OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mon stagiaire est un mutant, je l’ai trouvé sur Twitter http://owni.fr/2010/03/31/mon-stagiaire-est-un-mutant-je-lai-trouve-sur-twitter/ http://owni.fr/2010/03/31/mon-stagiaire-est-un-mutant-je-lai-trouve-sur-twitter/#comments Wed, 31 Mar 2010 17:27:10 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=11269 J’ai fait la connaissance de Christophe il y a quelques mois en m’abonnant à son compte Twitter : @FoireauxLiens. J’avais repéré ses tweets d’actu qui tombaient chaque jour avec la régularité maniaque d’un fil d’agence en faisant ma petite revue de presse matinale sur ce fameux site de micro-blogging où l’on poste des messages en 140 signes en y associant des liens internet.

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Twitter est devenu un outil de veille indispensable à mon métier de journaliste… voire une drogue dure, je vous en ai déjà parlé. Alerté à deux ou trois reprises sur des “hot news” techno (la sortie imminente du GooglePhone par exemple) grâce au fil de Christophe, je me suis dis ce gars-là est un crack, une vraie moissonneuse à liens intéressants, une agence de presse à lui tout seul ! Sûrement l’un de ces jeunes journalistes web aux dents longues qui sont en train de nous pousser, moi et mes copains quadras, vers le cimetière des éléphants de l’ère Gutenberg…

Je ne l’avais jamais rencontré “IRL” (In Real Life), juste quelques clins d’œil échangés sur Twitter. Et voilà qu’un beau jour je reçois un “DM”, un direct message de Christophe me demandant poliment si d’aventure il pourrait faire un stage dans mon service aux “Échos”.

Ah bon OK me dis-je, ce gars doit être étudiant en école de journalisme. Je lui demande son CV, références, stages déjà effectués blablabla… Un blanc au bout du fil… “Heu je suis en 3ème, mais je veux devenir journaliste…”, me répond-il. Christophe a 15 ans, il vit en banlieue parisienne. Je manque de tomber de ma chaise, me ressaisis et lui dis “OK coco tu as le job”… à savoir une semaine de stage conventionné. Certes, c’est la crise de la presse, on n’arrête pas le progrès, mais chez nous on ne fait pas encore dans le mineur de 15 ans menotté à son clavier pour pisser de la copie sur tous les supports… Mais bon, tant qu’à faire, puisque je l’ai sous la main cette semaine, autant l’exploiter un peu sur mon blog !

Christophe n’est-il pas l’un de ces jeunes mutants numériques qui n’ont plus assez d’yeux pour zapper sur la multitude d’écrans de notre merveilleuse société de consommation high-tech ? Intéressant sujet d’expérience : soumettons-le à la question pour savoir comment, lui et les djeun’s en général, consomment les médias.

L’exercice est très à la mode depuis que la banque Morgan Stanley a demandé l’été dernier au jeune Matthew, 15 ans, de se livrer à cet exercice pour tenter d’y voir plus clair sur la manière dont les vieux médias, totalement largué par la révolution Internet, peuvent survivre au Big Bang numérique… J’ai d’ailleurs piqué l’idée à ma consœur Marie-Catherine Beuth qui a déjà soumis son stagiaire au questionnaire de Morgan Stanley sur son blog Etreintes Digitales.

Mais assez bavardé, voilà donc l’Oracle de Christophe, 15 ans, “digital native” de son état :

Internet est le premier média… “Les jeunes de ma « génération », celle de 1992 -1994 , sont nés avec Internet. Mais nous n’utilisons pas tous Internet de la même manière. Pour moi qui suis passionné par l’informatique et le journalisme, Internet est le premier média. Pour d’autres, c’est la télévision. Ou encore les jeux vidéos. J’utilise beaucoup Twitter car je trouve que c’est un « outil » énormément utile. Et pour énormément de choses. Twitter m’a permis d’approcher l’actualité d’une manière inédite. De parler avec des gens qui ont les mêmes centres d’intérêt que moi. Bref, de faire des choses que je n’aurais pas pu faire facilement à mon âge… Comme s’improviser journaliste par exemple. Internet me permet, rapidement et gratuitement, d’accéder aux nouvelles, dans le monde entier. Si quelque chose m’intéresse particulièrement, je peux trouver toutes les infos sans aucun problème. Ce qui n’est pas possible sur les autres médias”.


