OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Une histoire d’hébergeurs (2/2): et la liberté d’expression? http://owni.fr/2011/08/12/internet-droit-histoire-hebergeurs-liberte-expression/ http://owni.fr/2011/08/12/internet-droit-histoire-hebergeurs-liberte-expression/#comments Fri, 12 Aug 2011 10:40:11 +0000 Benoit Tabaka http://owni.fr/?p=76014 Suite et fin d’“Une histoire d’hébergeurs”, par le directeur des affaires juridiques et réglementaires de PriceMinister Benoit Tabaka.

Après “la naissance d’une responsabilité” en 1999, les hébergeurs continuent d’interroger les juristes: comment définir leur rôle exact ? Et comment s’assurer qu’ils ne retirent pas arbitrairement tout contenu qui leur est signalé ? Pour prévenir tout abus, le Conseil Constitutionnel a créé un garde-fou: le concept de “contenu manifestement illicite” qui seul peut mettre en cause la responsabilité des hébergeurs. Un moyen de protéger au mieux la liberté d’expression sur Internet, mais qui semble aujourd’hui se retourner contre ses ambitions initiales.


2004: on passe à l’étape supérieure

Il faudra attendre la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique pour avoir la transposition de ce principe aux articles 6.I.2 et 6.I.3 de la fameuse “LCEN”. Ainsi, “les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible“.

Ainsi, la responsabilité de l’hébergeur peut être retenue dès lors qu’il a connaissance de fait et contenus illicites. La LCEN répond ainsi aux critiques émises par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 2000. La loi doit prévoir un formalisme ? Que nenni, l’article 6.I.5 fixe les conditions dans lesquelles la “connaissance est présumée acquise”. La loi doit déterminer les caractéristiques essentielles du comportement fautif ? La LCEN abandonne la logique de diligences appropriées pour se focaliser sur le principe d’une suppression des contenus litigieux.

Sauf qu’à l’époque des débats, un concept revient régulièrement. La justice privée. Par exemple, les Verts s’opposent à une loi qu’ils jugent “liberticide” car elle institue une justice privée de la Toile, entre les mains d’entreprises privées, à savoir les fameux hébergeurs.

A la même époque, est clairement débattu le rôle que doit avoir l’hébergeur. Passif ou actif face à une notification ? L’hébergeur doit-il être un juge du contenu ? Face à un contenu notifié, quelle doit être sa réaction : avertir l’auteur ? supprimer le contenu ? Et si l’auteur du contenu conteste la nature de la notification, comment agir alors ?

Cette période d’intenses discussions, notamment dans les travées du Parlement, s’explique par l’existence aux Etats-Unis d’un cadre juridique analogue créé par le Communications Decency Act en 1996 et le Digital Millenium Copyright Act en 1998. Surtout ces textes déresponsabilisent les intermédiaires mais tout en leur imposant une obligation dite de “notice and take down”. En cas de notification d’un contenu, les intermédiaires doivent le supprimer … mais aussi en informer l’auteur du contenu. Ce dernier détient alors la possibilité de le contester au travers d’une contre notification. L’intérêt ? A partir d’un moment, il revient à l’auteur de la notification initiale de saisir la justice ou le contenu est alors remis en ligne et l’intermédiaire se voie être exonéré de sa responsabilité.

Ainsi, aux Etats-Unis, l’intermédiaire n’est pas juge du contenu. Dès réception du contenu, il procède à sa suspension et à l’information de l’auteur dudit contenu. En cas de contestation, il reviendra aux juges de statuer sur le différend ou, à défaut, le contenu réapparaîtra en toute légalité.

En France, le cadre juridique n’a pas voulu aller aussi loin. On a prévu 1) le principe de notification 2) un formalisme – facultatif, les parlementaires ayant refusé de le rendre obligatoire et 3) un garde fou avec une sanction pénale en cas de notification abusive. Mais cela a paru insuffisant aux principaux observateurs. Et aussi au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le dispositif. Il a émis ce que l’on appelle une “réserve d’interprétation”. Pour ceux non familiarisés avec les concepts de droit constitutionnel, cela pourrait se résumer en : “Bon, j’te censure pas ta loi mais à la condition que cela soit interprété dans ce sens. Sinon, couik“.

Donc, les sages de la Rue Montpensier reviennent sur ce régime de responsabilité et cette crainte de justice privée. Dans leur décision, ils expliquent que “ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge“.

Le flou législatif comme garde-fou

Ainsi, naquit le concept du “manifestement illicite”. Pour le Conseil constitutionnel, la responsabilité de l’hébergeur ne peut être recherchée que s’il n’a pas retiré un contenu qui était manifestement illicite.

Pourquoi avoir prévu une telle précision ? Le Conseil constitutionnel l’explique clairement dans ses commentaires :

Soulignons à ce sujet que les dénonciations dont un hébergeur sera le destinataire peuvent être nombreuses et de caractère confus, malveillant ou intéressé [Il est vrai que la loi prévoit un garde-fou contre les dénonciations qui auraient pour seul objet d'obtenir le retrait de l'information (4 du I de l'article 6). Mais un tel détournement de procédure est tout sauf évident et, étant sanctionné pénalement, il ne sera reconnu que restrictivement et tardivement.
Ce garde-fou ne mettrait donc l'hébergeur que faiblement à l'abri des dénonciations intempestives.]. De plus, la caractérisation d’un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste.
Dans ces conditions, les hébergeurs seraient tentés de s’exonérer de leurs obligations en cessant de diffuser les contenus faisant l’objet de réclamations de tiers, sans examiner le bien fondé de ces dernières. Ce faisant, ils porteraient atteinte à la liberté de communication.
En raison de leurs effets, et compte tenu du dilemme dans lequel elles enfermeraient l’hébergeur, les dispositions du 2 et (surtout) du 3 du I de l’article 6 ne cesseraient de méconnaître l’article 13 de la Déclaration de 1789 qu’en portant atteinte à son article 11

L’ajout de ce qualificatif “manifestement” est un garde-fou voulu par le Conseil constitutionnel. Il ne faut pas que l’hébergeur supprime systématiquement tous les contenus notifiés uniquement pour se dégager de toute cause éventuelle d’engagement de sa responsabilité.

