OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Increvable droit d’auteur http://owni.fr/2011/09/13/increvable-droit-dauteur/ http://owni.fr/2011/09/13/increvable-droit-dauteur/#comments Tue, 13 Sep 2011 11:06:41 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=79229 La semaine dernière a été une semaine de deuil pour le domaine public, à double titre.

Michael Hart, pionnier de l’édition électronique et père du projet Gutenberg, est mort après avoir consacré sa vie à favoriser la libre diffusion des textes du domaine public. Avec Wikisource et Internet Archive, le projet Gutenberg était l’un des rares espaces du web où l’on pouvait encore trouver du domaine public « à l’état pur », sans couches de droit plus ou moins illégitimement rajoutées.

Hervé Le Crosnier, sur son blog Mediapart, explique bien en quoi une initiative comme le projet Gutenberg est essentielle pour la vitalité du domaine public :

Le projet Gutenberg, avec ses 37000 livres en 60 langues, est aujourd’hui une des sources principales de livres numériques gratuits diffusés sous les formats actuels (epub, mobi,…) pour les liseuses, les tablettes, les ordiphones, et bien évidemment le web. Les textes rassemblés et relus sont mis à disposition librement pour tout usage. La gratuité n’est alors qu’un des aspects de l’accès aux livres du projet Gutenberg : ils peuvent aussi être transmis, ré-édités, reformatés pour de nouveaux outils, utilisés dans l’enseignement ou en activités diverses… Le « domaine public » prend alors tout son sens : il ne s’agit pas de simplement garantir « l’accès », mais plus largement la ré-utilisation. Ce qui est aussi la meilleure façon de protéger l’accès « gratuit » : parmi les ré-utilisations, même si certaines sont commerciales parce qu’elles apportent une valeur ajoutée supplémentaire, il y en aura toujours au moins une qui visera à la simple diffusion.

Le droit d’auteur s’étend dans les législations

Lorsqu’en 1998, le législateur américain avait voté le Sonny Bono Act (dit aussi Mickey Mouse Act, en référence aux pressions exercées par le lobby des industries culturelles pour faire passer ce texte), afin d’étendre la durée de protection par le copyright sur les oeuvres collectives d’entreprise, Michael Hart avait fait partie de l’action en justice portée jusque devant la Cour suprême des Etats-Unis pour s’opposer à cette agression contre le domaine public, hélas sans succès.

Triste ironie des coïncidences, la semaine même où il disparaît, le Conseil des Ministres de l’Union européenne a validé le projet d’extension des droits voisins des producteurs et des artistes-interprètes de 20 ans supplémentaires, et c’est une seconde raison de porter le deuil.

Cela fait des années que nous sommes habitués à subir des lois absurdes et liberticides en matière de droit d’auteur, mais on ne peut rien imaginer de plus grave qu’un allongement de la durée des droits, en termes d’atteinte aux libertés. L’Union européenne s’achemine vers un passage de 50 à 70 ans des droits voisins, avec effet rétroactif, ce qui signifie que, non content d’empêcher des oeuvres d’entrer dans le domaine public, cette réforme va  en faire sortir des enregistrements pour lesquels les droits s’étaient éteints.

Pour expliquer les choses par le biais d’une métaphore, c’est un peu comme si un législateur fou décidait qu’il fallait vider la mer pour désormais la vendre en bouteille…

Une fausse bonne idée

De multiples études et rapports avaient pourtant montré que cette extension ne profiterait quasiment pas aux artistes eux-mêmes, mais les arguments rationnels ne pèsent visiblement pas lourds face aux pressions du lobby des industries de la musique, qui trouvent là un moyen commode de continuer à profiter des « joyaux de la couronne », à savoir la musique des années 50 et 60 qui était sur le point de se libérer des droits voisins.

