OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le tiers état des tiers-lieux http://owni.fr/2011/02/28/urban-after-all-s01e06-le-tiers-etat-des-tiers-lieux/ http://owni.fr/2011/02/28/urban-after-all-s01e06-le-tiers-etat-des-tiers-lieux/#comments Mon, 28 Feb 2011 09:27:40 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=48894 Urban After All S01E06

“On se retrouve au Starbucks pour la réunion compta de lundi ?”

Que celui qui n’a jamais organisé de réunions professionnelle dans un “café wi-fi” me jette le premier commentaire. C’est en effet l’une des évolutions majeures de nos modes de vie urbains et connectés. Les Starbucks n’ont évidemment pas inventé l’eau chaude (ni les sourires), mais ce qui était il y a quelques années encore une exception est en passe de ne plus surprendre personne.

Hier cantonnés aux bureaux, les lieux de travail se “délocalisent” en effet grâce à la démocratisation des terminaux connectés (portables, smartphones ou tablettes associés à l’informatique en nuage). Ainsi, et bien que le télétravail peine “officiellement” à percer en France, 73% des cadres déclarent travailler en dehors de leur bureau, selon une étude Editions Tissot / OpinionWay. En conséquence de quoi 41% des sondés estiment que le lieu de travail de demain sera “dématérialisé”.

Contrairement à une idée relativement répandue dans l’inconscient collectif, le télétravail ne se limite pas au travail à domicile. Les cafés et restaurants, par exemple, sont devenus en quelques années les lieux pivots de ces nouvelles formes de travail “hors-sol”. Un siège, un café / sandwich et une connexion wi-fi, le tour est joué. McDonalds l’a bien compris, qui met en scène sa nouvelle fonction (le wi-fi gratuit) dans une pub australienne subtilement baptisée “Wi-fries”. Simple et efficace.

Les tiers-lieux, couleur café

Ces usages émergeant portent un nom. On parle ainsi de “tiers-lieux” (“third places” en anglais) pour évoquer la nouvelle fonction de ces espaces de pause, les deux “lieux” de base étant donc le domicile et le travail. C’est d’ailleurs avec cette formule qu’Howard Schultz, président de Starbucks, décrit sa vision de la chaîne. La compagnie s’est logiquement (re)positionnée comme porte-étendard de ces nouveaux usages, en combinant accès wi-fi et clientèle de cadres bobos early adopters / prescripteurs. Encore une fois, ce n’est certes pas Starbucks qui a inventé ces pratiques (ancestrales, rappelons-le), mais son explosion a acceléré la démocratisation des usages. Au point d’obliger les cafés “traditionnels” à suivre le mouvement pour échapper à la “crise des bistros” ? [Note : on compte aujourd’hui 30 000 cafés en France, contre 200 000 dans les années 60...]. Il va peut-être falloir s’y faire, si l’on en croit The Pop-Up City (qu’on aime beaucoup), qui considère les cafés “multi-tâches” comme l’une des tendances majeures pour 2011 :

“Alors que les Starbucks et autres chaînes de cafés cherchent à coloniser les centres-villes du globe avec de nouvelles enseignes, la culture des “cafés” elle-même commence à dépasser les décors proprets de ces fameuses chaînes.”

Autrement dit : finis les bistros du coin, place aux cafés/laverie ou cafés/vélo, les combos sont infinis ! De même, ce café lyonnais prône clairement ses intentions en quatre mot-clés : “food wifi musik liquors”. “Tout ce qui compte dans un café du 21e siècle”, résume ainsi mon compère Nicolas Nova.

L’évolution semble faire des émules aussi en milieu rural, comme en témoigne cette initiative du Pays de l’Yonne dont on nous dit (un peu candidement) que des “Cafés de Pays émergent ça et là à la campagne, un peu cafés, un peu lieux de concerts, d’expo, de multi-services (poste, pain, etc), de plus en plus dotés de connexions WI-FI et propice au travail autour d’un verre”. Un positionnement visant donc à garantir la continuité des usages professionnels à distance, dans un cadre toutefois plus ludique que le domicile ; en un mot, du “tiers-lieu”.

Un remède au mouvement permanent ?

