OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Nouvelle pirouette sur l’Internet iranien http://owni.fr/2012/10/09/nouvelle-pirouette-sur-linternet-iranien/ http://owni.fr/2012/10/09/nouvelle-pirouette-sur-linternet-iranien/#comments Tue, 09 Oct 2012 08:13:36 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=121947

La République islamique n’en finit pas de bloquer Internet, de rétropédaler, pour finalement trouver de nouveaux moyens pour limiter toujours plus la pénétration d’informations en Iran. Depuis le 4 octobre, le gouvernement d’Ahmadinejad a trouvé une nouvelle lubie : le son et la vidéo. Les fichiers sons (mp3 uniquement), vidéos (mp4, avi) et au format flash (swf) ne sont plus consultables en Iran, même s’ils sont hébergés à l’extérieur du pays.

L’Internet (verrouillé) made in Iran

L’Internet (verrouillé) made in Iran

Les autorités iraniennes avancent et rétropédalent depuis des mois sur leur projet d'Intranet géant. Hier, le ministre de ...

Cette ligne Maginot est une nouvelle étape de la drôle de guerre de Téhéran pour le contrôle d’Internet. Il y a deux semaines, le ministre délégué aux Communications, Reza Taghipour, annonçait tout feu tout flamme la coupure prochaine de Gmail, le service de messagerie de Google, ainsi que la version sécurisée du moteur de recherche.

Officiellement, les autorités voulaient couper l’accès au film “L’innocence des musulmans”, diffusé sur YouTube. Ou du moins surfer sur cette vague. En creux, l’objectif était plus de diminuer encore les possibilités d’échanger avec l’extérieur. Patatra. Devant la grogne de certaines personnalités politiques, Gmail a été débloqué à peine une semaine après.

Pirouette

De la même façon qu’au printemps lorsque le protocole https, utilisé pour les connexions sécurisées (donc les emails), a été bloqué, le gouvernement est vite revenu en arrière. Le secteur bancaire notamment n’avait pas du tout apprécié d’être ainsi entravé dans sa communication vers l’extérieur. Cette fois-ci, l’insigne honneur d’exécuter la pirouette est revenu au porte-parole du pouvoir judiciaire. Dans le journal iranien Mellat Ma, Gholamhossein Ejeï a déclaré le 2 octobre :

Comme une partie du film anti-Islam avait été diffusé sur le site YouTube et que ce site avait été acheté par Google, en filtrant YouTube il y a eu des perturbations techniques dans l’usage de Google et Gmail.

Circulez, rien n’est censuré. Sauf YouTube, toujours inaccessible. Et même Internet dans son ensemble pour les administrations. Reza Taghipour, aujourd’hui plus ministre du minitel que des Communications, avait aussi annoncé l’ouverture d’un intranet géant pour les institutions.

Contre Stuxnet et la rue

Les menaces redoutées par le régime ont deux noms : cyberattaques et manifestations. Depuis la révolte de juin 2009 après la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, Téhéran limite au maximum la circulation de l’information. Par peur qu’un nouveau mouvement naisse sur les réseaux. Ces jours derniers, l’effondrement de la monnaie nationale a provoqué des protestations, jusqu’au bazar de Téhéran, l’un des poumons économiques de la capitale.

Une récente étude (PDF) sur la consommation des médias en Iran, menée dans quatre grandes villes iraniennes, laisse penser que le phénomène a été largement surestimé ou a depuis périclité. Les résultats du sondage, réalisé par l’université de Pennsylvanie, montre que 96% des sondés utilisent d’abord la télévision pour s’informer. Internet n’arrive qu’en quatrième position. Certes, les jeunes (surtout les 18-28 ans) ont plus recours à Internet que leurs aînés, mais le classement n’est pas bouleversé.

C’est en tout cas suffisant pour Téhéran qui n’en finit pas de cadenasser Internet. Par peur aussi de subir de nouvelles cyberattaques. Lundi, un officiel de l’Iranian Offshore Oil Company a affirmé que les systèmes de communications de plusieurs plateformes pétrolières étaient attaqués ces dernières semaines.


Photo par Khalid Albaï [CC-by] via flickr

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Le Liban grand maître censeur http://owni.fr/2012/09/12/le-liban-grand-maitre-censeur/ http://owni.fr/2012/09/12/le-liban-grand-maitre-censeur/#comments Wed, 12 Sep 2012 11:43:55 +0000 Emmanuel Haddad http://owni.fr/?p=119823

En marge de la conférence Share Beirut, qui débutera le 5 octobre dans la capitale libanaise, plusieurs ONG lanceront un festival pour la liberté d’expression destiné à dénoncer la censure en vigueur au Liban. Et elles déposeront à cette occasion un projet de loi au Parlement, largement inspiré par le travail de l’avocat Nizar Saghieh, coauteur d’un rapport de 152 pages sur le fonctionnement de la censure au Liban.

Devant son plat de sushis et derrière ses lunettes noires, le musicien Zeid Hamdan, clé de voûte de la scène underground libanaise avec son groupe Zeid & the Wings, désigne “un cancer qui gangrène la société libanaise” quand on parle de censure. Avant d’ajouter plus provoc : “En m’enfermant à cause de la chanson General Suleimane, ils m’ont fait un super coup de pub ! Tous les artistes jouent à flirter avec la censure à présent” .

Après quelques heures passées en garde à vue en juillet 2011, pour une chanson qui s’achève sur un “General Suleimane go home!” très peu du goût de l’entourage du président libanais, Zeid estime qu’il y a eu plus de bruit que de mal : “En Syrie, j’aurais fini égorgé, en Iran, emprisonné. C’est parce qu’il y a de la liberté au Liban qu’on peut jouer avec la censure”. Voire.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Son optimisme contagieux n’a pas atteint la cinéaste Danielle Arbid qui, après la censure de son dernier film Beyrouth Hôtel -dont Zeid Hamdan a composé la bande originale- a jeté l’éponge : “Rien ne marche dans ce pays, sauf le bureau de censure”, a-t-elle lâché en même temps que sa décision de ne plus travailler au Liban, non sans avoir lancé un procès contre la Sûreté générale.