Un exemple, que je trouve particulièrement emblématique, d’enregistrement qui devrait être arraché du domaine public du point de vue des droits voisins : ““La vie en rose” de Piaf, interprétée pour la première fois en 1947.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le plus écœurant sans doute dans cette histoire, c’est que la Commission européenne a soutenu pendant des années un projet Communia, de réflexion sur le domaine public numérique, qui a produit un Manifeste du Domaine Public s’opposant radicalement à  l’idée d’extension des droits :

La durée de protection par le droit d’auteur doit être réduite. La durée excessive du droit d’auteur, combinée à l’absence de formalités réduit fortement l’accessibilité de notre savoir et notre culture partagés. De plus, cette durée excessive accroît le nombre des œuvres orphelines, œuvres qui ne sont ni sous le contrôle de leurs auteurs ni dans le domaine public, et ne peuvent être utilisées. Donc, la durée de protection par le droit d’auteur des nouvelles œuvres doit être réduite à un niveau plus raisonnable.

Tout changement de l’étendue de la protection par le droit d’auteur (y compris toute définition de nouveaux objets protégeables ou toute expansion des droits exclusifs) doit prendre en compte ses effets sur le domaine public. Un changement de la durée de protection du droit d’auteur ne doit pas s’appliquer rétroactivement aux œuvres déjà protégées. Le droit d’auteur est une exception de durée limitée au statut de domaine public de notre culture et notre savoir partagés. Au 20ème siècle, l’étendue du droit d’auteur a été significativement étendue, pour satisfaire les intérêts d’un petit groupe de détenteurs de droits et au détriment du public dans son ensemble. De ce fait, la plus grande part de notre culture et notre savoir partagé s’est retrouvée soumise à des restrictions liées au droit d’auteur ou techniques. Nous devons faire en sorte que cette situation n’empire pas (au minimum) et s’améliore.

Pour mettre en oeuvre ce Manifeste du domaine public, il aurait fallu une réforme en profondeur du droit d’auteur européen, mais rien n’a été entrepris en ce sens depuis sa parution et l’extension des droits voisins en trahit même complètement l’esprit.

Comment lutter?

Face à une telle instrumentalisation du droit au profit d’intérêts privés, que reste-t-il à faire ?

Bien sûr, on peut songer à essayer d’attaquer devant la justice communautaire les textes qui procéderont à cet allongement des droits voisins, comme l’avaient fait les tenants de la culture libre aux Etats-Unis (affaire Eldred c. Ashcroft) et comme ils continuent à le faire quand le domaine public est menacé. Mais ce combat risque d’être plus symbolique qu’autre chose, car à présent aucune de ces actions n’a débouché sur une condamnation de l’extension des droits, et je ne sais pas si les chances de victoire seraient plus fortes en Europe qu’aux Etats-Unis.

Bien sûr, il reste possible d’agir au quotidien en faveur du domaine public, en contribuant à certains projets. J’ai déjà cité Wikisource, le projet Gutenberg ou Internet Archive, mais il existe également de belles initiatives dans le domaine de la musique, comme l’International Music Score Library Project ou le projet Musopen, qui vise justement à libérer la musique classique de l’emprise des droits voisins

Une autre manière d’agir, à un niveau encore plus « personnel », consiste à verser ses propres créations par anticipation dans le domaine public, en utilisant des outils appropriés, comme la Creative Commons Zero ou des licences très ouvertes. En utilisant la licence CC-BY par exemple pour ce blog, je place mes billets sous un régime plus ouvert encore que le domaine public dans sa conception française, dans la mesure où je permets à l’avance la modification (alors que normalement en France, le droit à l’intégrité persiste lorsque l’oeuvre entre dans le domaine public).

La légalité ne suffit peut-être plus

Mais malgré la contribution que ces moyens d’action peuvent apporter, je ne les pense plus suffisants pour renverser une situation qui ne cesse de se dégrader et des moyens d’action plus radicaux doivent peut-être à présent être envisagés.

Un exemple nous a été donné cet été avec les actions menées contre la base de données d’articles scientifiques JSTOR aux Etats-Unis. Pour s’opposer à l’accès payant aux articles du domaine public de cette base, l’activiste Aaron Schwartz a téléchargé en juillet dernier 4,8 millions d’articles à partir du réseau du MIT, ce qui lui valut d’être arrêté par le gouvernement fédéral et menacé de prison ferme. Un peu plus tard, un utilisateur du nom de Greg Maxwell a surenchéri, en mettant en partage 18 592 articles du domaine public issus de JSTOR sur The Pirate Bay pour les libérer.