Certains regretteront cette évolution, d’autres non (à vos commentaires), mais le fait est là. Comment expliquer cette tendance ? On l’a dit : les tiers-lieux existent principalement grâce à la démocratisation des nouveaux terminaux technologiques, qui permettent la gestion du “quotidien à distance” (la formule est du Groupe Chronos, auteur d’un séminaire et d’une étude sur la question. Disclaimer : c’est par ailleurs mon ancien employeur). Dit autrement, “ce n’est donc pas le lieu qui fait le tiers-lieu”, mais l’usage qui en fait. Si les cafés offrent donc un cadre confortable à ces nouveaux usages (pour peu que l’on soit équipé et qu’eux-mêmes fournissent un service de connexion idoine), ils ne sont donc pas les seuls à pouvoir se définir comme tiers-lieux.

Le Groupe Chronos, justement, définit les tiers-lieux comme “ces lieux d’activités, entre domicile et travail, construits spontanément par les usages”. En insistant sur la spontanéité des usages (en réalité, relativement relative, on le verra), cette définition invite à étendre le champ des tiers-lieux au-delà des cafés-restaurants (et des télécentres précisément dédiés à cette fonction).

On inclura donc quelques lieux plus ou moins propices à ces usages : gares ou stations de métro, aéroports, voire même métros-bus-trains-avions eux-mêmes, commerces de proximité (tels que les Monop’), etc. A chaque fois, le tiers-lieu est envisagé (de manière explicite ou non) comme un levier marketing pour attirer les cadres pressés, qui trouveront donc sur place une assise pour finir leurs tableurs.

L’objectif est toutefois plus large que cette simple attractivité. En effet, les tiers-lieux participent à la “démobilité”, c’est-à-dire à la diminution des mouvements subis, en permettant par exemple aux travailleurs d’éviter un déplacement entre deux rendez-vous. C’est précisément là que se nichent les vertus des tiers-lieux, qui m’amènent donc à en promouvoir le concept. L’objectif, dans l’idéal : favoriser la compréhension de ces besoins (lieux de pauses permettant de limiter la pression du flux), afin de voir se développer de tels lieux de travail “délocalisés”.

La révolte des tiers-lieux

Il s’agira aussi d’élargir le périmètre du concept, en constatant que tout lieu est ainsi un tiers-lieu potentiel, du moment qu’il garantit un certain niveau de confort et de connectivité. Les bancs et surtout escaliers publics, en ce sens, sont de formidables tiers-lieu en puissance, comme je l’expliquais ici (billet repris sur OWNI)… à condition qu’on accompagne ces usages avec, pourquoi pas, un mobilier adapté (au risque d’entraver l’usage “réellement” spontané du lieu, comme le craint microtokyo ?)

Cette vision ne me semble malheureusement pas encore vraiment partagée. On observe bien quelques tentatives éparpillées, de la part des autorités urbaines, de faciliter l’usage opportuniste des lieux, mais les résultats sont rarement très… sexy (exemple à Lausanne, un mobilier “spécial wi-fi” capturé par Nicolas Nova). Peut-être me trompé-je de voie, mais les tiers-lieux sont à mon sens l’une des clés essentielles pour repenser la ville à l’heure des nouvelles technologies et de l’injonction durable, notamment parce qu’ils contribuent à diminuer les externalités négatives de nos modes de vies contemporains, hypernomades et hyperactifs. Dès lors, il me semble nécessaire de lancer la question dans le débat public : comment peut-on favoriser la mutation (ponctuelle ou non) des lieux urbains en tiers-lieux ? A la manière de l’abbé Sieyès, il s’agirait donc de se demander “qu’est-ce que le tiers-lieu ?” pour définir “ce qui reste à faire au tiers-lieu pour prendre la place qui lui est due”.

“Qu’est-ce que le tiers-lieu ?
Le plan de cet écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous faire:

1° Qu’est-ce que le tiers-lieu ? Tout, potentiellement.
2° Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre urbain ? Pas grand chose, en dehors du marketing.
3° Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose !”