En cela le Conseil constitutionnel responsabilisait, éthiquement, l’hébergeur en lui donnant un outil formidable destiné à protéger la liberté de communication et donc, d’être non pas l’acteur d’une justice privée, mais bien le dernier rempart en faveur de la liberté d’expression.

Seulement, un point n’a jamais été vraiment précisé par les Sages de la Rue Montpensier : ce qu’ils entendaient par “manifestement”. Cela a permis à de nombreux juristes de se pencher sur la question (voir à ce projet, cette étude très complète). Traditionnellement, le manifestement illicite est réduit aux cas de racistes et d’anti-sémitisme, de pédopornographie ou de propagation de la haine raciale. Pourquoi ces cas là exclusivement ? Cela provient tout simplement d’un article de Zdnet qui avait relaté les propos tenus par le Secrétaire général du Conseil constitutionnel en conférence de presse et qui donnait des exemples de contenus manifestement illicites.

Mais les juges n’y ont pas vu une liste limitative. Des magistrats ont ainsi pu voir dans l’atteinte à la vie privée, un contenu manifestement illicite. A l’inverse, la contestation du génocide arménien ne pouvait recouvrir cette qualification, ces propos n’étant pas illicites à l’époque des faits.

2011: il faut faire évoluer le statut

Par la suite, les débats ont porté bien souvent sur le statut de ces intermédiaires. Qui sont les hébergeurs ? Plates-formes de vidéos, plates-formes de commerce électronique, etc. La Cour de cassation est venue dans plusieurs arrêt du 17 février 2011 donner son interprétation, concernant notamment Dailymotion. Elle explique ainsi “que la société Dailymotion était fondée à revendiquer le statut d’intermédiaire technique” au sens de la LCEN.

Dailymotion reconnu comme hébergeur. Si on prend cet exemple, un second sujet se pose alors : quid du manifestement illicite ? Si on dit que Dailymotion, en sa qualité d’hébergeur, ne se doit de retirer que les contenus manifestement illicites qui lui ont été notifiés, quelles diligences doit-il prendre lors du traitement des notifications des ayants-droit ? On peut se poser la même question au regard du développement des systèmes d’empreintes qui ont vocation à automatiser le traitement des notifications et finalement à mettre en oeuvre un “notice and stay down”, c’est à dire un blocage de la réapparition de contenus identiques.

Et c’est à ce stade de l’histoire que la question se pose : le garde-fou créé par le Conseil constitutionnel destiné à éviter les notifications abusives et destiné, non pas à protéger les intermédiaires mais à assurer la protection de la liberté de communication, est-il toujours effectif ?

Cet abandon du garde-fou est accéléré par les mêmes décisions de la Cour de cassation du 17 février 2011. Les juges suprêmes estiment qu’une “notification délivrée au visa de la loi du 21 juin 2004 doit comporter l’ensemble des mentions prescrites par ce texte“. En clair, la procédure de l’article 6.I.5 est une procédure non pas facultative, comme le souhaitait le Parlement, mais bien une procédure obligatoire que se doit de suivre le tiers souhaitant notifier un contenu illicite sur une plate-forme.

Et dès lors que l’on crée une voie formalisée de notification des contenus, la mise en oeuvre du “notice and take down” par les hébergeurs peut alors prendre une voie industrielle : la notification conforme à la LCEN est reçue, le contenu est supprimé.L’hébergeur abandonne alors l’analyse du contenu de la notification et ne s’assure plus que celle-ci vise bien qu’un contenu “manifestement illicite”.

Donc, d’un côté, la Cour de cassation impose un formalisme en matière de notification. De l’autre, les hébergeurs développent de plus en plus une coopération avec les tiers, notamment les ayants droit (musique, cinéma, marques, etc.), afin de faciliter ou fluidifier les notifications et leur traitement. Des outils sont également mis en place afin, pour les intermédiaires, d’adopter une démarche proactive de recherche des contenus (bases d’empreinte pour les vidéos, mots clés ou analyses du contenu d’offres pour les petites annonces de produits).

Le garde-fou qu’aurait dû être l’hébergeur disparaît progressivement et s’estompe. En l’absence de formalisme pour la notification, l’hébergeur était amené à procéder à l’examen de celle-ci et éventuellement à refuser les demandes. Combien de fois ai-je refusé à un titulaire de “droits exclusifs” la possibilité d’imposer un prix de vente à ses distributeurs sur une plate-forme de commerce électronique. De même, il m’est arrivé de m’opposer à la suppression de contenus pointés comme étant “diffamatoires” .. mais prescrits depuis de nombreux mois.

Ce travail d’analyse sera-t-il encore mené à partir du moment où l’article 6.I.5 pose, plus qu’un formalisme, un principe selon lequel la connaissance des contenus est alors présumée acquise. Ainsi, la Cour de cassation impose un formalisme, mais la conséquence du respect de ce formalisme est que l’hébergeur a, alors, la connaissance des faits illicites .. imposant leur retrait.

Ainsi, en focalisant le débat juridique exclusivement autour de la nature de l’intermédiaire (hébergeur ou pas), on a totalement oublié le rôle que la loi, et surtout le Conseil constitutionnel, a conféré à cet intermédiaire. Celui d’être un des garants de la liberté d’expression sur les réseaux.

Des pistes pour protéger la liberté

Il y a aussi une raison à cela, sans doute en forme de mea culpa. Le débat autour du statut de l’hébergeur s’est focalisé depuis plus de 5 ans autour des acteurs du web 2.0, les fameux acteurs de l’Internet communautaire. Et surtout, l’un des sujets majeurs discutés lors des contentieux était le respect des droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, droits voisins, droit des marques, brevets, etc.) voire la protection de réseaux de distribution. Les enjeux de ces débats sont de nature économique. Il s’agit de protéger des droits exclusifs d’exploitation et les revenus (et aussi emplois) qui y sont attachés. Le débat devient alors purement économique sur l’atteinte que provoque les intermédiaires.