Censurer la liste

Le bureau de censure, au sein de la toute-puissante Sûreté générale libanaise, délivre les indispensables autorisations de diffusion. Il fait planer une menace d’interdiction sur toute nouvelle production des artistes et médias libanais, mais n’a jamais cru nécessaire de justifier ses décisions.

“Depuis sa mise en œuvre dans les années 1950, le travail du bureau de la censure est lié à un cadre légal est assez flou. La loi sur la censure dispose qu’est interdit tout ce qui porte atteinte à la sécurité nationale, ce qui incite à la discorde confessionnelle, qui met en danger la relation entre le Liban et des pays amis et frères… Ce sont des formulations très floues et élastiques dont, l’interprétation change au gré de l’humeur politique du moment”, rappelle Ayman Mhanna, directeur de l’organisation Samir Kassir Eyes (SKeyes), sorte de Reporter Sans Frontières pour le Liban, la Jordanie, la Syrie et la Palestine.

Le bureau n’a pas non plus daigné rendre publique la liste des œuvres censurées. “Ils nous ont toujours dit une chose et fait l’autre, alors peu à peu, on a compris qu’ils s’en étaient toujours tirés comme ça, de manière opaque”, explique Léa Baroudi, membre de l’ONG March qui milite pour la suppression de la censure au Liban. Sur la page facebook de l’organisation, le résumé d’une conversation avec le général responsable de la censure, tenue en mars 2012, vaut toutes les descriptions :

-Nous n’avons pas honte de censurer. Tout ce qui est censuré l’est pour une raison valide, c’est dans l’intérêt de tout le monde.

-Ok, donc on pourrait avoir une lise du matériel censuré par votre bureau ?

-Bien sûr, envoyez une lettre officielle, nous sommes là pour aider

-Désolé mais en réalité, on ne peut pas vous envoyer cette liste.

-Donc vous censurez la liste du matériel censuré… Juste quand on pensait que ça ne pouvait pas être pire !

La liste en question est disponible depuis le 3 septembre sur le site du Musée virtuel de la censure . “Mais ce n’est pas le bureau qui nous l’a donné. Nous avons fouillé les archives du quotidien An-Nahar, bénéficié de la participation citoyenne depuis le site internet, de l’aide de libraires…” explique Léa Baroudi, ajoutant que “les gens sont très surpris et indignés de voir que de telles œuvres aient pu être censurées. Personne n’avait idée de l’ampleur du phénomène !”

Tout commence avec Le Dictateur de Charlie Chaplin dans les années 1940, et se poursuit sans ordre apparent, en forme d’inventaire à la Prévert, des Monty Python à Rabbi Jacob en passant par Woody Allen, les Pink Floyd, The Da Vinci Code, un article de Libération jugé critique envers Hafez el-Assad, tous les films de Danielle Arbid ou encore une caricature de Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, réalisée par Pierre Sadek. Après examen, Léa Baroudi décèle un ordre logique :

On retrouve quatre thèmes sujets à censure. La politique, notamment l’image des États amis, de la Syrie à l’Iran en passant par l’Arabie Saoudite. La religion, dont les institutions interfèrent sans aucune assise légale, Israël, et le sexe.

Les conséquences d’une telle censure sont clairs pour la jeune activiste : Beaucoup d’artistes s’en vont ou s’autocensurent pour éviter de passer par le bureau de censure. Le risque, c’est que la culture devienne de plus en plus conventionnelle…

Amnésie

Sous un portrait de Samir Kassir revisité en icône pop, faisant du journaliste assassiné le 2 juin 2005 un Che Guevara libanais, Ayman Mhanna met en évidence la perversion du système : “Avant même que ces films n’arrivent à la Sûreté générale, il y a une sorte de réflexe pavlovien des mecs de la censure qui en font un pré-visionnage : dès qu’ils sentent qu’une œuvre est lié de près ou de loin à la religion, ils l’envoient à l’autorité religieuse compétente, soit au centre catholique d’information, soit au Dar el-Fatwa sunnite, soit au grand conseil supérieur musulman chiite. Puis, ils acceptent sans rechigner les restrictions que ces derniers leurs réclament.”

Au Liban, religion et politique sont inextricablement liées au sein d’une architecture institutionnelle censée promouvoir l’équilibre entre 18 communautés confessionnelles coexistant dans un espace de 10 452 km² de superficie. Avec un Président de la République forcément chrétien, un Premier ministre toujours sunnite et un président du Parlement chiite. Une savante répartition qui a volé en éclats pendant les quinze années de guerre civile, 1975-1990, laissant 150 000 morts derrière elle autant d’horreurs provoqués par l’une ou l’autre des communautés. Ayman Mhanna soupçonne le bureau de censure de prendre la place du travail de mémoire :

La plupart des films qui ont été interdits depuis la fin de la guerre sont liés à la question de la mémoire de la guerre. Au lieu de faire un travail de mémoire pour une réconciliation pérenne, on a préféré l’amnésie et l’amnistie. On ne peut pas parler de la mémoire, ni écrire dessus et encore moins en faire des films, car on craint toujours que cela ne réveille de vieux démons. En réalité, cette censure enracine toutes les rancœurs à l’intérieur des gens ; ils ne peuvent pas faire leur deuil.

Robert Fisk, journaliste britannique qui a couvert et vécu la guerre civile libanaise, écrivait le 9 avril 2005 dans The Independent que “l’adage quoique tu fasses, ne mentionne pas la guerre” a acquis une place spéciale dans un pays dont les habitants s’entêtent à refuser de tirer des leçons de leur massacre fratricide.