90 % de mon temps sur Twitter : “Twitter m’a même permis de trouver un stage aux Échos. C’est bien utile. Pour partager, discuter, rencontrer. Ça reste mon premier outil sur Internet. J’y suis quasiment 90% de mon « temps Internet », voir plus. « Temps Internet » qui est de l’ordre de deux à trois heures par jour pour les jeunes en général… et jusqu’à cinq à six pour les plus connectés, comme moi par exemple.”


Facebook m’inquiète
“Facebook est beaucoup plus utilisé que Twitter par les jeunes. « T’as Facebook ? », un peu marre d’entendre ça. « T’as pas Facebook ? », ça aussi. Certains passent 80 % de leur temps Internet sur Facebook et pensent que je n’ai pas envie de partager mon profil avec eux. Mais en voyant moi ce qu’ils partagent sans se soucier une seconde de leur vie privée, je trouve cela vraiment inquiétant. Donc j’évite, et j’ai lâché cette connerie depuis quelques mois”.

MSN pour rester en contact
“En revanche je laisse ma messagerie MSN connectée en permanence pour rester en contact avec quelques amis s’ils ont besoin de me joindre. Quand aux mails, les jeunes ne s’en servent pas, ils préfèrent la messagerie instantanée ou les SMS. Moi je trouve cela bien utile quand même car je peux archiver ce que je reçois et m’en resservir”.

Je regarde peu la télévision…
“Franchement, la télé ça ne m’intéresse pas beaucoup. Je préfère aller sur Internet. Si j’ai envie de voir une vidéo, je vais sur YouTube. Si un sujet d’actualité m’intéresse, il y a bien plus de chose sur YouTube qu’à la télévision : des images venues du monde entier et aussi des images tournées par des gens ordinaires qui ne sont pas forcément des journalistes. Je ne m’intéresse presque pas aux films, je préfère les documentaires qui parlent de la vie réelle et savoir ce qui se passe dans le monde. Du coup, je n’utilise pas les sites pour télécharger des films ou des séries. Mais d’autres le font beaucoup, c’est bien connu. ;-)”


Les jeunes n’achètent pas de journaux :”Ici aux Échos, j’entends parler d’inquiétudes pour l’avenir des journaux papier avec Internet. Je n’étais pas vraiment au courant de tout cela. Mais c’est vrai les jeunes n’achètent pas de journaux car cela coûte cher et c’est moins pratique. Pour s’informer, ils vont sur Internet parce que c’est gratuit, facile, mais ils sont un peu agacés quand il y a trop de publicités comme par exemple sur 20minutes.fr. Moi j’achète de temps en temps des journaux comme Le Monde ou Le Figaro. Dans la presse papier, la qualité des articles est nettement meilleure que sur le web en général. Et il y a plus d’informations, d’analyses, de contexte. Beaucoup moins de copies de dépêches d’agences de presse. Le problème c’est que pour s’abonner, il faut passer par un adulte… C’est assez bloquant. Pour que les jeunes s’intéressent aux journaux, il ne faut pas forcément inventer des journaux interactifs sur Internet mais plutôt leur faire des offres spéciales ou leur faire découvrir la presse de l’intérieur. Ce qui serait sympa ça serait de voir un peu plus comment ça marche dans les rédactions, ce genres de trucs, mais malheureusement ce secteur-là est très fermé, surtout quand on habite en banlieue…”.

Décryptage :

OK Christophe n’est pas représentatif de jeunes de son âge. Bien qu’il s’en défende, c’est un vrai “geek” qui préfère son écran d’ordinateur à la télévision au point d’y passer plusieurs heures par jour quand d’autres vont taper dans le ballon.

C’est un sur-consommateur d’Internet, l’un des rares ados que l’on croise sur Twitter (un média essentiellement utilisé par les journalistes, les technophiles et les blogueurs, sinon on en parlerait moins). C’est aussi un accro à l’info, un passionné d’actualité comme j’en ai rarement vu à son âge. Un futur journaliste peut-être, je lui souhaite s’il en a toujours envie dans dix ans (à condition que la profession n’ait pas été robotisée d’ici là ;-).

Mais aussi un lecteur de demain, puisqu’il l’est déjà. C’est justement ce qui est intéressant quand on réfléchit à l’avenir des journaux papier et des médias en général. Ce jeune mutant numérique n’a pas compris de quoi je voulais parler quand j’ai tenté de lui expliquer qu’au début de ma carrière on copiais/collais nos papiers avec des ciseaux et de la colle. Il m’a demandé “est-ce qu’on est obligé d’imprimer à chaque fois les articles ? Ça fait gaspiller du papier”. Mais il m’a aussi avoué qu’il avait commencé à s’intéresser aux journaux papier, jusqu’à les acheter, via leur site Internet. Une exception ? Sûrement.

