football ne sont pas négatives en soi, elles permettent parfois aux jeunes de ne pas sombrer dans la drogue ou la criminalité”. Il ajoute : “les problèmes arrivent quand les jeunes n’ont pas grand-chose à faire d’autre que d’aller aux matches  parce qu’ils sont au chômage. Alors ils attendent chaque dimanche avec impatience – et ils se défoulent pendant le match…” Pour Franklin Foer, le chercheur américain, ce n’est pas plus mal que “le football canalise cette violence ». « Ce serait pire si elle sortait des stades”, souligne-t-il.

Un gouvernement complice ?

Sauf que la violence des supporters en sort souvent. Ne serait-ce que pour atteindre nos écrans de télévision, comme lors du match Italie-Serbie à Gênes, le 12 octobre 2010: les chaînes du monde entier retransmettent les images d’un jeune hooligan serbe qui brûle un drapeau albanais. Le match a tout de suite été interrompu.

Quelques jours plus tard, le journal serbe Politika révèle que pour cette nuit d’émeute qui a affolé l’Europe et mis en déroute la police italienne, les hooligans auraient été payés plus de 200.000 euros. “Par qui ? La mafia, les nationalistes ? Comme sur l’affaire Brice Taton, le gouvernement n’a pas l’air de vouloir mener l’enquête plus loin“, s’indigne Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans et historien spécialiste de la région. “Peut-être parce que ça ne déplaît pas au gouvernement qu’un drapeau albanais brûle sur tous les écrans de télévision ?” Dans une cabine téléphonique au fond de Belgrade, la voix de Bogdan l’hooligan serbe, revient comme en écho : “Nous faisons tout ce que les Serbes rêvent de faire : nous vengeons notre pays…”

* le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé

EMIL, 19 ans, supporter de l’Etoile Rouge : “Je serais capable de tuer pour protéger le club”

Je soutiens l’Etoile Rouge depuis toujours. Dans ma famille, on est supporters depuis sa création. Mon grand-père était l’un des premiers supporters de l’équipe ! Il me racontait qu’avant, les hymnes étaient surtout des chants de prolos – d’autant plus que l’Etoile Rouge est le “club du peuple”, tandis que le Partizan, nos ennemis, sont le “club des militaires”. Aujourd’hui, nos hymnes sont beaucoup moins communistes et bien plus nationalistes, tant mieux.

J’ai commencé à aller au stade à 14 ans, avec des amis. Aujourd’hui, j’y vais tous les dimanches. Je suis étudiant en marketing, à l’une des meilleures universités de Belgrade. Mais je m’en fiche de mes études, de toute façon elles ne me servent à rien. Je serai chômeur comme les autres. Ici la vie n’est pas seulement dure, elle est aussi très répétitive. Le match du dimanche, c’est vraiment notre seul plaisir de la semaine. Je deviendrais fou si jamais on m’empêche d’y aller ! On les attend avec impatience. Le pire, c’est le lundi : il reste six longs jours avant le match suivant, j’ai l’impression de devenir fou.

Tous les jours, je pense à l’Etoile Rouge, je chante nos hymne, je regarde nos vidéos, je répète nos slogans. Avec mes amis, on passe des heures à en parler, c’est la seule chose qui nous rende de bonne humeur. Avant les matches, on aime bien se réunir dans un bar pas loin du stade, on boit un verre pour chaque joueur de l’équipe, on se rappelle les plus beaux buts.

Comme tous mes amis, je suis un supporter à part entière. On nous appelle les Delije, les « braves ». L’Etoile Rouge, c’est ma vie. Franchement, je l’aime autant que j’aime mes parents, ma ville et mon pays. Je suis capable de tuer si on essaie de lui faire du mal. C’est comme si on touchait à ma famille. Je dois tout à l’Etoile Rouge : le club m’a appris à devenir un Serbe, mais aussi à devenir un homme.

Parfois, pour laver l’honneur de l’Etoile Rouge, je suis obligé de me battre. La semaine dernière, j’ai dû taper avec mes amis sur un gars du Partizan parce qu’il avait insulté notre club. On lui a cassé un bras et deux-trois côtes. Je n’aime pas forcément la violence mais pour l’Etoile Rouge, il ne faut pas me chercher, je suis capable de tout.

Propos recueillis par Anaïs LLobet

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Crédits photo: Flickr CC attawayjl, caitlinator, dustpuppy

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