Pendant au moins dix ans, mon propre livre sur la guerre civile a été interdit par les censeurs libanais” . Mais le reporter insiste aussi, quatre jours avant la commémoration des 40 ans du 13 avril 1975, date du début de la guerre civile, sur les raisons de l’amnésie libanaise : “Les Libanais s’apprêtent à se rappeler du plus terrible conflit de leurs vies, celui qui a tué 150 000 personnes et dont la commémoration la semaine prochaine était à l’origine entre les mains de l’ex-premier ministre Rafic Hariri, qui a été lui-même assassiné le 14 février”.

Malgré les accords de Taëf signant la fin de la guerre le 22 octobre 1989, les Libanais continuent de vivre un quotidien rythmé d’invasions territoriales israéliennes et syriennes et d’assassinats ciblés, de Samir Kassir à Rafic Hariri, laissant peu de place à un retour serein sur leur passé.

Trembler

“Interdit une fois, interdit toujours, la morale ne change pas avec le temps”, siffle une employée du bureau de censure, justifiant l’interdiction d’une chanson jugée sexuellement explicite, parce que “« trembler » ça a une connotation sexuelle, non ?”.

Fictive, cette réflexion est tirée du sixième épisode de la web-série Mamnou3 (Interdit en arabe), dirigée par Nadim Lahoud, lequel, “après avoir écouté mon discours sur l’opacité du bureau de la censure”, raconte Ayman, “est venu me proposer de faire quelque chose d’autre qu’une énième campagne de presse.

Comme il est britannique, inspiré par la série The Office, il a proposé de faire quelque chose sur internet, donc pas censuré, et comique. On a décidé de ne pas faire dans l’investigation : si le bureau de censure n’est pas transparent, libre à nous d’imaginer comment il fonctionne. En insistant sur le côté absurde et anachronique de la plupart de ces décisions”. Le résultat est diffusée sur YouTube au rythme d’un épisode par semaine depuis juin, chacun attirant près de 40 000 visiteurs.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Malgré la chape de plomb qui pèse encore sur la mémoire de la guerre et les autres tabous libanais, la nouvelle génération brandit de nouvelles armes : l’humour lol, l’accès gratuit, la diffusion en réseau et la liberté de ton octroyés par l’Internet. Entre Mamnou3 et le Musée de la censure, l’Internet libanais devient le réceptacle d’initiatives visant à rompre avec l’idée bien ancrée qu’il y a des choses plus urgentes à régler que l’accès à la culture.

“Tu entends souvent que, alors que beaucoup de gens meurent, s’occuper de la censure est secondaire. Pourtant, la liberté d’expression ne devrait pas passer avant ou après les autres problèmes politiques, mais en parallèle. C’est un droit fondamental !” , rappelle Léa Baroudi, dont l’ONG March participe à la rédaction d’un projet de loi qui vise à supprimer la censure a priori des œuvres audiovisuelles. Et de préciser :

Avec la fondation Maharat, l’avocat et activiste Nizar Saghieh et d’autres organisations, nous proposons dans ce projet de loi, qui sera porté devant le Parlement en octobre, de transformer le bureau de censure en un comité d’experts dont le rôle se limitera à définir des catégories d’âge pour avertir sur le contenu d’un film avant sa diffusion. Après, si un film pose problème, l’affaire doit passer en justice, selon des critères précis, comme dans tout pays qui se veut démocratique.

Share Beirut

Mais le bras de fer n’est pas terminé. Le 26 mai, à l’appel du Conseil spirituel druze, toutes les autorités religieuses du pays se sont réunies “pour créer un comité de vigilance de la vertu ou un truc avec un nom aussi libéral, où ils se sont mis d’accord pour se soutenir sur les demandes de censure des uns ou des autres”, raconte Ayman Mhanna. Depuis l’entrée en fonction du gouvernement de Najib Mikati en juin 2011, pas moins de quinze films ont été totalement ou partiellement censurés. Une recrudescence qui va au-delà du changement de majorité politique, selon le directeur de SKeyes :

Chaque fois que la situation politique au Liban est relativement stable, les décisions sur la censure sont rares. Dès qu’il y a des problèmes de sécurité régionale et des divisions profondes comme c’est le cas depuis juin dernier, la censure se fait plus forte.

L’enlisement de la guerre civile syrienne et les plaies qu’il réveille au Liban renforce les tabous d’une nation fragile. Alors certains fuient le pays pour ne pas étouffer, d’autres se tournent vers Internet et s’inspireront de la conférence Share Beirut organisée début octobre autour d’Internet et de la culture des hackers. Le bureau de la censure, lui, continue de scruter le moindre risque de subversion : “Trois minutes peuvent enflammer tout le pays”, s’inquiète le général de la série Mamnou3… devant un vidéo-clip de musique pop !


Photos via la vidéo General Suleiman, le musée de la censure.
Illustration de Une remixée par Ophelia Noor pour Owni à partir du Clip General Suleiman de Zeid Hamdan.

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Le Soudan censure sa révolte http://owni.fr/2012/07/23/le-soudan-censure-sa-revolte/ http://owni.fr/2012/07/23/le-soudan-censure-sa-revolte/#comments Mon, 23 Jul 2012 15:27:31 +0000 Florian Cornu http://owni.fr/?p=116238

Manifestation détudiants à l'université des sciences et technologies (Soudan), via Iamsudanes (youtube)

Alors que la journaliste égyptienne Shaimaa Adel, emprisonnée depuis trois semaines pour avoir couvert les révoltes soudanaises vient d’être libérée, le mouvement de contestation engagé à Khartoum continue. Dans un contexte d’arrestations massives, les émeutes sont quotidiennes et l’accès au web tend à devenir un enjeu primordial pour l’avenir du mouvement.

Le 16 Juin dernier, des étudiantes de l’université de la capitale ont commencé à protester contre l’annonce de mesures d’austérité entraînant une énième élévation du prix de la nourriture et du transport. Immédiatement réprimées, les manifestations se sont répandues comme une trainée de poudre dans d’autres universités du pays avant de rallier différentes strates de la population.

Si les protestations étaient initialement motivées par l’annonce d’un plan d’austérité, elles ont rapidement mué en un mouvement de revendication démocratique et populaire exigeant la fin du régime du président Omar el Béchir.