Or la semaine dernière, on apprenait que JSTOR décidait de placer en libre accès 500 000 articles du domaine public, tirés de plus de 200 journaux historiques. Quand bien même JSTOR s’en défend, cette décision a été prise suite aux actions de Schwartz et Maxwell, qui ont placé le producteur de la base dans une situation intenable :

Rendre librement accessible les contenus de la base Early Journal est une chose que nous avions prévue de faire depuis un moment. Il ne s’agit pas d’une réaction à la situation créée par Swartz et Maxwell, mais ces récents évènements ont pu avoir une incidence sur notre calendrier. Nous faisons attention à ne pas accélérer ou retarder nos projets, simplement parce que des gens interprètent mal nos motivations. Nous tenons aussi compte du fait que de nombreuses personnes sont préoccupés par ces questions. Finalement, nous avons décidé d’accélérer notre projet de rendre accessible le contenu du Early Journal, parce que nous pensons que c’est dans l’intérêt des personnes auxquelles nous essayons de rendre service, ainsi qu’aux bibliothèques et à nos partenaires.

Il existe d’autres exemples d’actions similaires menées avec succès pour libérer le domaine public. J’avais ainsi relevé l’été dernier que des utilisateurs de Google Books s’étaient habilement organisés pour procéder à des téléchargements massifs d’eBooks du domaine public, pour les placer en sécurité sur Internet Archive, sans que Google ne puisse vraiment agir contre eux. L’été d’avant, c’était un utilisateur de Wikipedia qui avait téléchargé un grand nombre de tableaux numérisés à partir du site de la National Gallery de Londres pour les libérer sur Wikimedia Commons. Le musée anglais qui s’estimait titulaire d’un copyright sur les images avait menacé de poursuites, mais à ce jour, les tableaux sont toujours sur Commons, accompagnés d’un bandeau “Domaine Public”.

Ce genre d’opérations de libération peut donc s’avérer efficace pour lutter contre le copyfraud (le fait de faire renaître illégitimement des droits sur le domaine public), mais que faire face à une situation telle que l’allongement des droits voisins, qui va empêcher les oeuvres d’entrer dans le domaine public ?

Devant de tels actes d’agression contre le domaine public et les libertés, c’est hélas encore le piratage, ou plutôt la mise en partage des fichiers, qui s’avère le moyen de résistance le plus efficace.

Entendons-nous bien : je suis juriste – jusqu’à l’os – ce qui implique que je crois profondément que le droit reste le moyen le plus juste d’organiser les rapports dans la société. Mais quand la loi bascule d’une manière aussi scandaleuse dans la défense d’intérêts privés, je pense que c’est un devoir de lutter, y compris par des moyens en marge du droit.

Hacker le domaine public

Si le domaine public n’est plus protégé par le droit, mais si celui-ci au contraire le menace et le détruit morceau par morceau, alors pour qu’il subsiste, il faudra le hacker et continuer à le faire subsister clandestinement au sein des réseaux de partage, en attendant la fin de l’interminable hiver juridique de la propriété intellectuelle. Visiblement, je ne suis pas le seul à franchir ce cap en ce moment et plus nombreux encore doivent être ceux qui le pensent sans l’écrire…

C’est avec tristesse que j’écris ces lignes, car j’ai longtemps cru en une évolution du droit d’auteur, mais des réformes comme l’allongement des droits voisins en Europe portent un coup mortel à ces espérances, car les dommage occasionnés seront quasiment irrémédiables à l’échelle d’une vie humaine.

Comme si cela ne suffisait pas, la semaine dernière, on a pu lire des déclarations hallucinantes sur le domaine public, qui montrent que le sens de cette notion est littéralement en train de se déliter et de se perdre.

Jean-Michel Jarre nous a en effet gratifié de ses réflexions sur la loi Hadopi, au détour desquelles on trouvait ce passage, qui m’a fait froid dans le dos :

Au XVIIIème siècle, on a décidé de manière assez subjective de se dire que le droit d’auteur, le copyright, aura une durée de vie de 50 ans. Pourquoi ? Parce qu’à cette époque-là, l’espérance de vie d’un être humain était de 50 ans. Aujourd’hui, on est deux siècles plus tard et il est temps de se dire ‘pourquoi on appliquerait pas ce qui existe dans l’industrie, c’est-à-dire le brevet ?