Mais vous savez ce qu’il m’a dit ? “Vous et moi on n’est pas de la même génération, mais on n’est pas si «éloignés » finalement. Chacun de son côté essaye d’y voir un peu de l’autre côté. Moi, je suis séduis par la presse papier, voir fasciné. Vous, vous êtes devenus très fan de Twitter et des blogs…”.

Sortir du conflit de génération stérile entre vieux et nouveaux médias, amener les jeunes à s’intéresser à la presse via Internet, et faire en sorte que la presse s’intéresse un peu plus aux jeunes et à leurs nouveaux modes de consommation multi-écrans…

Pour les journaux, c’est sûrement l’une des clés pour survivre au grand Big Bang numérique. Bien avant l’éternel débat sur comment faire payer mes contenus sur Internet. Il faut toujours parler avec les djeun’s…

> Article initialement publié sur “Sur mon écran radar”

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Les ados américains dopés à l’Internet non-stop http://owni.fr/2010/02/25/les-ados-americains-dopes-a-linternet-non-stop/ http://owni.fr/2010/02/25/les-ados-americains-dopes-a-linternet-non-stop/#comments Thu, 25 Feb 2010 18:37:52 +0000 Capucine Cousin http://owni.fr/?p=9043 3356695149_18e3e7a003

Source image : Flickr/Louise Merzeau (sélection officielle du Mois de la Photo, Paris, 2008)

Les ados d’aujourd’hui seraient-ils des (futurs) drogués aux écrans ? Je ne parle pas des écrans télés, qui était la drogue des ados de ma génération – et qui serait en passe de devenir has-been aujourd’hui. Non, je parle des écrans d’ordinateurs, laptops, netbooks et autres smartphones.

Encore la semaine dernière, cette étude de Pew Internet and American Life Project a beaucoup fait jaser (et gazouiller ;) sur le sujet. D’après celle-ci, les ados américains délaisseraient les blogs au profit des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter : seulement 14% déclarent avoir blogué en 2009, alors qu’ils étaient 28% en 2006.

“Si vos enfants sont réveillés, ils sont probablement en ligne”, titrait le 20 février, avec un humour grinçant, le New York Times. Et de citer une étude de la Fondation Kaiser, d’après laquelle les ados sont de véritables nerds en puissance. D’après cette étude, réalisée auprès de 2 000 collégiens et lycéens (entre octobre 2008 et mai 2009), les 8-18 ans consacrent en moyenne 7 heures et demie à leur écran d’ordinateur, netbook ou smartphone – au-dehors des heures d’école. Soit une heure de plus qu’il y a 5 ans, année de l’étude précédente. Il faut dire qu’ils sont assez (sur)équipés : parmi les ados sondés, 7 sur 10 avaient une télé dans leur chambre, et à peu près un tiers un ordinateur doté d’une connexion Internet dans leur chambre. Et encore, cette étude a été réalisée un peu avant que les smartphones ne se développent chez les ados.

En clair, ils passent plus de temps sur leurs écrans que leurs parents sur leur lieu de travail ! Qui plus est – mais cela a déjà été dit, dont par mon confrère Jean-Christophe Féraud – cette génération de digital natives a pris l’habitude à ‘être multitâches en quelque sorte : envoyer des SMS tout en étant sur Facebook, et/ou le chat Facebook, MSN, son blog, consulter ses mails sur Gmail, tout en regardant un clip sur son iPod… Et encore : l’étude de Kaiser a été menée avait l’incursion de Twitter…

La fonction qu’utilisent le moins les jeunes sur leur téléphone portable ? La voix ! Tellement plus simple d’envoyer des SMS ou de chater, comme le montrait le film “LOL” – so bobo ;), mais assez réaliste sur l’usage des technos par les ados. Et le seul moyen de communication dont l’usage n’a pas augmenté est… le papier imprimé.

En fait, ils se serviraient davantage de leur portable multifonctions comme réveil, comme radio, comme sorte de méga-clé USB pour stocker notamment des fichiers MP3 (et donc pour écouter de la musique)… Il faut dire que les nouvelles générations de smartphones sont d’une facilité d’utilisation assez diabolique, grâce à des interfaces de plus en plus intuitives. Les dernières générations des Blackberry sont des modèles plus simples à utiliser qu’avant – du coup, ils commencent à envahir les cours de récré des collèges et lycées huppés – car souvent, papa et maman refilent leurs Bberry à leurs rejetons lorsque leur entreprise en reçoit un nouveau parc, comme l’expliquait ce papier des Echos.