Depuis le début des révoltes, la maîtrise de l’information joue un rôle clé pour le pouvoir. Avec la multiplication des zones de contestation, ce dernier met tout en œuvre pour couper la communication entre les émeutiers et garder le contrôle des médias. Arrestations de journalistes et de blogueurs, censure de la presse papier avant publication et restriction du web sont autant de moyens utilisés par les autorités pour briser l’élan des manifestants.

Le web, matrice des révoltes

Malgré l’absence d’infrastructures Internet massives au Soudan (seule 10% de la population y aurait accès et 50%  posséderait un téléphone portable) le web joue un rôle crucial pour contourner la censure et organiser les manifestations.

D’abord, grâce à quelques sites d’activistes comme Girifna ou Sudanchangenow qui diffusent régulièrement des informations sur les émeutes et rassemblements quotidiens.  Sudanchangenow a même mis en place une carte interactive permettant de voir au jour le jour les foyers de révoltes, les arrestations, les violences ou encore la couverture médiatique des différents soulèvements. Si le nombre de rapports diffusés ces derniers jours connait un net ralentissement, il est compliqué de savoir s’il s’agit d’un problème de sécurité des sources ou une simple baisse des témoignages recueillis.

Plusieurs blogs, dont Sudanrevolts tentent également de lutter contre la désinformation gouvernementale en utilisant le crowdsourcing pour rassembler, entre autre, les témoignages des personnes arrêtées. Comme l’expliquent ses administrateurs :

Sudanrevolts traite du combat de la population pour le changement au Soudan. Nous essayons pour ce faire d’agir comme une plaque tournante pour diffuser l’information et les histoires de notre révolution [...] c’est un site pour la population fait par la population, merci de nous envoyer vos liens, idées, photos et témoignages- tout ce qui selon vous peut-être pertinent et mérite d’être partagé.

Ce sont aussi les réseaux sociaux qui se font l’agora majeure du mouvement. La plupart des informations, photos et vidéos transitent par le hashtag  #Sudanrevolts sur Twitter et Facebook qui rend compte des arrestations mais agrège également des messages de soutien provenant d’un peu partout dans le monde.

D’après le site uncut, l’accès à l’information est particulièrement compliqué pour les activistes qui n’utilisent pas ces médias car le bureau national des télécommunications bloque de nombreux sites anti-gouvernementaux et de presse en ligne.  C’est le cas des sites  Hurriyat et Al-Rakoba qui se révèlent inaccessibles depuis le Soudan, exceptés en utilisant des proxys.

Un ralentissement global du débit de connexion à Internet complique également les campagnes de communication et les appels à manifester. Par ailleurs, les forces du National Security Service (la police soudanaise) confisquent presque toujours le matériel pouvant servir à communiquer lors des arrestations (téléphones portables, ordinateurs, appareils photo ou caméras) dans le but de juguler la diffusion des preuves de la répression.

A cette censure directe s’ajoute la présence des autorités soudanaises sur le web, dont l’usage exige de plus en plus de précautions. C’est ce qu’expliquait le journaliste Alan Boswell, spécialiste du Soudan peu après une série d’émeutes en janvier 2011:

Au lieu de se contenter de couper l’accès à Internet ou d’empêcher les communications par sms comme le font les autres régimes, les services de sécurité soudanais s’emparent de ces outils. Ils ont même engagé une sorte de “cyber-jihad” contre les activistes anti-régime. Les agents du gouvernement ont infiltré les sites qui lui sont hostiles, s’adonnant à la désinformation et essayant de recouper les sources pour identifier les leaders. Ils postaient également des liens pornographiques sur Facebook et dénonçaient ensuite les sites d’activistes auprès de la direction de Facebook pour violation des règles d’utilisation.

Joint il y a peu par le Centre européen du journalisme, l’activiste Rawa Sadiq (le nom a été modifié) affirmait que les forces de police soudanaises avaient montré leurs tweets à de nombreuses personnes arrêtées, preuve que les autorités surveillent Twitter. Des membres du groupe Girifna ont également été la cible d’arrestations à leur domicile tout comme le journaliste citoyen Usamah Mohamad (@simsimt) ou la blogueuse et militante des droits de l’homme Mimz, (@MimzicalMim), relâchée depuis.

L’Hacktivisme contre la censure

L’un des enjeux de la riposte réside dans le contournement technique de la censure.  Et à ce niveau, les pratiques semblent évoluer rapidement grâce à la mobilisation de certains blogueurs et de collectifs de hackers.

Un observateur américain expliquait il y a peu au réseau liberationtech que le nombre d’utilisateurs du logiciel de proxy controversé ultrasurf qui est censé permettre de contourner la censure et de s’anonymiser a explosé en l’espace de quelques jours dans le pays. Reste à savoir si la version du logiciel est saine, contrairement à celle largement diffusée en Syrie.

Bon nombre de blogueurs tentent par ailleurs de faire connaître les moyens de se protéger sur le web et les précautions à prendre sur les réseaux sociaux. C’est le cas de Yousif Al-Mahdi, dans un billet de blog relatif à la protection des données publié le 4 juillet.

D’après un article du site d’activistes Girifna, un groupe se réclamant des Anonymous s’est attaqué à des sites du gouvernement soudanais en réponse à la propagande du régime. La vidéo ci-dessous était postée quelques jours après le début des émeutes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Enfin, c’est dans le but d’offrir aux activistes les moyens techniques de contourner la censure et le traçage que le réseau de hackers Telecomix a diffusé une note expliquant comment se connecter au web malgré les coupures et la censure.

Comme nous l’a expliqué, Cantor, le web semble accessible mais beaucoup de témoignages signalent que les connexions fonctionnent au ralenti, un peu comme si les fournisseurs d’accès (FAI) soudanais étranglaient Internet. D’après lui, les précautions à prendre sont multiples :

On a dans un premier temps fait parvenir des numéros de modems à appeler pour que les gens aient accès à une connexion. Et pour ce qui est de l’anonymat, on a recommandé d’utiliser Tor à travers des proxys. Ça assure un bon encryptage, un surf anonyme et pour l’instant, ça a l’air de bien fonctionner. On recommande également de ne pas utiliser de téléphone portable ou satellitaire car la police soudanaise intercepte les communications en utilisant des outils modernes d’interception légale par les FAI.