La philosophie du brevet c’est que c’est absolument infini et qu’on le renouvelle tous les 20 ans. Et moi, je suis absolument pour le fait d’élargir et d’allonger beaucoup la durée de vie du copyright ce qui permettrait, et c’est pas pour des problèmes de succession et des ayants droit de la famille de l’auteur, d’introduire dans la tête de chacun dans notre société aujourd’hui, le fait que le geste de création est quelque-chose qui a une valeur inestimable.

Aujourd’hui, personne d’entre nous ne peut se payer Mona Lisa. En revanche, la 9ème de Beethoven ne vaut rien. Est-ce que ça veut dire que Beethoven est un artiste mineur par rapport à Léonard de Vinci ? C’est toute la question et c’est sur tous ces problèmes qu’il va falloir que des lois du système de type Hadopi se penchent.

Passons sur les énormités concernant la manière dont fonctionne le système des brevets, mais au-delà, ce qui est sous-entendu ici, c’est que le droit d’auteur devrait être perpétuel et que le domaine public dévalue les oeuvres et la création, en permettant la libre réutilisation !

Ce n’est pas la première fois que s’expriment de telles attaques et l’idée revient même assez souvent qu’il serait temps que le domaine public « serve à quelque chose ». Pourquoi ne pas instaurer par exemple un « domaine public payant » en levant une taxe sur les réutilisations destinées à financer la création ? Cette proposition est revenue récemment dans un des Labs d’Hadopi sur le livre numérique et elle avait été agitée l’année dernière, à propos des films, cette fois dans le rapport Zelnik. Tôt ou tard, il faut craindre qu’un lobby n’arrive à trouver l’oreille du législateur pour inscrire ce projet funeste dans la loi…

Comment ne pas voir pourtant que la valeur du domaine public, c’est justement de constituer les oeuvres en biens communs, afin qu’elles puissent servir de terreau pour de nouvelles créations et innovations ?

Pour revenir au début de ce billet et boucler la boucle, sans la liberté de créer que lui offrait le domaine public, Michael Hart n’aurait certainement jamais inventé le premier eBook en 1971, qui constitue aujourd’hui une formidable innovation technologique offrant de multiples débouchés économiques.

Michael Hart, qui disait à propos de son Projet Gutenberg (merci @RemiMathis pour la traduction) :

Ce à quoi on ne pense pas assez quand on parle d’eBooks, c’est que, hormis l’air, c’est le premier bien que chacun peut obtenir comme il le veut. Pensez à cela et vous vous rendrez compte que nous faisons ce qu’il faut faire.

Il appartient désormais à chacun de faire ce qu’il faut faire

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Billet initialement publié sous le titre “Hacker sur domaine public” sur :: S.I.Lex ::

Illustrations: FlickR CC PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Scorpions and Centaurs

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Apple, un nouveau contrat de civilisation http://owni.fr/2010/02/24/article-choisi-apple-un-nouveau-contrat-de-civilisation/ http://owni.fr/2010/02/24/article-choisi-apple-un-nouveau-contrat-de-civilisation/#comments Wed, 24 Feb 2010 17:07:59 +0000 Emmanuel Torregano (électron libre) http://owni.fr/?p=8986 arton576

Un jour cette expression aura tout d’une lapalissade : « Apple est le microsoft de la culture et de la connaissance ». Et de ce jour Microsoft connaîtra un déclin, inéluctable. Ce jour n’est pas si loin. Nul besoin de se demander dès maintenant s’il faut s’en réjouir, car la domination d’une entreprise est en soi un problème pour le reste du marché, et plus inquiétant encore pour la société tout entière.

Microsoft n’avait finalement été qu’un galop d’essai. Une timide percée du virtuel dans nos vies ; rien de vraiment capital. La société de Redmond n’a finalement contrôlé qu’un marché de la boîte à outil informatique, celle qui permet d’écrire, d’échanger ou de regarder des sites Web. Des éléments essentiels, mais sans signification majeure, ni fondements pour établir une civilisation. L’empire de Microsoft s’appuie sur des bidouilles informatiques érigées en éco-système.