A cette (vaste) question, nous tenterons de répondre dans un prochain billet de synthèse :-)

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

Note : Une grande partie des réflexions exposées ici est hérité de mon passage au sein du Groupe Chronos. Afin de prolonger le sujet, vous pouvez d’ailleurs lire le fil de veille qu’ils consacrent au sujet des tiers-lieux. ]

Publicité McDonalds “Wi-Fries” via IBelieveInAdv
Advertising Agency: DDB, Sydney, Australia
Executive Creative Director: Matt Eastwood
Creative Group Head: Adam Rose
Art Director: Matt Knapp
Copywriter: John Downing

CC FlickR webponce Nicolas Nova
Photos du mobilier urbain sur Pop-up Urbain via Trendsnow.net via Mark A. Reigelman II ©
Promoting Interaction With Public Furniture. Powder coated mild steel, aluminium, Teflon & plastic. 12″x18,5″x22,5

Qu’est-ce le tiers-état : domaine public, via Wikipedia

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http://owni.fr/2011/02/28/urban-after-all-s01e06-le-tiers-etat-des-tiers-lieux/feed/ 25
Les amoureux se bécotent sur les marches publiques http://owni.fr/2011/01/28/les-amoureux-se-becotent-sur-les-marches-publiques/ http://owni.fr/2011/01/28/les-amoureux-se-becotent-sur-les-marches-publiques/#comments Fri, 28 Jan 2011 07:29:44 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=43748

« Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics… s’bécotent aussi sur les escaliers qui parsèment la ville », aurait pu chanter le guitariste moustachu.

Car au podium des « lieux d’assise », les escaliers ne sont pas en reste : qui ne s’est pas déjà assis quelques minutes sur quelque marche qui traînait par là, seul ou en couple/groupe, le temps d’une pause plus ou moins éphémère ?

Paradoxalement (ou logiquement, au choix), ces usages sont à ce point « communs » qu’ils passent relativement inaperçus parmi les urbanités qui façonnent nos espaces publics. Ainsi, si les bancs publics sont bien inscrits dans l’imaginaire populaire de la pause, ce n’est pas franchement le cas des escaliers.
Davantage considérés comme des lieux de passage (ce qu’ils sont à la base), l’immobilisme de la pause n’y a pas droit de cité. Comme souvent, il n’y a qu’à observer la pop-culture, et plus précisément l’entertainement américain dont les nombreuses scènes de “ sortie du tribunal ” témoignent de la teneur « agitée » que l’on rattache à ces espaces. Dès lors, comment s’étonner de la sous-exploitation des marches urbaines en tant que lieux de pause ?

Mais les choses sont en train de changer, comme l’explique The Pop-Up City :

Mais la signification et la fonction première est éclipsée par une autre : fournir un espace qui permet de profiter du spectacle de la rue. L’expérience la plus mémorable dans une visite du Met n’est plus ce moment où on monte les marches pour entrer dans ce lieu mais un moment ultérieur : celui où l’on s’assoit sur les marches pour se détendre, observer l’activité de la 5ème avenue et repenser aux oeuvres d’art que l’on vient juste de voir.

Un mobilier urbain pour une ville nomade

Témoin de cette évolution, de nombreux projets d’architecture/urbanisme proposent ni plus ni moins d’installer de « faux » escaliers dans la ville (à découvrir dans le billet). Poussant la réflexion, le designer Mark A. Reigelman II propose même “d’officialiser” la mutation possible de chaque escalier urbain en lieu de pause, à l’aide d’un structure sommaire à utiliser comme chaise, table, accoudoir, etc. (via Escales, escalades et poudre d’escampette, chez Chronos). Idéal pour une partie de tarot entre deux cours ! ^^

Ce type de « mobilier » prend tout son sens dans la perspective d’une ville de plus en plus nomade, marquées par la nécessité d’improviser des lieux de pauses éphémères à l’intérieur même du ” flux-roi ” : une séance de travail entre deux rendez-vous, un déjeuner pris à la va-vite, un mail à consulter, etc. Couplé à une connexion wifi permettant de tels usages, ce simple objet fait ainsi passer l’escalier du statut de “non-lieu” (relatif) à celui de ” tiers-lieu ” : un espace détourné de ses fonctions initiales au profit d’usages quotidiens “délocalisés” , selon Chronos (exemple : travailler en dehors du bureau, dans un fast-food ou un Starbucks…).