Mais à aucun moment, la question de la liberté d’expression ne se pose, ne s’est posée dans ces débats. Quand l’industrie musicale critique l’utilisation de certains morceaux musicaux dans des vidéos, est-ce la liberté d’expression qui est en jeu ? Quand un vendeur est accusé de porter atteinte à un réseau de distribution sélective, la liberté d’expression est-elle un enjeu ?

De même, quand on sait que la grande des parties de ces contentieux a été jugée par des magistrats spécialisés sur les questions de propriété intellectuelle, on peut s’interroger sur la place de la problématique de la protection de la liberté de communication dans l’esprit des magistrats.

La critique du traitement trop fréquent de la question du statut de l’hébergeur au travers du prisme de la protection des droits de propriété intellectuelle est réelle et justifiée. Et il n’est pas étonnant aujourd’hui que la question de la révision au plan communautaire du statut juridique de l’hébergeur puisse intervenir, non pas à l’occasion d’une discussion d’une nouvelle directive “e-commerce”, mais à l’occasion de la directive IPRED, comprendre “renforcement des droits de propriété intellectuelle”.

Et surtout, maintenant que les dossiers contentieux vont de moins en moins porter sur la qualification de tel ou tel intermédiaire en hébergeur, est-ce qu’un intermédiaire fera le choix de s’opposer à une notification et ainsi courir d’un contentieux où son statut pourrait être en lui même remis en cause ?

Au gré des contentieux, il semble que l’appréciation du caractère manifestement illicite d’un contenu ait disparu et clairement, il est de moins en moins dans l’intérêt d’un intermédiaire de remettre en cause ce caractère manifeste dans ses échanges avec les tiers. La boîte de Pandore a été difficile à refermer, elle ne l’est pas totalement. Rare sont ceux qui voudront se relancer dans de tels débats.

Se pose alors une question : ne faudra-t-il pas instaurer dans le droit français un nouveau garde-fou protecteur des libertés ? Dans les couloirs sombres des lobbyistes de l’Internet, une question sérieuse se pose : celle de l’instauration d’une procédure de contre-notification à l’américaine. Ainsi, il ne sera plus demandé à l’intermédiaire de se faire juge de l’illicite ou même du manifestement illicite. Il reviendra à l’auteur du contenu, objet de la notification, de la contester. Et si l’auteur de la notification le désire, il lui reviendra le soin de saisir le juge afin d’en obtenir le retrait.

Le garde-fou serait double. D’une part, il s’agirait de la procédure administrative et contradictoire organisée par l’intermédiaire. D’autre part, il s’agirait des pouvoirs du juge qui demeure, rappelons-le, l’un des garants des libertés selon notre système juridique.

Il ne fait pas de doute que rouvrir le débat parlementaire autour du statut de l’hébergeur est purement illusoire, voire suicidaire, notamment au regard des propositions de créer des régimes ad hoc, comme par exemple, celui de l’éditeur de service en ligne.

Mais à une époque où la question de la protection de la liberté de communication devient centrale, il ne faudrait pas que l’arbre – filtrage – puisse cacher la forêt. Il faut rappeler que le filtrage des contenus par les fournisseurs d’accès (enfin, le “blocage” de ceux-ci) intervient de manière subsidiaire à une autre mesure : celle de la suppression desdits contenus par les hébergeurs.

Les garanties procédurales, et notamment le recours au juge, qui sont revendiquées en matière de blocage devraient également trouver leur pendant dans les procédures existantes en matière de suppression des contenus par les hébergeurs à la demande de tiers. Contrairement aux Etats-Unis, nous n’avons pas en France de base de données des notifications reçues et/ou traitées par les hébergeurs. Nous n’avons pas de transparence sur les mesures prises. Et nous n’avons plus de gardes-fous.

Dans ses confessions d’un voleur, Laurent Chemla disait :

C’est là qu’il faut chercher et trouver l’Internet, dans la liberté d’expression rendue au plus grand nombre par un simple outil qui organise la cacophonie. (…) Cette liberté, sachez la conserver, quand vous l’aurez, vous aussi, retrouvée.


Retrouvez la première partie sur OWNI: “Une histoire d’hébergeurs: naissance d’une responsabilité”

Billet initialement publié sous le titre “Les hébergeurs protègent-ils encore la liberté d’expression sur Internet?” sur le blog de Benoît Tabaka

Paternité Kevin Saff /Paternitéotodo/ Paternité Slideshow Bruce/ PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification carabendon

]]>
http://owni.fr/2011/08/12/internet-droit-histoire-hebergeurs-liberte-expression/feed/ 6
Une histoire d’hébergeurs (1/2): naissance d’une responsabilité http://owni.fr/2011/08/11/une-histoire-dhebergeurs-12-naissance-dune-responsabilite/ http://owni.fr/2011/08/11/une-histoire-dhebergeurs-12-naissance-dune-responsabilite/#comments Thu, 11 Aug 2011 17:18:08 +0000 Benoit Tabaka http://owni.fr/?p=75961 Le régime de responsabilité des intermédiaires du réseau: la prise de tête assurée pour tout individu désireux de se plonger dans les méandres du droit d’Internet… Sur Internet: qui est quoi ? Et qui, dans la longue chaîne d’opérateurs intervenant sur la toile, est responsable du contenu publié ?

Benoit Tabaka, directeur des affaires juridiques et réglementaires de PriceMinister, revient sur la tumultueuse histoire du régime de responsabilité des “hébergeurs” dont la mise en place s’est faite dans l’oubli progressif de la liberté d’expression, pourtant essentielle au réseau. Premier volet de la rétrospective !


On ne cesse de le répéter, le statut juridique relatif à la responsabilité des intermédiaires de l’Internet tend à se stabiliser. Certes, c’est le cas. Après la récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne dans le dossier L’Oréal v. eBay UK et surtout, après les arrêts de la Cour de cassation sur l’application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique à divers intermédiaires – que l’on appelle communément des hébergeurs, le cadre juridique tend effectivement à se stabiliser.