Apple n’appartient pas du tout à cet ordre là. La différence est importante, immense entre les deux sociétés. Steve Jobs, son patron et créateur avec Steve Wozniak, l’a toujours affirmé, il s’agit pour lui de changer le monde, pour en bâtir un nouveau. Cette antienne était celle de ses débuts dans l’euphorie des années 1970 de la Silicon Valley, mais elle reste plus encore d’actualité aujourd’hui, alors que la firme en a enfin les moyens…

Et comme toutes les grandes aventures, Apple a commencé doucement à l’abri des regards pour changer en profondeur les choses. L’histoire a commencé par une décision drastique, prise alors que Steve Jobs revenait aux commandes d’Apple au milieu des années 90. L’ordinateur ne devait plus être un outil, gris, beige, moche pour tout dire, que l’on cantonnait au bureau, pour être enseveli sous le courrier en retard… Steve Jobs a mis le design de ses produits au cœur de son process de conception et de réalisation. L’iMac, premier ordinateur né de cette exigence neuve, a permis de sortir l’ordinateur de son no man’s land de la bureautique.

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Cafetière

L’étape suivante est plus étonnante. Apple n’avait pas prévu que l’iPod allait connaître un tel succès. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, ce petit appareil destiné à écouter de la musique est devenu en quelques mois le meilleur agent de publicité de la marque ; bien que bénéficiant d’une forte notoriété, Apple n’avait jamais réellement vendu en dehors d’un cercle d’initiés. L’iPod fut la révélation pour le grand public qu’autre chose était possible en dehors de la tarentule Windows.

Depuis ce coup d’éclat, Apple s’est pris à rêver de sa toute puissance. Et, plus étonnant, le monde lui a tendu un miroir complaisant. L’iTunes Store a ainsi totalement transformé l’idée que l’on pouvait se faire d’une boutique en ligne. Les Apple Stores en dur ont réussi ce même tour de force. Que dire aussi de l’iPhone, dont la progression des ventes tient du miracle pur et simple en ces temps de crise économique !

Le cas iPhone mérite que l’on s’y attarde. Son succès mondial sous-tend la victoire totale de l’ordinateur sur le reste des objets. Le téléphone mobile n’était pas sexy avant l’iPhone, car sa conception tenait plus de la cafetière… Apple a introduit l’intelligence au cœur de la téléphonie mobile. Oubliant volontairement, au passage, qu’un téléphone était vendu jusque-là pour ses caractéristiques techniques. En se déterminant sur d’autres critères, comme l’interface, le mode opératoire ou bien l’accès à un catalogue d’applications, Apple a changé le paradigme du secteur, et l’a préempté aussitôt. Il n’y a pas de concurrent aujourd’hui. iPhone est dans une catégorie à part. Et cela va durer.

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Gutenberg

L’Ipad agit comme un concentré de tous les atouts du jeu d’Apple : l’interface sans pareille, l’ordinateur au cœur de la vie ordinaire, la simplification d’accès aux univers de la connaissance et du divertissement, tout ça dans une ambiance cool et décontractée. Apple est d’ailleurs la victoire dans le domaine de la technologie de l’âge du « teenager américain », qui a déjà sévi dans d’autres secteurs, comme le cinéma ou la musique.

L’armature est en place donc, les voiles gonflées, mais où va-t-on ainsi ? Apple n’est pas une société inoffensive, comme l’a été Microsoft. L’ogre de Redmond n’a été qu’un jouet pour enfants, ou adultes attardés. Cette entreprise n’a aucune envergure, à l’image de son fondateur. Elle a procédé sur son marché naturel avec une stratégie de rouleau compresseur, et s’est peu souciée du destinataire, en clair de satisfaire les clients. Dans sa version grand public Windows n’est pas un produit destiné à être vendu, mais à être adopté par l’utilisateur sans autre alternative. C’est très différent.

Apple doit séduire – et certainement agacer aussi, mais c’est le contrepied du premier. Car la firme de Cupertino va dans les années qui lui reste, celle de son hégémonie, de son climax industriel, avant l’inévitable déclin, déterminer les principes d’un nouvel accès à la culture, à l’information et au divertissement. L’effet sera forcément tellurique. On le comparera avec le recul nécessaire à ce que l’imprimerie de Gutenberg fut à l’aube de la renaissance. Ni plus, ni moins. Et, il serait honnête dès aujourd’hui d’éviter les erreurs sans cesse répétées par le passé d’encenser les grands créateurs, une fois passés de vie à trépas.