Pour plus d’informations, visitez le site globalvoices qui publie régulièrement des billets sur l’évolution des révoltes.

Capture d’écran, manifestation d’étudiants soudanais à l’université des sciences et technologie via Iamsudanes

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Les trolls, ou le mythe de l’espace public http://owni.fr/2012/06/26/les-trolls-ou-le-mythe-de-espace-public/ http://owni.fr/2012/06/26/les-trolls-ou-le-mythe-de-espace-public/#comments Tue, 26 Jun 2012 14:57:53 +0000 Antonio A. Casilli http://owni.fr/?p=114539

Au Royaume-Uni, la Chambre des communes a récemment mis au vote un amendement du “British Defamation Bill” spécifiquement destiné à s’attaquer aux trolls sur Internet. L’amendement prévoit de contraindre les fournisseurs d’accès ou les propriétaires de sites web à révéler l’adresse IP et les informations personnelles des utilisateurs identifiés comme auteurs de “messages grossiers”. Rien que de très habituel : à chaque fois qu’une information liée aux technologies de l’information et de la communication attire l’attention du public, les législateurs britanniques sortent une loi ad hoc de leur chapeau. De préférence, une loi qui méprise bêtement la vie privée et la liberté d’expression.

Pourquoi les médias ont peur des trolls ?

Dans un effort remarquable de bercer le public d’une compréhension faussée des cultures numériques, le Guardian a consacré une session spéciale à cet étrange phénomène dans son édition du 12 juin. La pièce de résistance, intitulée “What is an Internet troll ?”, est signée Zoe Williams.

Un article concocté à partir de l’habituelle recette des médias dès qu’il s’agit d’aborder le sujet : une pincée de professeur de psychologie livrant ses déclarations profondes sur “l’effet désinhibant” des médias électroniques, un zeste de journaliste pleurnichant sur la baisse du niveau d’éducation et sur les propos incitant à la haine omniprésents, et un gros morceau d’anecdotes tristes concernant de quelconques célébrités au sort desquelles nous sommes censés compatir.

La conclusion de cet essai qui donne le ton (“Nous ne devrions pas les appeler ‘trolls’. Nous devrions les appeler personnes grossières.”) serait sans doute mieux rendue si elle était prononcée avec la voix aiguë de certains personnages des Monty Pythons. Comme dans cet extrait de La vie de Brian :

Cliquer ici pour voir la vidéo.



Les autres articles oscillent entre platitudes (“Souvenez-vous : il est interdit de troller” – Tim Dowling “Dealing with trolls: a guide”), affirmations techno déterministes sur la vie privée (“L’ère de l’anonymat en ligne est sans doute bientôt terminée” – Owen Bowcott “Bill targeting internet ‘trolls’ gets wary welcome from websites”), et pure pédanterie (“Le terme a été détourné au point de devenir un de ces insipides synonyme” – James Ball “You’re calling that a troll? Are you winding me up?”). On trouve même un hommage pictural au tropisme familier de l’utilisateur-d’Internet-moche-et-frustré, dans une galerie d’ “importuns en ligne” croqués par Lucy Pepper.

Évidemment, les médias grand public n’ont pas d’autre choix que d’appuyer l’agenda politique liberticide du gouvernement britannique. Ils doivent se défendre de l’accusation selon laquelle ils fournissent un défouloir parfait aux trolls dans les sections consacrées à la discussion de leurs éditions électroniques. Ils ont donc tracé une ligne imaginaire séparant la prose exquise des professionnels de l’information des spéculations sauvages et des abus de langages formulés par de détestables brutes.

La journaliste du Guardian Zoe Williams est tout à fait catégorique : elle est autorisée à troller, parce qu’elle est journaliste et qu’elle sait comment peaufiner sa rhétorique.

Bien sûr, il est possible de troller à un niveau beaucoup moins violent, en parcourant simplement les communautés dans lesquelles les gens sont susceptibles de penser d’une certaine manière. L’idée est d’y publier pour chercher à les énerver. Si vous voulez essayer ce type de trolling pour en découvrir les charmes, je vous suggère d’aller dans la section “Comment is Free” du site du Guardian et d’y publier quelque chose comme : “Les gens ne devraient pas avoir d’enfants s’ils ne peuvent pas se le permettre financièrement”. Ou : “Les hommes aiment les femmes maigres. C’est pour ça que personne ne pourra me trouver un banquier avec une grosse. QUI POURRA ?” Ou : “Les hommes aiment le sexe. Les femmes les câlins. ASSUMEZ-LE”. Bizarrement, je me sens un peu blessée par ces remarques, bien que ce soit moi qui les aies faites.

Les facteurs sociaux du trolling ne devraient pas être sous-estimés

En tant que citoyen responsable et universitaire qui étudie les interactions conflictuelles en ligne depuis quelques années (cf ici, ici, et ici), je considère ces procédés narratifs des médias comme hautement malhonnêtes et mal informés.

Dès que les trolls sont représentés dans les médias, leurs actions sont habituellement explicitées en termes de “perversion”, “narcissisme”, “désinhibition”. De telles notions, appartenant au domaine de la psychologie clinique, dissimulent les facteurs sociaux sous-jacents du trolling. Ce type de comportement en ligne n’est pas un phénomène individuel. Au contraire, c’est un processus social : on est toujours le troll de quelqu’un.