Mais finalement, la stabilisation trouvée est-elle la bonne ? À un moment où l’on s’interroge perpétuellement sur une révision du régime de responsabilité applicable aux intermédiaires de l’internet – certes à entendre les ayants droit dans un sens de son renforcement, il se peut que la Cour de cassation ait donné un coup de volant à la direction prise par un grand nombre d’acteurs, un coup de virage qui pourrait fortement redessiner le cadre juridique applicable.

Quel changement les juges suprêmes français auraient donc initié ? Sans doute la fin du concept du “manifestement illicite”, pourtant proclamé par le Conseil constitutionnel.

Rembobinons la pellicule. Repartons à zéro. Asseyez-vous confortablement et déroulons le fil de l’histoire. Le fil de l’histoire du numérique.

L’affaire Altern: au commencement, rien

Et si je vous disais que le cadre juridique tel qu’on le connaît aujourd’hui trouve son fondement autour de trois noms : Estelle Hallyday, Calimero et la RATP. Et le tout, avec un prestataire technique connu alors sous le nom d’Altern.org.

Au milieu des années 90, Valentin Lacambre décide de créer un site appelé Altern.org qui se propose d’héberger gratuitement sites web et adresses de courrier électronique. Aucune bannière de publicité, le service étant alors intégralement financé par les services minitel qu’il exploite en parallèle. Altern.org devient très vite un lieu de stockage de très nombreux sites, passant de quelques sites en 1995 à plus de 30000 en 1999. Mais, au sein de ces pages, quelques problèmes.

Ainsi, à partir de 1997, Altern.org connaît plusieurs procédures judiciaires intentées à son encontre. En Avril 1998, une action est intentée par Estelle Hallyday à la suite de la diffusion de plusieurs photographies. En novembre 1998, une deuxième action est engagée par les titulaires de droits sur le personnage Calimero pour un usage dans le monde sadomasochiste. En février 1999, ce sera au tour de la RATP d’attaquer en justice l’hébergeur du site ratp.org et ensuite se rétracter.

A l’époque le régime juridique de l’hébergeur n’existe pas. Ces acteurs, ces intermédiaires de l’Internet sont alors traités par les magistrats sur le terrain du droit commun de la responsabilité civile et en particulier sur la base de l’article 1382 du Code civil. Celui qui commet une faute causant préjudice, doit le réparer. Plusieurs décisions interviennent et notamment un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 10 février 1999 qui sera à l’origine d’une rupture.

La Cour d’appel de Paris, sous la présidence de Marie-Françoise Marais, dit alors ceci :

Considérant qu’en offrant, comme en l’espèce, d’héberger et en hébergeant de façon anonyme, sur le site ALTERN.ORG qu’il a créé et qu’il gère toute personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait la demande aux fins de mise à disposition du public ou de catégories de publics, de signes ou de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère de correspondances privées, Valentin LACAMBRE excède manifestement le rôle technique d’un simple transmetteur d’informations et doit, d’évidence, assumer à l’égard des tiers aux droits desquels il serait porté atteinte dans de telles circonstances, les conséquences d’une activité qu’il a, de propos délibérés, entrepris d’exercer dans les conditions susvisées et qui, contrairement à ce qu’il prétend, est rémunératrice et revêt une ampleur que lui-même revendique

Valentin Lacambre est alors condamné à la somme de 300.000 FF (45.000 euros) de dommages et intérêts. De très nombreuses réactions commencent alors à tomber et celles-ci prennent une ampleur notamment politique. Les Verts publient un communiqué le 4 mars 1999 de crainte de voir la disparition de l’internet citoyen et solidaire. Le Parti socialiste leur embraye le pas le 12 mars 1999 en publiant un communiqué (archive.org) appelant à “clarifier les responsabilités sur Internet“.

Chose surprenante, le ministre de l’économie de l’époque – Dominique Strauss-Khan – adresse un email à Valentin Lacambre pour lui faire part de son soutien :

Monsieur Valentin Lacambre,


En navigant sur le réseau, j’ai pris connaissance de la situation à laquelle vous êtes confronté depuis quelques semaines et qui vous a amené à interrompre votre service d’hébergement de sites web. Plusieurs procédures sont en cours devant les tribunaux, et il n’appartient pas à un membre du gouvernement de prendre position dans le débat judiciaire. Cette affaire met néanmoins en lumière plusieurs points importants pour le développement de la société de l’information dans notre pays.


Tout d’abord, Internet n’est pas un espace de non-droit et nous devons explorer les voies qui permettent de protéger, sur le réseau comme ailleurs, les droits fondamentaux des personnes. A ce titre, certaines activités sur l’Internet pourraient sans doute appeler une adaptation du droit actuel. En effet, les incertitudes sur les modalités précises d’application du droit peuvent créer un sentiment d’instabilité juridique qui peut générer des dépenses importantes pour les entreprises. Ces coûts peuvent être particulièrement lourds pour les PME/PMI qui n’ont pas toujours les structures ou les moyens pour supporter ces dépenses. Le cas d’altern.org en est une illustration.


J’observe également que la plupart des analyses conduites en France, notamment par le Conseil d’Etat, et au niveau européen, dans les discussions relatives au projet de directive sur le commerce électronique, convergent pour limiter la responsabilité de l’hébergeur, tant qu’il n’a pas eu connaissance des contenus illicites qui ont pu transité sur le réseau par son intermédiaire. De façon plus générale, chacun mesure en navigant sur le web que les mécanismes traditionnels de réglementation du secteur audiovisuel ne peuvent être généralisés à l’ensemble des contenus mis à disposition du public sur Internet. Ainsi, un hébergeur de sites ne saurait, à mon sens, être comparé à un éditeur de presse ou à une chaîne de télévision.


Ces questions complexes montrent combien il nous faut accélérer les travaux engagés en France et avec nos partenaires européens pour ne pas freiner le développement d’Internet.


Bonne chance et meilleures salutations.