Mais les autres modèles de smartphones de chez LG et autres Samsung, relativement bon marché et à l’interface – de plus en plus souvent tactile – bien agréable, ont aussi les faveurs des ados. Je mettrais le cas de la tornade iPhone un peu à part, encore trop cher pour nombre de djeuns. Mais clairement, mettez un iPhone entre les mains d’une petite tête blonde : c’est édifiant. Ma nièce de 4 ans 1/2 sait déjà ouvrir les applis comme une grande, et joue sur l’iPhone de son papa avec les jeux (pour enfants) qu’il y a installés. Ma soeur me racontait que sa fille avait déjà le réflexe de toucher l’écran d’ordinateur, le croyant lui aussi tactile.

Contrôle de la durée d’utilisation (à défaut du contenu ?) par les parents

Le contrôle du contenu par les parents ? Certes, il y a eu plusieurs initiatives des pouvoirs publics. J’aime bien celle-ci, qui vient d’être annoncée, avec 2025 ex machina , un serious game destiné à sensibiliser les adolescents. Dans son premier épisode, “”Fred et le Chat démoniaque”, qui se déroule en 2025, on voit un certain Fred, un jeune trentenaire sur le point de décrocher un contrat publicitaire important, qui voit son contrat compromis par l’apparition d’une vieille photo de lycée compromettante sur le réseau social Amidami.net. A l’internaute de l’aider à effacer cette erreur de jeunesse. Dévoilé la semaine dernière, ce serious game pédago a été produit par l’éditeur Tralalere, avec le soutien de la Commission européenne et la participation du CNC, dans le cadre du programme Internet sans crainte. Les épisodes suivants, qui paraîtront progressivement d’ici à l’automne 2010, auront chacun pour thème un usage particulier du Net.

A côté de cela, clairement, c’est aux parents d’apprendre à leurs enfants à “bien” surfer sur Internet. Un ami me racontait récemment qu’il a accepté que sa fille pré-ado s’inscrive sur Facebook… A condition qu’il figure parmi ses “friends” et puisse contrôler ce qu’elle y fait.

Mais encore dernièrement, une étude du Pew Internet Project en avait alarmé bon nombre. D’après celle-ci, un ado sur sept muni d’un téléphoné portable déclarait avoir déjà reçu des photos plus que suggestives par SMS. Les mêmes chercheurs admettent que le “sexting” – que l’on voit aussi subrepticement dans le film “LOL” – fait désormais partie de leur culture. Car chez les ados, la photo dénudée peut être envoyée comme invitation, comme gage, ou… lors d’une rupture.

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Dans les faits, les parents peuvent difficilement contrôler ce que font leurs enfants sur leur ordi, qui plus est s’ils en ont un dans leur chambre. Les plus courageux, certes, installent un système de contrôle parental… Mais les spécialistes commencent à penser que le véritable contrôle que les parents peuvent exercer est celui de la durée d’utilisation. “Les parents peuvent continuer de fixer les règles du jeu, c’est cela qui fait la différence”, explique un des chercheurs dans le papier du NY Times. Certes, c’est plus difficile de le faire sur l’ordinateur “perso” de leur enfant que sur l’ordinateur familial, mais ils continuent ainsi à jouer leur rôle de parents.

» Article initialement publié sur blog.miscellanees.net

» Photographie de page d’accueil par escapedtowisconsin sur Flickr

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La “generation Y” en a assez des “pourquoi ?” http://owni.fr/2009/05/10/la-generation-y-en-a-assez-des-pourquoi/ http://owni.fr/2009/05/10/la-generation-y-en-a-assez-des-pourquoi/#comments Sun, 10 May 2009 13:21:20 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=1021 C’est une tarte à la crème, un cliché à la vie dure, mais la génération Y, ou génération numérique, ou génération digitale, ou encore génération du pouce (SMS & consoles de jeux) est là, et bien là. Socialement présente, active, et… mal accueillie. Dressons un rapide panorama de ce qui nous chiffonne, et surtout en premier lieu l’incompréhension et la surdité. Parce que si nous écoutons sans doute le baladeur trop fort, certains devraient peut-être passer chez Audika…

On ne veut plus des “pourquoi vous n’êtes pas politisés ?”