De plus, le trolling a une dimension collective. Les gens trollent pour provoquer des modifications dans le positionnement structurel des individus au sein des réseaux. Certains le font pour acquérir une position centrale, en attirant l’attention et en gagnant quelques “followers”. D’autres pour renvoyer leurs adversaires aux marges d’une communauté en ligne. Parfois, le trolling est utilisé pour contester l’autorité des autres et remodeler les hiérarchies établies dans les forums de discussions ou les médias en ligne. De ce point de vue, malgré leur attitude perturbatrice, les trolls peuvent aider les communautés en ligne à évoluer – et les cultures numériques à développer de nouveaux contenus et de nouveaux points de vue.

Espace public fantasmatique

Le trolling est un phénomène complexe, qui découle du fait que les structures sociales en ligne sont fondées sur des liens faibles. Les loyautés, les valeurs communes ou la proximité émotionnelle ne sont pas toujours essentielles. Surtout lorsqu’il s’agit de rendre possible en ligne de nouvelles sociabilités en mettant en contact les utilisateurs avec de parfaits inconnus. C’est l’effet principal du web social, et c’est aussi ce qui rend le trolling possible : les “parfaits inconnus” sont souvent loin d’être parfaits. Par conséquent, le trolling ne doit pas être considéré comme une aberration de la sociabilité sur Internet, mais comme l’une de ses facettes. Et les politiques ne peuvent le congédier ou le réprimer sans brider l’une des sources principales de changement et d’innovation de la sociabilité en ligne : le fait d’être confronté à des contenus, postures ou réactions inhabituels. Les ripostes sévères suscitées par les trolls à l’échelon politique doivent êtres analysées comme des ouvertures vers des problèmes et des paradoxes sociaux plus larges.

Essentiellement, l’amendement proposé à cette loi sur la diffamation est une démonstration de force d’un gouvernement qui doit prouver qu’il peut encore contrôler l’expression en ligne. Histoire de tenir la promesse de l’accès au débat démocratique pour un maximum de citoyens, dans une situation d’incertitude maximale. En ce sens, le trolling menace de court-circuiter et de remodeler, de façon dialectique et conflictuelle, les espaces de discussion civilisés (ndlr : polis) que les démocraties modernes considèrent toujours comme leur espace politique idéal. L’existence même de trolls anonymes, intolérants et aux propos décalés témoigne du fait que l’espace public (défini par le philosophe allemand Jürgen Habermas comme un espace gouverné par la force intégratrice du langage contextualisé de la tolérance et de l’apparence crédible.) est un concept largement fantasmatique.

“L’objet de cet espace public est évident : il est censé être le lieu de ces standards et de ces mesures qui n’appartiennent à personne mais s’appliquent à tout le monde. Il est censé être le lieu de l’universel. Le problème est qu’il n’y a pas d’universel – l’universel, la vérité absolue, existe, et je sais ce que c’est. Le problème, c’est que vous le savez aussi, et que nous connaissons des choses différents, ce qui nous place quelques phrases en arrière, armés de nos jugements universels irréconciliables, apprêtés mais sans nulle part où obtenir un jugement d’autorité. Que faire ? Eh bien, vous faites la seule chose que vous pouvez faire, la seule chose honnête : vous affirmez que votre universel est le seul véritable, même si vos adversaires ne l’acceptent clairement pas. Et vous n’attribuez pas leur esprit récalcitrant à la folie, ou à la pure criminalité – les catégories publiques de condamnation – mais au fait, bien que regrettable, qu’ils soient sous l’emprise d’une série d’opinions erronées. Et il vous faut abandonner, parce que la prochaine étape, celle qui tend à prouver l’inexactitude de leurs opinions au monde, même à ceux qui sont sous leur emprise, n’est pas une étape possible pour nous, humains finis et situés.

Il nous faut vivre en sachant deux choses : que nous sommes absolument dans le juste, et qu’il n’y a pas de mesure globalement acceptée par laquelle notre justesse peut être validée de façon indépendante. C’est comme ça, et on devrait simplement l’accepter, et agir en cohérence avec nos opinions profondes (que pourrait-on faire d’autre?) sans espérer qu’un quelconque Dieu descendra vers nous, comme le canard dans cette vieille émission de Groucho Marx, et nous dire que nous avons prononcé le mot juste.”

Stanley Fish, Postmodern warfare: the ignorance of our warrior intellectuals, Harper’s Magazine, Juillet 2002


Article initialement publié en anglais sur le blog d’Antonio Casilli, BodySpaceSociety
Traduction : Guillaume Ledit
Illustration trollarchy par Antonio Casilli, illustrations de Lucy Pepper © sur The Guardian “The drawing of Internet trolls”

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L’Éthiopie, futur ennemi de l’Internet http://owni.fr/2012/06/21/lethiopie-futur-ennemi-de-linternet/ http://owni.fr/2012/06/21/lethiopie-futur-ennemi-de-linternet/#comments Thu, 21 Jun 2012 16:12:59 +0000 Anaïs Richardin http://owni.fr/?p=114164

Cybercafe d'Ethiopie (1)

Depuis quelques jours, une loi qui réglemente sévèrement les télécommunications en Éthiopie inquiète les médias internationaux.  Ils sont nombreux à avoir relayé, de manière souvent exagérée, cette nouvelle législation sur la pénalisation de l’usage des télécommunications dans ce pays de la corne de l’Afrique. De la BBC à TechCentral en passant par AlJazeera ou Le Monde , les titres font frémir : “15 ans de prison pour les utilisateurs de Skype“, “l’Éthiopie criminalise Skype“, “l’Éthiopie verrouille Skype et d’autres services internet qui utilisent Tor“. Que cachent-ils en réalité ?

Présentée par la plupart comme une loi votée le 24 mai, elle n’est en fait qu’un projet encore à l’étude. Sans compter que la disposition qui fait bondir les journalistes, soit la pénalisation de l’utilisation de services de téléphonie ou de fax par internet, est déjà en vigueur depuis… 10 ans.