Dominique Strauss-Kahn

Fascinant. Le 17 mars 1999, c’est au tour de Lionel Jospin, alors Premier ministre, d’intervenir. Lors d’un discours, il revient sur l’affaire Altern et explique que le “régime juridique applicable à l’internet doit encore être adapté”. Il demandait alors qu’un travail soit lancé afin d’aboutir à la fixation d’un cadre juridique spécifique. Donc la décision est prise. La majorité de l’époque souhaite agir. Surtout, qu’en parallèle se discute à Bruxelles le projet de directive dite “e-commerce” dont certains articles sont destinés à fixer le cadre juridique applicable à l’ensemble des intermédiaires de l’internet.

Et donc, le 20 mai 1999, Patrick Bloche dépose un amendement à l’occasion de l’examen du projet de loi relative à la liberté de communication. Il sera adopté, puis amendé lors de son passage au Sénat, avant une adoption définitive le 20 juin 2000. Le texte ne satisfait pas alors les acteurs du net, et notamment Altern.org qui décide de cesser ses activités à compter du 1er juillet 2000.

Le texte adopté prévoyait deux causes d’engagement de la responsabilité des hébergeurs :
- l’absence de suppression des contenus suite à une injonction judiciaire ;
- et “si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées“.

2000: on déresponsabilise l’hébergeur

Ainsi, la loi de 2000 souhaitait imposer aux hébergeurs une obligation de prendre “des diligences appropriées” dès réception d’une notification d’un tiers au regard d’un contenu qu’ils hébergent. Mais, cette partie du texte ne passera pas l’analyse du Conseil constitutionnel qui dans une décision en date du 27 juillet 2000 censure cette phrase au motif “qu’en omettant de préciser les conditions de forme d’une telle saisine et en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution“.

La loi du 1er août 2000 sera donc publiée mais amputée de cette deuxième cause d’engagement de la responsabilité des hébergeurs. L’hébergeur ne sera donc responsable que si, ayant été saisi par l’autorité judiciaire, il n’a pas procédé au retrait des contenus. Le premier régime de responsabilité aménagée de l’hébergeur était donc créé en France.

Au regard des rares causes d’engagement possible de la responsabilité de l’hébergeur, tous les débats judiciaires qui ont suivi se sont focalisés sur une seule question : l’intermédiaire en cause est-il hébergeur au sens de la loi et donc, bénéficie-t-il du régime aménagé ? La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur cette question une fois dans la fameuse affaire Tiscali, plus exactement à propos du site d’hébergement de pages personnelles “Chez.com”, financé par l’affichage de bannières publicitaires. La Cour de cassation avait refusé, le 14 janvier 2010, de faire application de ce cadre juridique, excluant ainsi “chez.com” du bénéfice du régime de l’hébergeur, le rôle de l’intermédiaire excédant les simples fonctions techniques de stockage.

La Cour de cassation suivait ainsi le rapport de son rapporteur, Marie-Françoise Marais. Comme nous l’indiquions, la magistrate était à l’origine de l’arrêt Altern.org, qui a provoqué la loi du 1er août 2000, loi dont la Cour de cassation devait faire l’interprétation…

Mais au final, cet arrêt de la Cour de cassation avait peu d’intérêt sur le plan purement juridique ? Car, en janvier 2010, le cadre juridique avait déjà été modifié sous l’impulsion de deux étapes. La première date du 8 juin 2000 et correspond à l’adoption par les institutions européennes de la Directive relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite directive sur le commerce électronique).

Le texte institue en son article 14 une obligation pour les Etats de prévoir un régime de responsabilité aménagée au profit des hébergeurs ainsi rédigée :

Article 14
Hébergement


1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que:

a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente
ou
b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.


2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.


3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible.


La suite au prochain épisode (demain…)


Billet initialement publié sous le titre “Les hébergeurs protègent-ils encore la liberté d’expression sur Internet?” sur le blog de Benoît Tabaka

Illustrations: Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales jreedPaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales kevindean/  PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Kristian VinkenesPaternitéPartage selon les Conditions Initiales hillary h/ PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Brother O’Mara/

]]>
http://owni.fr/2011/08/11/une-histoire-dhebergeurs-12-naissance-dune-responsabilite/feed/ 1
Le petit DSK illustré http://owni.fr/2011/03/30/le-petit-dsk-illustre/ http://owni.fr/2011/03/30/le-petit-dsk-illustre/#comments Wed, 30 Mar 2011 06:30:50 +0000 Antoine Mairé http://owni.fr/?p=53991 Les hommes politiques ne sont pas que des stakhanovistes en costume deux pièces, ce sont avant tout des hommes. Il y a deux semaines sur Canal+, on nous a raconté la vie de l’un d’entre eux, et pas n’importe lequel : un chef d’Etat sans Etat. Non content de figurer en tête de tous les sondages (63% d’opinions favorables33% d’intentions de vote), Dominique Strauss-Kahn est donc quelqu’un de charmant, marié à une femme idéale. Au bout de ces 50 minutes réalisées par Nicolas Escoulan et intitulées “Un an avec DSK”, il ne fait aucun doute que cet homme de 61 ans, animé par une force politique à la dimension internationale, est celui que toute la France attend. Et quel dommage, avec le recul, que le retentissement médiatique du film ait été couvert par quelque menu tsunami, catastrophe nucléaire et autre Marine Le Pen.

N’ayant pas le droit, en raison de sa position de directeur du FMI, de commenter la vie politique française ni d’annoncer sa candidature à la présidentielle, ni d’ailleurs de divulguer les tractations économiques avec les pays en difficulté, à quoi sert ce documentaire ? Oui cher lecteur, tu as pensé très fort “à rien” et tu as tort. Il nous est offert une profession de foi politique. La vérité nue, qui ne sort pas de la bouche d’une secrétaire, mais de l’extrême concentration avec laquelle DSK et ses comparses affichent leur désir d’accomplir une mission auprès des Français.

Si le film dit peu de son avenir, il n’en pense pas moins et montre un homme en campagne prêt pour la future présidentielle. Cela ne fait aucun doute d’après ses conseillers en communication : “Il correspond au portrait robot du candidat idéal”, et

à partir du moment où la France aura besoin de lui, DSK répondra présent.