> Article initialement publié sur Electronlibre

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On achève bien d’imprimer http://owni.fr/2010/02/08/on-acheve-bien-dimprimer/ http://owni.fr/2010/02/08/on-acheve-bien-dimprimer/#comments Mon, 08 Feb 2010 09:08:12 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=7730

Les amis de la forêt qui n’ont pas pardonné à Gutenberg l’invention de la presse à imprimer en l’an de grâce 1440 peuvent dire merci à Internet. La révolution numérique est en train de mettre fin à la civilisation du papier en dématérialisant nos échanges à la vitesse de 100 megabits par seconde, bientôt beaucoup plus.Fax, lettres d’amour, cartes postales, déclarations de revenus, livres et journaux imprimés… Avant dix ans, peut-être moins, ces millions de tonnes de paperasse – que l’on s’efforce encore de recycler pour épargner ce qu’il reste de la Selva amazonienne et de nos forêts primaires européennes – seront reléguées au rayon des antiquités. Comme avant elle les tablettes d’argile de Babylone et Summer, les papyrus des pharaons, et les stelles de marbre gréco-romaines.

Avec l’incroyable boom des smartphones (Selon Gartner, 525 millions d’unités seront vendues en 2010, contre 179 millions en 2009 !) et l’avènement de la Sainte Tablette d’Apple (Gfk prévoit que la firme à la pomme devrait écouler 4 millions d’iPad dès cette année), l’humanité va en effet entrer dans l’ère de l’écran tactile portatif omniprésent. Regardez autour de vous : dans le métro, dans la rue, au bureau, le lecteur de “Libé” ou du “Monde” version papier se fait rare et vieillissant. Bientôt je serai le dernier des Mohicans avec quelques autres membres du club des nostalgiques de la presse old school. Résultat, la diffusion des quotidiens s’effrite inexorablement : encore – 3,9 % en 2009 pour l’ensemble des quotidiens nationaux selon les derniers chiffres de l’OJD, avec des pointes à – 10 % pour certains titres. D’ailleurs depuis que j’ai cédé à la pression du progrès et de la conformité, je feuillette plus distraitement mon canard préféré pour tapoter de plus en plus fréquemment sur l’écran de mon iPhone et faire défiler frénétiquement les news et les liens internet. Car comme d’autres confrères mutants, je suis devenu un TweetJournaliste accro à l’internet en temps réel. C’est ainsi…

Cela fera sans doute de la peine aux amoureux de la chose imprimée, mais cette dématérialisation de l’écrit est un mouvement inéluctable, l’une de ces révolutions technologiques qui pavent magistralement l’Histoire tous les deux ou trois siècles.

Il suffit d’observer le comportement média des moins de trente ans, cette génération de “digital native” a laquelle j’ai consacré ce récent billet : ils ne savent déjà plus ce qu’est un kiosque à journaux, ni un timbre poste et encore moins un fax… Et demain, hypnotisés par la multiplication des écrans, cette incroyable Bibliothèque d’Alexandrie numérique qu’est devenu le Web et cette merveilleuse fluidité du savoir à portée de clic, ils fréquenteront peut-être de moins en moins aussi les librairies. Avant dix ans, dans les pays développés, la chose imprimée deviendra peut-être paradoxalement un produit de luxe, une vitrine réservée à certains journaux élitistes comme “Le Monde” et “Les Echos” qui tireront des éditions limitées à quelques milliers d’exemplaires.

Nul besoin d’être grand clerc pour savoir que les médias diffuseront toute l’info (texte, son, vidéo HD, 3D…) en temps réel sur des terminaux nomades de plus en plus légers et ergonomiques, qui seront comme un prolongement cybernétique de nous même. Cete révolution est déjà en marche sur l’iPhone et les Blackberry. Dans l’édition, idem : le papier sera un jour réservé aux premiers tirages de la rentrée littéraire et aux beaux livres, l’essentiel de la production étant disponible sur les “readers” et autres tablettes numériques… On téléchargera bientôt le dernier opus noir et déjanté de l’immense James Ellroy comme on commande une pizza.Sauf à réserver une belle version reliée vendue trois fois plus cher. C’est inéluctable avec le cyberlibraire Amazon qui pousse pour faire tomber le prix moyen du livre à 9,99 dollars, de la même manière qu’Apple a imposé la chanson à 0,99 cents sur son magasin iTunes.