C’est précisément cette lecture qui a amené mes deux compères architectes Thomas Perez et Nicolas Ruiz Gonzalez (avec qui j’ai déjà travaillé sur le projet KUBIKOPEDIA) à concevoir, lors d’un séminaire de design en 3e année d’études, cette « cuisine » portative épousant le contour des marches. (Note : leur projet a été imaginé plusieurs années avant les tables bleues de Reigelman, qu’ils ne connaissaient d’ailleurs pas avant que je leur montre). La vidéo suivante, assez lolante, décrit assez bien l’ambition : permettre l’appropriation (ici culinaire ^^) de tout escalier urbain, quel qu’il soit.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Banc public ou banc privé ?

J’ai du mal à voir si les tables bleues de Reigelman sont ancrées ou non au sol (la présence de rivets n’est pas suffisante pour juger), mais qu’importe : un constat s’impose. En imaginant que de tels objets soient amenés à débarquer un jour dans nos villes (ce qui me botterait bien), la “portativité” me semble la clé du succès. J’ai en effet bien du mal à concevoir que l’appropriation d’un tel objet soit limitée à un espace prédéfini ; ce sont justement les détournements de fonction qui donnent corps à des usages inédits ou inattendus. Dit autrement, selon une belle formule de Julie Rieg (Chronos) :

Le tiers-lieu ne se décrète pas, c’est l’usage qui le fabrique.

Imaginons un instant qu’une collectivité ou une entreprise type JCDecaux souhaite investir ce “marché des marches”. Il me semble qu’il serait pertinent de proposer un tel mobilier en libre service, à la mode Vélib’. Ainsi, chacun pourrait emprunter une « table » pour s’installer où bon lui semble, le temps d’une pause. Cet objet aurait vocation à faciliter l’usage éphémère des lieux, et donc indirectement de décongestionner les espaces traditionnels de la halte…

Je ne suis évidemment pas le premier à envisager la question sous cet angle du libre VS réglementé. The Pop-Up City présente par exemple ce banc à usage privatisé, oeuvre des artistes Vincent Wittenberg et Guy Köningstein présentée lors de la Biennale of Landscape Urbanism 2010.

Comme l’expliquent les auteurs :

L’installation fait partie d’une série de travaux dans lesquels les deux artistes explorent la privatisation de l’espace public. Pendant leurs explorations, les artistes ont trouvé que, d’un côté, les limites des espaces privés et publics ne sont pas si fermées que çq même souvent flexibles. D’un autre côté, les règles officielles de propriété sont très cadrées.

Une idée que l’on retrouve dans cet autre exemple asiatique, fourni par mon dealer de came (isole) préféré, Urbain trop urbain. Je ne m’étendrai pas sur la question, puisqu’elle mériterait à elle seule un billet complet, et que ce n’est pas exactement le propos de celui-ci… Mais vous en conviendrez, ce sont des réflexions intéressantes :-)

Ceci est le premier volet consacré aux escaliers urbains ; le second prendra un tout autre angle : celui de la santé et de l’injonction au mouvement, chère à Scriptopolis… Publication la semaine prochaine !

Billet publié initialement sur Pop-up urbain
Crédits photos :
Cédric Aubert cc-by-nc-sa sur Flickr
Photos du mobilier urbain sur Pop-up Urbain via Trendsnow.net via Mark A. Reigelman II © Promoting Interaction With Public Furniture. Powder coated mild steel, aluminium, Teflon & plastic. 12″x18,5″x22,5.
Photos des bancs de Vincent Wittenberg et Guy Köningstein sur Pop-up Urbain via le blog Popup City

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L’hygiénisme urbain dans No More Heroes http://owni.fr/2010/06/21/lhygienisme-urbain-dans-santa-destroy/ http://owni.fr/2010/06/21/lhygienisme-urbain-dans-santa-destroy/#comments Mon, 21 Jun 2010 16:18:49 +0000 Game A http://owni.fr/?p=19629

Que c’est pénible, les jeux où l’on ne peut pas sauter. Le moindre parapet devient un mur infranchissable qui peut nous interdire des pans entiers de niveaux.

L’obstacle n’avait pourtant rien d’une lourde porte. On peste alors contre la cécité du personnage et les manques du gameplay, comme ici dans No More Heroes, où l’on doit contourner les jardinières.

Au moins, dans la vraie vie, ces petits obstacles, on les franchit.