Ces 50 minutes sont la boite noire d’un avion prêt à atterrir en 2012. On peut sans peine y déceler l’ADN du programme du futur candidat DSK. Revoyons les images, car il y a comme un goût de primaire dans l’air.

Un argumentaire sans faille

Pour aller au bout d’une campagne présidentielle (et nul doute qu’il y parviendra), il faut compter sur une vigueur martiale au débat. Ce documentaire permet de donner un aperçu de ses talents d’orateur. Et quoi de mieux que de procéder à l’analogie pour destabiliser ses concurrents? D’autant plus si on l’accompagne d’un léger silence satisfait. Le silence après une petite phrase de DSK, c’est encore du DSK. Pizza, école, thermomètre, tout est bon dans la comparaison.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un débatteur dur à cuire

Il y a des chances que la scène des tournedos entre au panthéon du documentaire politique. Cet instant à la célébrité déjà éprouvée est le révélateur de l’envie d’en découdre de DSK. Pour en analyser les contours, donnons la plume à un habitué du savant mélange entre politique et entrecôte, le chroniqueur de RTL et Canal+ Jean-Michel Aphatie : “Non mais regardez un peu cette cuisson, c’est quand même incroyable ! Alors je me demandais si par hasard, présentement, et contexeutuellement parlant, monsieur Dominique Strausseukahn ne réduisait pas à néant sa viande au même titre que ses futurs adversaires. Ce quartier de barbaque qui se retourne sur lui-même, n’est-il pas Eric Besson ? Cet assemblage de nerfs mis sous le silence du grill, c’est Nicolas Sarkozy évidemment. Et là regardez un peu, c’est incommensurablement affolant, comme il tient ce tournedos déprimé, plissé, martyrisé, au bout de sa fourchette, embroché tel le premier François Fillon venu.”

Merci Jean-Michel, mais ne nous attardons pas sur cette scène, après tout, “la vie privée, c’est la vie privée, il ne faut pas l’étaler“.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Du Franc-parler

Ce repas de “monsieur tout le monde” comme le précise amoureusement le commentaire est néanmoins le témoin évident de la proximité de DSK avec les Français. Ce poste au FMI a fait de lui un aigle qui s’élève au dessus du monde à mesure qu’il s’éloigne de la terre.  En laissant entrer les caméras chez lui, DSK sait redevenir l’oisillon auprès de qui les Français aiment batifoler. Ainsi parle-t-il comme le commun des habitants de son Sarcelles chéri:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un homme bien entouré

Connait-on vraiment la tâche d’un directeur du FMI ? Nicolas Escoulan nous fait entrer par la plus grande porte du bâtiment : celle du parking. Plongée ensuite dans A la maison blanche version économie mondiale, au centre des plus grandes décisions de ce monde. Tant pis si la caméra s’éloigne au moment des négociations, ou semble s’extasier de se trouver auprès d’une personnalité aussi importante, elle se rattrape en exerçant un regard critique sur la fonction autant que sur les décisions de DSK. Voici donc un montage de ces moments qui savent prendre un peu de recul, pour qu’enfin, au cours de ce film, se dégage une voix contradictoire [NDLR : la vidéo fonctionne bien]:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le sens pratique

Il était important de montrer à quel point DSK maitrise les petits trucs de grand-mère ; à quel point lui connait le prix d’une baguette de pain ou d’un ticket de métro, certes, à Washington, mais il sait tout ça. C’est un homme du peuple oui monsieur. Une minute et dix secondes du film sont consacrées à sa technique de repassage d’un costume. Le secret ? Faire couler l’eau chaude pendant une demi-heure. Ah ils rigolent moins les écolos, ces rebelles de pacotille, ces voleurs de voix au premier tour. Au diable avril 2002, déjà oubliées les européennes de 2009, regardez comme ce costume lisse est un pied de nez à leur absence de candidat.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Une carrure internationale

Au FMI, ses décisions se doivent d’être portées par un grand sens du jugement au moment de gérer les grandes questions de ce monde : “Combien la Zambie peut-elle emprunter ?” (20:57), “On a du nouveau sur la Grèce ?”(7:20), “Je dois reparler du multilibéralisme et blablabla ?” (25:37), “Mais qui a fait ce gateau ?” (11:54). De la même façon, sa clairvoyance lui permet de pointer les défaillances économiques de certains pays, et de l’analyser avec tact. Un vrai sens de la diplomatie qui a, certes, eu des échos peu cordiaux en Grèce

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un fédérateur de la gauche

Il ne sera pas ce président-omnipotent comme un certain futur prédécesseur. Lui au pouvoir, c’est la gauche (ou au fond à droite de la gauche) qui gouvernera. Voyez avec quel vigueur il joue au football, s’empare du ballon et se dépêche de faire la passe à ses petits camarades sud-africains. A toi le dossier du nucléaire, à moi les sans-papiers, à toi le mal-logement, à moi la libération des otages. Le gouvernement DSK sera France 98 ou ne sera pas. A la fin du film, DSK précise : “être de gauche, c’est de prendre la réalité, essayer de la corriger pour qu’elle soit plus juste. Il faut dépasser le possible, mais ne pas promettre l’impossible”. Etre un président de gauche, ce sera être un numéro 10 mais aussi savoir donner le bâton (libre à toi lecteur de terminer cette phrase).

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le goût du terrain

Une élection se gagne sur les marchés et dans les salles des fêtes. Tant de combats éloignés du 8ème arrondissement… Ces trois dernières années, DSK a parcouru 60 pays et 44 000 kilomètres. Il est logiquement rompu à l’asphalte d’une course à la présidence. Il a dans ses bagages d’homme de terrain un entrainement intensif mené auprès des troupes d’élite du FMI, cette agence pas comme les autres…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Merci donc à ce “Un an avec DSK” d’avoir porté ainsi aux nues un homme en proie à une décision majeure. Un travail de longue haleine. Un travail de salut public. Un travail journalistique ? De son côté, l’entourage de Dominique Strauss-Kahn, contacté par OWNI, se défend d’avoir exercé une quelconque influence sur le ton du reportage et a déclaré avoir découvert le film au moment de sa diffusion.