C’est une contre-vérité car nous votons et débattons, la jeune génération est en revanche très méfiante vis-à-vis des appareils politiques. Toute machine broie l’individu pour créer du collectif, or nous sommes plus individualistes car les utopies collectives sont en grande partie mortes au XXème siècle. Les grandes institutions ont failli : les partis ont magouillé, l’Armée a disparue, la famille se délite, l’Education Nationale se contente d’instruire et n’éduque plus. Il reste d’autres idéologies plus vivantes mais elles sont décentralisées et davantage empiriques que théoriques : altermondialisme, décroissance, éco-responsabilité. Il est plus difficile de gérer et fédérer autour d’une figure emblématique ceux qui ont appris à penser par eux-mêmes. D’ailleurs, regardons ce qui reste de la fureur et de la fougue des révolutionnaires bon teint d’hier : des petits bourgeois bien installés ou des aigris cramponnés à leurs vieilles illusions. Est-ce tentant ?

On ne veut plus des “pourquoi vous n’engagez pas la lutte sociale ?”

Heu… le CPE, les stagiaires anonymes, le chômage des jeunes si élevé, l’insertion sociale impossible, la banque qui se fait pénible dès le début de la vie indépendante, un État criblé de dettes pour le maintien du niveau de prestations d’une génération qui aura tout conquis et tout croqué, ça vous dit quelque chose ? Nous sommes moins optimistes que vous au même âge, car nous savons que nous aurons moins que vous, qu’il n’y a pas à conquérir. Nous savons que nous entamons la longue liste des matches en trop sur un front purement économique. L’avenir est sombre et en plus vous vieillissez en refusant de mourir assez tôt. Allez, on vous aime bien, on vous garde quand même… Mais ne nous forcez pas à sourire ! En revanche sur les droits civils nous sommes là et bien là : droits des homosexuels, représentation, discriminations, parité, immigration et intégration, vote local… autant de débats largement entamés. Sans vous, la plupart du temps.

On ne veut plus des “pourquoi vous ne vous engagez pas dans l’entreprise ?”

On a commencé comme stagiaire, on a été trop diplômé pour le poste, ou manquant d’expérience, on nous embauche pour remplacer certaines fonctions sans en recevoir le salaire, alors donner aveuglément notre loyauté, il ne faut pas rêver non plus. Nous sommes la génération du chômage de masse, des plans sociaux et des conflits où il y a un peu à préserver, rien à gagner. Arrêtons les discours faussement paternalistes sur l’accomplissement de soi en entreprise : une société fait du business, pas de la philanthropie. Nous venons travailler pour chercher à manger et un peu plus si possible. Si en plus on s’épanouit dans notre travail, c’est formidable mais pas indispensable. Et d’ailleurs nous donne-t-on du champ pour cela ? Nous fait-on confiance ? Prend-on des risques en nous confiant certaines missions, certaines responsabilités ? Nous n’en avons pas l’impression. L’époque des bons petits soldats obéissants est révolue, il va falloir faire avec une génération moins niaise, moins enthousiaste sur les repères traditionnels, mais qui a d’autres richesses et valeurs à partager.

La voiture et les avions ça nous fait moins rêver, les pétroliers et les banques aussi. Le consulting et les présentations pipeau jusqu’à pas d’heure avec notes de frais invraisemblables également. Parlez-nous engagement en faveur du handicap, de la diversité, gestes éco-responsables, économie locale, commerce équitable, formation. Nous n’avons simplement pas les mêmes aspirations, nous savons que nos carrières seront plus chaotiques, nous ne serons pas dans une courbe globalement croissante durant notre carrière. Les métiers que nous exercerons dans 10 ans n’existent probablement pas encore aujourd’hui. Mais nous sommes davantage prêts à nous adapter, à rebondir, à changer. Saurez-vous en prendre le meilleur parti ? Au pire, nous entreprendrons, sans vous. Nous le faisons déjà.

On ne veut plus des “pourquoi tu ne te maries pas ?” et des “pourquoi tu ne fais pas d’enfants ?”