Car derrière le bel argumentaire “Green” qui monte qui monte“Hou c’est pas bien tout ce formidable gaspillage de papier qui menace le poumon de la Terre que sont nos forêts” - la logique économique de la dématérialisation est bien plus implacable. Imaginez : quand on achète un quotidien 1,30 euros, près de 80 centimes partent en papier, coûts d’impression et de distribution. L’équation est la même pour le livre : 70 % du prix d’un ouvrage sont aujourd’hui captés par la chaîne qui l’amène jusqu’à l’étal du libraire (voir ce joli graphique sur le site du Syndicat national de l’édition) ! En se passant de cette relique millénaire que tend à devenir le papier, les industries de la presse et de l’édition peuvent espérer d’énormes gains de productivité et de belles marges retrouvées…à condition de trouver enfin un modèle économique online. Evidemment, il y aura encore de la casse sociale : des centaines de milliers d’emplois à travers le monde dans l’industrie du papier, l’imprimerie, la presse et l’édition disparaîtront dans les oubliettes du “progrès”.

Ce n’est pas pour rien que le “puissant” syndicat du Livre CGT, qui n’est déjà plus que l’ombre de lui-même, s’accroche à son statut et à ses postes. Un combat désespéré et perdu d’avance qui contribue à plomber les comptes des journaux. Mais c’est ainsi que meurt un vieux métier qui fut longtemps celui de l’aristocratie de la classe ouvrière.

Mais avant de profiter de la dématérialisation, les médias et l’édition devront bien sûr convaincre le consommateur numérique qu’il faut payer pour voir quand la culture de la gratuité est devenu la norme sur internet. Et là pour le moment c’est une autre histoire. Pour la majorité des lecteurs, le kiosque à journaux s’appelle maintenant Google News et il reste pour l’heure totalement gratuit.

La fameuse Tablette iPad d’Apple pourrait contribuer à cette évangélisation, tout comme l’iPod et l’iPhone ont amené des millions de fans de musique à délaisser les sites “peer to peer” et à acheter leur musique en ligne en toute légalité.

La pression mise par Citizen Murdoch et d’autres pourrait aussi changer la donne si la presse parvient à faire front commun contre “le vampire Google” comme l’appelle Rupert : menacés d’un boycott massif de la part des journaux au profit de Bing (Microsoft) ou d’un autre, le géant de l’internet acceptera peut-être un jour de reverser une sorte de “licence globale” à la presse en échange de la mise en ligne de ses articles. Assis sur un tas d’or publicitaire, les maîtres de l’internet seront invités à partager – un tout petit peu – pour que vivent les industries culturelles. Ce ne serait pas scandaleux dans la mesure où ils vivent plutôt grassement des contenus auxquels ils donnent certes accès, mais sans verser un cent pour les produire.

Pour le vieux monde de l’imprimé, il y a en tous cas urgence à se défaire peu à peu de ses derniers oripeaux de papier. Question de survie, plus que d’écologie. Car l’homo numeris d’aujourd’hui en pince bien moins aujourd’hui pour la sève des arbres que pour le flux d’informations qui défile sur l’écran de son smartphone… Google construit d’ailleurs déjà son meilleur monde numérisé sur les ruines de l’imprimé : début 2009, la firme californienne a carrément racheté une usine de pâte à papier au finlandais Stora Enso pour la modique somme de 50 millions de dollars… Pas pour alimenter les rotatives des « Echos » ou fournir les pages du prochain Goncourt. Non, cette fabrique située au milieu des forêts septentrionales de Summa Mile a été rasée pour construire un nouveau « data center » ! L’une de ces fameuses « fermes » de serveurs informatiques que Google essaime aux quatre coins de la planète pour indexer sans relâche la Toile et faire tourner son moteur de recherche à plein régime. C’est ce qui s’appelle avoir le sens du symbole et de l’Histoire avec un grand H. Ce bon vieux Gutenberg doit évidemment se retourner dans sa tombe, mais on n’arrête pas le progrès…

Jean-Christophe Féraud

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