On les enjambe si souvent en effet, ces murets. On coupe tellement à travers les pelouses dans la vraie vie… Croit-on.

Car en est-on bien sûr ?
Pour une personne qui traverse une pelouse, combien qui la contournent ? La disproportion serait sans doute étonnante : la fonction esthétique est loin d’être la seule des espaces verts et du “mobilier urbain”.

La visée sécuritaire des grandes percées réalisées dans le Paris du XIXe est bien connue : empêcher les barricades et faciliter les charges de l’armée. De Paris au fictif Washinkyo (issu de l’anime Hurricane Polimar et repris dans le jeu de combat Tatsunoko vs. Capcomimage ci-dessous), l’urbanisme n’oubliera plus cette précaution.

Avenue de Washinkyo, que l’on peut traverser en char (second plan).

Il s’agit en effet de gérer des flux, piétonniers ou automobiles, de les rendre le plus fluide possible. Élargir les voies de communication est pour cela primordial, mais ce n’est qu’une première étape : il faut également canaliser les mouvements.

C’est là que le mobilier urbain et les espaces verts entrent en jeu. Ils orientent tout d’abord subtilement les piétons, comme les jardinières de Santa Destroy, la ville imaginaire de No More Heroes. Ils rationalisent également les déplacements : ci-dessous, la fontaine n’est pas loin de faire fonctionner la petite place comme un rond-point (image [en])

Pour fluidifier les déplacements, il faut aussi limiter les attroupements. Pour cela on modifie judicieusement le mobilier urbain : une barre sur un banc interdira de s’y allonger pour dormir, comme un arrosage automatique et aléatoire des pelouses dissuadera efficacement celui qui voudrait s’y installer.

Dans ce domaine, les urbanistes de Santa Destroy n’ont pas procédé subtilement : il n’y a carrément aucun banc public dans les rues !
En fait, le seul moyen de se reposer en ville serait de s’attabler à l’une des nombreuses terrasses de commerces qui non seulement investissent l’espace public mais, en plus, vendent ce qui devrait être pris en charge par les pouvoirs publics (s’asseoir pour se reposer, se rafraîchir aux fontaines).

No More Heroes ne gérant pas la soif et pas vraiment la fatigue, l’absence des bancs est moins frustrante pour le joueur que les jardinières du début ; payer n’aurait de toute façon pas été un problème pour le personnage principal, Travis Touchdown, très vite enrichi par ses assassinats.

On remarque ainsi que ces dispositifs visent particulièrement une catégorie précise de la population des villes : en empêchant la « sur-appropriation » d’un lieu par un regroupement durable, il s’agit de rejeter les plus pauvres à la périphérie, en tout cas loin des regards des commerçants et de leurs clients.

En parlant de regard : la hauteur des jardinières de Santa Destroy n’a pas été laissée au hasard, elle permet à tout un chacun de surveiller ce que font les autres. On facilite ainsi la « surveillance naturelle » qui doit rendre plus risqué le passage à l’acte des délinquants, l’autre population ciblée par ces aménagements englobés sous le concept de prévention situationnelle.

Par ailleurs, en dégageant ce qui pourrait faire obstacle à la vue, on limite les cachettes comme les guets-apens. La prévention situationnelle cherchera, en conséquence, à éliminer ruelles sombres, replis et cul-de-sacs – ou du moins à les rendre moins accessibles.
Là encore, les aménagements de Santa Destroy ont été radicaux : quand ils ne sont pas déjà grillagés ou barrés, le personnage refusera de s’avancer dans les boyaux trop étroits.

Dans la mesure où Travis découpe des milliers de bonshommes sans jamais être inquiété par la police, on peut douter de l’efficacité de ces aménagements pour prévenir la délinquance à Santa Destroy (même si, il est vrai, la plupart des combats ont lieu dans des espaces fermés).

Par contre, ces jardinières infranchissables, ces chaises interdites, ces interstices entre les maisons où l’on ne peut se glisser permettent de saisir les difficultés et les frustrations que rencontrent les SDF, avec ces bâtons qu’on leur met dans les rues.

Billet initialement publié sur La Faute à la manette , sous le titre “En vert et contre tous”, découvert grâce à Pop-up urbain ; image CC Flickr ngernelle

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