La charrue avant les boeufs

Le 7 juin, Reporters sans frontières (RSF) publie sur son site un article qui tire la sonnette d’alarme sur le renforcement du contrôle d’internet par l’État éthiopien. Dénonçant diverses entraves à la liberté d’information et d’expression, RSF met le doigt sur une législation éthiopienne qui aurait été votée il y a peu, indiquant que :

L’usage de la VoIP [Voice over internet protocol, NDLR], ou de tout matériel à cet usage vient juste d’être déclaré illégal par la nouvelle législation des services Télécom éthiopiens, qui a été ratifiée le 24 mai. Quiconque contrevient à ce règlement est passible d’une peine de 15 ans de prison.

Reporters sans Frontières ne précise pas que cette loi, intitulée “A proclamation on telecom fraud offences”, n’a pas encore été votée, et qu’elle est encore entre les mains des membres de la Chambre des Représentants qui décideront de son sort. Mais il est impossible de se référer au Journal Officiel éthiopien qui ne paraît qu’en papier, et qu’une bonne âme met ensuite en ligne. Interrogé par Owni sur l’état du projet, le gouvernement a refusé de s’exprimer. Nous l’avons donc récupéré en ligne pour un examen moins superficiel.

La majorité des médias qui ont repris cette information du 7 juin ont fait un raccourci en affirmant que l’usage de Skype pouvait conduire à 15 ans en prison. Cette sanction, qui est la plus importante prévue, ne s’applique pas à l’usage de la VoIP.

Une interdiction vieille de dix ans

L’alinéa 3 de l’article 10 stipule ainsi que “toute personne offrant un service de téléphonie ou de fax par internet commet une infraction passible d’une peine de prison de 3 à 8 ans et d’une amende dont le montant correspond à cinq fois les bénéfices que cette personne a pu tirer de la fourniture de son service durant sa période d’activité”.

Cette disposition s’adresse donc avant tout aux professionnels, et notamment aux propriétaires de cybercafés, principaux lieux de connexion en Éthiopie. Les usagers encourent une sanction plus légère décrite à l’alinéa suivant :

Toute personne qui bénéficie du service stipulé à l’alinéa précédent, de manière intentionnelle ou par négligence, commet une infraction passible de 3 mois à 2 ans d’emprisonnement et d’une amende comprise entre 2 500 Birr [111 euros, NDLR] et 20 000 Birr [891 euros, NDLR].

Passer un appel via Internet peut donc coûter cher, si tant est que la législation soit appliquée. Car la pénalisation de l’usage de la VoIP ne date pas d’hier. Depuis 2002, une loi régissant les télécommunications prévoit que « l’usage ou la fourniture de services de communications vocales ou fax par internet est interdit ».

Protectionnisme

Pourtant à Addis Abeba, la capitale, les cybercafés proposent tous ce service depuis de nombreuses années. Interviewé sur ce projet de loi, Misrak Belay, propriétaire d’un de ces lieux,  affirme ne pas l’interdire à ses clients :

Les gens utilisent ces technologies dans mon cybercafé. Je ne suis pas au courant de la nouvelle législation.

Les propriétaires et usagers de cybercafés sont donc dans l’illégalité sans le savoir. Le seul cas connu d’arrestation pour utilisation de VoIP est celui de Yidnek Hail, un Éthiopien de 31 ans qui aurait été arrêté en 2011 dans un cybercafé d’Addis Abeba pour avoir fait une démonstration de Skype à certains clients. Pour le gouvernement, qui détient Ethio-Telecom (géré par France Télécom), unique fournisseur de télécommunications en Éthiopie, les services de VoIP sont une concurrence dangereuse à éradiquer.

Cybercafé d'Ethiopie (2)

Pour Elizabeth Blunt, ancienne correspondante à Addis Abeba pour la BBC, l’État cherche à limiter les pertes :

Les cybercafés peuvent permettre aux gens de passer des coups de téléphone pour une somme dérisoire comparée au coût d’Ethiopia Telecom, le fournisseur public de télécommunications qui a le monopole et qui pratique des tarifs exorbitants.

Mais il n’existe aucune donnée publique qui permettent de se faire une idée de ces supposées pertes. Elizabeth Blunt voit cependant une autre raison à cette loi, beaucoup moins défendable cette fois :

On ne peut pas écouter et contrôler les communication Skype aussi facilement [que les conversations téléphoniques, NDLR].

Surveillance des citoyens

Ce que reconnait l’Information Network Security Agency (INSA), chargé d’assurer la sécurité du réseau,  qui a écrit le texte, dans le préambule :

La fraude dans les télécommunications est une sérieuse menace à la sécurité nationale, au-delà des pertes économiques qu’elle engendre.

Avec cette nouvelle loi, l’État éthiopien se donne encore plus de pouvoirs pour surveiller et museler les dissidents. Un article déclare que “toute personne qui détient ou utilise du matériel de communication sans avoir obtenu au préalable une autorisation du Ministère de l’information et des télécommunications commet une infraction passible d’une peine de prison comprise entre un et quatre ans et d’une amende entre 10 000 Birr [448 euros, NDLR] et 40 000 Birr [1795 euros, NDLR].”

Cybercafe d'Ethiopie (3)

Cette disposition ouvre un boulevard aux autorités qui voudraient poursuivre des citoyens qui sortiraient du rang. Dans ce texte, le “matériel de télécommunication” désigne “tout système utilisé ou pouvant être utilisé pour des services de télécommunication, accessoires et logiciels inclus”. Ainsi, détenir une page Facebook, un site web ou un blog pourrait être punissable de quatre ans de prison. Une restriction de la liberté d’expression à laquelle l’Éthiopie est plutôt habituée.

L’Éthiopie, qui n’apparait pourtant pas  dans le classement des ennemis de l’Internet de RSF, a emprisonné de nombreux journalistes dissidents, considérés comme “terroristes” pour avoir critiqué le gouvernement.

Avec cette nouvelle loi, les journalistes n’auront plus l’apanage du titre de “terroristes” puisqu’un article pénalise tout “usage d’un réseau ou appareil de télécommunication pour diffuser un message obscène ou visant à semer la terreur “.