Crédit Photo FlickR CC : International Monetary Fund [cc-by-sa]

]]>
http://owni.fr/2011/03/30/le-petit-dsk-illustre/feed/ 24
DSK président: rêve ou réalité ? http://owni.fr/2011/03/27/dsk-president-reve-ou-realite-2012/ http://owni.fr/2011/03/27/dsk-president-reve-ou-realite-2012/#comments Sun, 27 Mar 2011 17:44:28 +0000 Dominique Reynié (Commentaire) http://owni.fr/?p=53621 Suite de l’enquête lancée par la revue Commentaire auprès de quelques “observateurs attentifs de la vie politique”, enquête intitulée :

“Que fera la gauche en 2012 ?”

Parmi toutes les contributions publiées dans le numéro 133 de la revue, OWNI a sélectionné celle du politologue Dominique Reynié qui a répondu à la question suivante :

Pourriez-vous procéder à une expérience mentale ? Supposons que les élections législatives de 2012 soient remportées par le Parti socialiste et ses alliés. Compte tenu de ce que sera, en 2012, la situation de la France et de l’Europe, et compte tenu de l’orientation probable de cet éventuel gouvernement : quelles sont, à vos yeux, les principales lignes du programme qu’il devrait ou pourrait mettre en oeuvre pour la législature 2012-2017, ou les principales décisions qu’il devrait ou pourrait prendre ?

OWNI remercie Commentaire et son équipe de partager ce délicieux moment de politique-fiction.

Du rêve à la réalité, par Dominique Reynié

La situation était si fragile que quelques maladresses ont suffi. Des déclarations, purement tactiques, dès le 25 juin 2012, évoquant un revenu étudiant, une rumeur sur la retraite à soixante ans et des propos intempestifs du secrétaire d’État à l’égalité réelle, Benoît Hamon. La première dégradation de la France par l’agence de notation Moody’s a l’effet d’un courant d’air sur un château de cartes. Ce 7 novembre, c’est la troisième fois en cinq mois. Chez Fitch, la note tombe à AA-. Peu avant son départ pour Pékin, le ministre de l’Économie et des Finances, François Hollande, déplore une nouvelle « décision qui contredit les objectifs visés ». Le 3 décembre, le gouvernement Aubry II est constitué, après la démission spectaculaire de Jean-Luc Mélenchon, ministre des Affaires sociales et de l’Égalité réelle. Il s’agit de juguler d’autant plus vite les dépenses publiques qu’elles sont brutalement alourdies par la hausse des taux. À Matignon, devant un parterre de journalistes européens, Martine Aubry, très tendue, promet un « plan quinquennal de gel du recrutement des fonctionnaires ». À l’Élysée, le nouveau Président s’apprête à recevoir le directeur général du FMI, l’Indien Barid Baran Bhattacharya. Il songe, en maugréant, qu’il est passé du statut de prêteur à celui d’emprunteur. Le Secrétaire général, Olivier Ferrand, est au téléphone avec le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qu’il tente de faire patienter.

Le 10 décembre, sur TF1 – France Télévision est en grève –, le ministre de l’Industrie, Manuel Valls, fait savoir que « l’action du gouvernement sera soutenue par la cession d’une tranche supplémentaire de 20 % du capital d’EDF, soit une contribution nouvelle de 12 milliards d’euros aux efforts de redressement, après la première tranche de 20 % cédée en août dernier ». Le 11, Martine Aubry, résignée, relève de deux points les taux de TVA. C’est le moment que choisit Ségolène Royale, présidente de l’Assemblée nationale, pour rappeler à l’exécutif ses promesses : « Des engagements sacrés ont été pris devant les électeurs. » Le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, regrette « la multiplication des déclarations inamicales et inappropriées ».

Le 18, la ministre du Budget, Marisol Touraine, annonce la création d’un flagrant délit de fraude fiscale, vanté par son homologue grec Antonis Papacostas, et décide de taxer les plus-values sur la cession de la résidence principale. Les classes moyennes sont au bord de l’insurrection.

Partout des manifestations ont lieu. À Paris, les restaurateurs s’amassent au carrefour Sèvres-Babylone. Marine Le Pen, venue les rejoindre, est ovationnée. Plus loin, devant un groupe de retraités en colère, Nicolas Dupont-Aignan exige la sortie de l’euro, inaudible et fantomatique au milieu des fumigènes et du vacarme des cornes. Conduits par Olivier Besancenot, chef du tout nouveau Parti révolutionnaire français (PRF), les salariés de la fonction publique forment une foule épaisse qui inonde le boulevard Voltaire et la place de la Bastille. Le nom de Mélenchon est conspué. En province, des manifestations dégénèrent. De nombreuses banques et des bâtiments publics sont détruits, notamment à Tulles et à Fixin. À Lille, le local du Parti socialiste a été incendié. Le ministre de l’Intérieur, Arnaud Montebourg, met en garde les « professionnels du tumulte et du chaos ».

7 mai 2012, 6 heures du matin

Dominique Strauss-Kahn se réveille brutalement. De mauvais rêves viennent de gâcher sa première nuit de Président, et le café ne les dissipe pas. Son conseiller le plus proche, Gilles Finchelstein, lui apporte la montagne de journaux qui relatent sa victoire de la veille. À la une du Parisien : son portrait sur fond bleu blanc rouge ; deux grands chiffres, « 58/42 » et un titre énorme : « Un espoir historique ! » Le nouveau Président fixe la page. Il ne sourit pas. Il hésite encore.

Crédits photo CC FlickR parWorld Economic Forum

Article disponible dans le numéro 133 de la revue Commentaire

Retrouvez les autres articles de notre dossier :

2012 : comment UMP et PS rebootent leurs idées pour la présidentielle

François Hollande à Matignon

Téléchargez la une de Loguy /-)

]]>
http://owni.fr/2011/03/27/dsk-president-reve-ou-realite-2012/feed/ 9
Jacob et les Jacobins http://owni.fr/2011/02/16/christian-jacob-et-les-jacobins/ http://owni.fr/2011/02/16/christian-jacob-et-les-jacobins/#comments Wed, 16 Feb 2011 15:09:54 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=46981 Les faits : sur Radio J (une radio communautaires juive à Paris), le président du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, a déclaré à propos de la candidature de Dominique Strauss-Kahn :

Ce n’est pas l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien, celle à laquelle je suis attaché.