Nous sommes la génération des parents de divorcés, nous avons eu sous les yeux des familles qui se déchirent, il ne faut pas non plus trop en demander tout de suite. Cela ne veut pas dire que le couple ou les enfants nous font peur. On se PACSe, on vit ensemble, on se sépare, on fait des enfants hors mariage, on recompose les ménages, on assume son homosexualité sans faire de mariage de façade. Les femmes sont plus libres et libérées, elles veulent une carrière, elles sont devenues plus exigeantes (à raison) et ne s’engagent pas à la légère. Nous sommes la génération du SIDA, pour laquelle le sexe et la relation à l’autre n’est pas émancipateur mais est un danger potentiel. Nous sommes la génération de la xénophobie et du racisme au quotidien, la génération du FN à plus de 10%. Comprenez nos angoisses et nos doutes. Et pour ce qui est de faire des enfants, on s’entraîne, on s’entraîne… (NDLA : il existe une version plus trash de cette dernière réponse mais chez OWNIon est polis, on enlève les doigts de son nez et on dit bonjour à la dame).

On ne veut plus des “pourquoi tu as besoin de Facebook, Twitter, Skype, ton blog, LinkedIn et MSN au bureau : tu ne bosses jamais ?”

Parce que nous sommes une génération connectée. Nous entretenons des relations plus informelles avec différents cercles de connaissances, nous outrepassons les hiérarchies parce que nous recherchons l’efficacité plutôt que l’esprit maison. Nous formalisons nos pensées, nous réfléchissons collectivement, parce que nous veillons et pas seulement au coin du feu avec une guitare. Nous aimons travailler en musique, faire des blagues potaches, réagir rapidement, en résumé : vivre ! Nous ne sommes pas des no-life mais au contraire des more-life. Nous avons de multiples dimensions. Il y a une vie, sur le lieu de travail comme ailleurs. Ce monde n’est pas aseptisé, décrit par un organigramme figé. Notre vie est mouvement. Il y a des rapports humains. Vous acceptez bien que l’on emporte du travail à la maison, alors pourquoi pas un peu de vie privée au travail ?

On ne veut plus des “pourquoi vous ne comprenez pas que tout ne peut pas être gratuit ?”

Parce que vous vous cramponnez à une époque pré-numérique où la fabrication et la copie nécessitaient des moyens matériels et impliquaient une privation de l’un pour donner à l’autre. Aujourd’hui les choses ont changé et les business models de l’industrie vidéo et de la musique devraient changer. La vente des supports est une activité marchande annexe, pas l’activité artistique en elle même. Elle est parasite parce qu’elle capte l’essentiel des revenus sans produire quelque chose d’utile.

Les frères Coen et Dardenne font des films. Ils ne bourrent pas les salles ni les rayons DVD des commerçants. Dionysos fait de la musique, des albums et de la scène. Les membres du groupe ne gravent pas les disques personnellement, et s’en fichent pas mal. Arditi joue des pièces et des films, il en assure éventuellement la promotion dans les médias mais c’est simplement… le jeu. Le jeu d’une industrie. Ce n’est pas là son talent artistique ni ce pourquoi on l’engage.

Qui plus est, penser que nous croyons que tout est gratuit, c’est nous infantiliser et nous prendre pour de sombres crétins. L’image de la jeunesse insouciante et en rébellion, c’est bien gentil mais ce n’est drôle que dans les séries TV et les publicités ironiques. Nous payons nos impôts, nous avons un salaire, nous achetons ce que nous aimons pour nos loisirs. Les gros téléchargeurs sont aussi des gens passionnés, et donc la plus part du temps les plus gros acheteurs, les plus fervents prescripteurs (oui oui ! Ils font même du marketing pour vos produits ! Et gratuitement en plus !) et parfois même… sont artistes eux-mêmes.

Vous pensiez que le monde avait beaucoup changé entre celui de vos parents (nos grands-parents) et le votre ? C’est vrai. Il a également beaucoup changé en une génération, juste après. Ces questions sont légitimes mais les réponses que nous donnons datent déjà et n’ont toujours pas été entendues par une génération qui s’agrippe aux pouvoirs. Peut-être ne fait-on que reporter l’éternelle querelle des anciens et des modernes, qui a dû faire jaser à d’autres époques charnières. Seulement, l’histoire et la technique, la société et la géopolitique, l’économie et les nouveaux enjeux de la planète, tout cela s’accélère.

Au lieu de nous prendre pour des mômes, pourquoi ne compteriez-vous pas un peu sur nous ?

PS : le titre est resté sans accents pour generation, car en anglais, Y se dit “why”, comme pourquoi.

Illustrations CC FlickR Kuba Bożanowski, wili_hybrid, Dustin Diaz, Chris Devers, johntrainor

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