Un certain nombre de représentants socialistes sont alors tombés sur le râble du député, considérant que cette phrase cachait des arrières-pensées antisémites.

L’historien Serge Klarsfeld, pourtant généralement assez prudent dans les comparaisons historiques, s’est autorisé à rapprocher la phrase de Christian Jacob d’une réflexion faite par Xavier Vallat, futur commissaire général aux questions juives sous le gouvernement de Vichy, qui avait dit à Léon Blum en 1936 : « Votre arrivée au pouvoir marque incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain va être gouverné par un juif. » Christophe Cambadélis s’est permis la même comparaison et Pierre Moscovici a rappelé la devise pétainiste : « La terre ne ment pas. »
En l’absence de contexte particulier (on ne sait pas ce que Christian Jacob a dit avant ou après et, pour ma part, j’ignore si ce monsieur a un passif particulier dans le registre), il est difficile de comprendre comment tant de gens sont parvenus à imaginer que Christian Jacob ait pu sciemment chercher à faire de l’œil aux électeurs antisémites, ce qui serait infiniment plus coûteux que rémunérateur, politiquement parlant.

Dominique Strauss-Kahn, un haut-fonctionnaire international

Il me semble évident que, si Christian Jacob n’aime pas Dominique Strauss-Kahn, c’est surtout parce que ce dernier appartient au parti concurrent et qu’il est jugé crédible dans le domaine de l’économie, ce qui est rare pour les personnalités réputées de gauche. Il est bien possible que Christian Jacob voie surtout Dominique Strauss-Kahn comme un haut fonctionnaire international, ce qu’il est, et un Parisien, ce qu’il est aussi (tandis que Christian Jacob est un authentique paysan, enfin il l’a été), mais s’il n’aime pas DSK et qu’il ressent le besoin de le dire, c’est évidemment parce qu’il appartient à la concurrence. Du reste, rappeler que Strauss-Kahn est, de par ses fonctions, bien loin de la France, est la ligne actuelle de ses détracteurs et, notamment, de l’UMP.

L’importance de la réaction contre Christian Jacob fait émerger des questions de civilisation intéressantes. La culture juive de France (mais pas celle de nombreux pays de l’Est ou d’Israël) est essentiellement urbaine, et inversement, les campagnes sont réputées chrétiennes et conservatrices. Je trouve amusant que le député pris à partie s’appelle Christian Jacob, puisque « Christian » est un prénom dérivé du christianisme, et que Jacob est le nom d’un patriarche de la Torah – Hugues Serraf, en commentaire à un article de Slate sur le sujet, parie d’ailleurs que beaucoup de gens pensent que Christian Jacob est juif.

Même si l’histoire justifie, et pour longtemps, une hyper-vigilance vis-à-vis des indices d’antisémitisme, je trouve la polémique ridicule, et pourtant, Zeus sait que je ne me sens pas particulièrement d’atomes crochus avec les personnalités haut-placées à l’UMP comme ce monsieur Jacob.

Ce qui m’intéresse, et que je trouve triste finalement, c’est la détestation des paysans qui transparait dans cette affaire. Serge Klarsfeld, par exemple, a dit ceci :

Dans une France qui n’est plus rurale, ni antisémite, nombreux sont les noms et les personnalités qui ne s’identifient pas à la France de Jean Giono et de Philippe Pétain, à commencer par le président de la République et le secrétaire général de l’UMP.

Je ne suis pas sûr de ce que veut dire Klarsfeld à propos de Sarkozy et Copé, mais l’association entre « rural » et « antisémite », présentée comme allant de soi, est plutôt désagréable à lire, surtout de la part de quelqu’un de valeur. Quand à prétendre que la France n’est « plus rurale » ? C’est curieux, c’est dérangeant, c’est faux, mais il est bien possible que des millions de Français urbains soient persuadés que la campagne est une affaire classée.

La France rurale : simplette, idiote, bigote, et donc antisémite…

J'aime pas les juifs.

Dans un article au second degré écrit sur Slate, Laurent Sagalovitsch affirme que Christian Jacob n’est pas antisémite et que « La France, ça se mérite. La France, ça se respire. Ça se hume. Un Français devant le postérieur d’une vache, ça pleure toutes les larmes de son cul. Un Français devant une église robuste comme un trois quarts gascon ça s’agenouille et ça remercie Le Seigneur Tout-Puissant, à s’en faire péter les cordes vocales, de l’avoir fait naître dans cette contrée bénie des dieux. » C’est du « second degré », comme on dit, mais il trahit chez son auteur une vision assez terrible de la France rurale : simplette, idiote, bigote, et donc antisémite… Ailleurs il se moque des vaches ahuries et des lignes de chemin de fer mal entretenues.

Mais voilà, la France rurale, si maltraitée, si méprisée du pouvoir jacobin, si délaissée (il ne reste que trois ou quatre gares SNCF pour tout le bucolique – et socialiste ! – département du Gers, par exemple), elle existe bien toujours. Elle produit ce que nous mangeons, ce qui nous fait vivre, elle construit le paysage, elle a fait la gastronomie française, qu’il n’est pas exagéré de présenter comme une des plus riches au monde, et pourtant elle crève à petit feu empoisonnée par les ententes entre distributeurs, par la concurrence des serres d’Almeria, par les pesticides et par le désespoir.

L’agriculture n’est pas un mauvais souvenir que l’on doit chasser, un fantôme à exorciser, c’est un des sujets les plus importants du siècle qui commence, c’est un trésor menacé que l’on doit absolument protéger. La première chose à faire serait peut-être de ne pas insulter l’intelligence des paysans : on peut aimer ses champs sans être pour autant nostalgique du pétainisme.

Images CC Flickr Cmic Blog, Photos de Daniel et Pouspous

]]>
http://owni.fr/2011/02/16/christian-jacob-et-les-jacobins/feed/ 17