Ces messages “obscènes ou “visant à semer la terreur ” pourront notamment être jugés au regard de la loi “anti-terroriste” promulguée en 2009 et ardemment décriée depuis. Cette loi indique que toute personne qui encourage ou apporte un soutien moral à des groupes ou des causes terroristes (dont le parti politique d’opposition Ginbot 7 fait partie) encourt une peine de 20 ans de prison. Le blogueur Endalk donne un exemple concret du résultat choc de la combinaison de ces deux lois :

Poster un simple statut pour soutenir un journaliste en exil ou un dissident politique peut vous envoyer derrière les barreaux pour cinq à huit ans.

Une hérésie au regard de la Constitution éthiopienne qui précise que “l’inviolabilité des lettres, messages et communications échangés par téléphone ou par tout moyen de télécommunication ou appareil électronique est garantie à toute personne”. RSF craint ainsi que cette loi et l’usage récent de DPI menacent encore davantage la liberté d’information et la liberté d’expression.

Cette situation a été très peu relayée par les médias nationaux. Par peur de tomber sous le joug de la censure de l’État ou tout simplement parce que cette loi ne touche qu’un faible nombre d’Éthiopiens ?  Seul 0,75% de la population utilise aujourd’hui Internet, faisant ainsi de l’Éthiopie le second pays d’Afrique avec le plus faible taux de pénétration d’Internet, juste derrière la Sierra Leone.


Cybercafes d’Ethiopie par Travel Aficionado [CC-bysa] et Charles Fred [CC-byncsa] via leurs galeries Flickr

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Balkany, le hacker et l’hébergeur diligent http://owni.fr/2012/06/08/balkany-le-hacker-et-lhebergeur-diligent/ http://owni.fr/2012/06/08/balkany-le-hacker-et-lhebergeur-diligent/#comments Fri, 08 Jun 2012 16:48:33 +0000 S.Blanc et G.Ledit http://owni.fr/?p=112903

Visuel du site voteinutile.fr. Balkany est présenté avec un bonnet d'âne, un clin d'oeil à son taux d'abentéisme record.

Patrick Balkany découvre l’open data. À ses dépens. Ce qui n’a pas l’air de lui plaire. Le député-maire de Levallois-Perret, candidat à sa réélection, vient de porter plainte pour diffamation contre Vincent, un électeur de la circonscription de l’élu UMP, auteur de Voteinutile.fr. Ce site mis en ligne le 19 mai utilise en effet les données de l’Assemblée nationale, mises en scène par Regards Citoyens, pour souligner avec humour l’absentéisme record du député sortant. Il est accompagné d’un guide pour “hacker la campagne de Patrick Balkany”.

L’Internet, c’est le mal

À côté d’un Patrick Balkany affublé du bonnet d’âne des mauvais élèves, on trouve cette citation du proche de Nicolas Sarkozy, tirée de l’une de ses rares interventions dans l’hémicycle :

Je trouve parfaitement inacceptable que nous soyons soumis à une évaluation comme si nous étions à l’école.

Interrogé par L’Express.fr, le député UMP a lancé l’habituelle diatribe anti-Internet :

Je n’accepte pas ce côté Internet où tout le monde peut dire n’importe quoi et s’essuyer les chaussures sur les hommes politiques.

La pression a d’abord été mise sur l’hébergeur du site, Gandi.net. Dans une lettre adressée à la direction de l’entreprise, le cabinet du maire, représentant Patrick Balkany, affirme : “l’hébergement et la mise à disposition des services précédemment cités doit immédiatement cesser dès lors qu’il est particulièrement clair que son existence même porte atteinte à mon honneur et à ma considération, ce qui rend évidemment son contenu illicite”. Avant de sommer l’hébergeur de “de faire le nécessaire pour mettre un terme sans délai à ces agissements”.

Nulle précision sur les éléments constitutifs de la diffamation n’est apportée. Au passage, Vincent n’a pas reçu de lettre avec accusé de réception, comme la procédure l’exige. Ce qui n’empêche pas l’hébergeur du site de réagir promptement.

Seul le juge peut juger

Le service juridique de Gandi adresse en effet rapidement une mise en demeure à Vincent. “Conformément aux textes en vigueur”, en l’occurrence la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) de 2004, l’hébergeur conseille à son client de “prendre promptement et sans délai, toutes mesures utiles afin de satisfaire pleinement aux demandes du plaignant de façon à ce que GANDI ne soit aucunement inquiétée du fait de vos agissements” :

Si nous étions contraints de nous substituer à vous faute pour vous d’intervenir dans les délias requis, sur demande expresse de Monsieur Patrick Balkany (…) notre intervention ne pourra, techniquement, s’effectuer qu’au niveau de votre serveur dans son intégralité (son accès pourrait être rendu impossible).

Sauf qu’en pratique, les hébergeurs relayent la notification reçue à leur client, sans pour autant prendre position sur la validité de la plainte, sauf si le délit est patent. En cas de diffamation, seul un juge est à même de pouvoir apporter une réponse à la question. Gandi a donc fait preuve de beaucoup de zèle.

Une diligence qui surprend d’autant plus que la culture d’entreprise de l’hébergeur français prône la défense de la liberté d’expression de ses clients, ainsi que l’honnêteté et la transparence. Un positionnement résumé en un slogan : “No Bullshit” (“pas de conneries”, Gandi affirmant “ne pas raconter n’importe quoi” à ses clients ). Interrogé par nos soins, le service juridique affirme n’avoir que “répercuté au propriétaire du serveur concerné les termes de cette mise en demeure pour qu’il puisse y donner la suite qu’il estimerait nécessaire”.

Patrick Streisand

Des suites, il y en aura. Mais pas forcément celles espérées par Gandi. L’éditeur du site a en effet décidé de ne pas céder aux pressions. Et a répondu à son hébergeur qu’il “assum[ait] la totale responsabilité des contenus”. Selon le bon vieux principe de l’arroseur arrosé, Vincent entend même aller plus loin, en se réservant la possibilité “d’attaquer Monsieur Patrick Balkany et les services de la ville de Levallois-Perret pour tentative d’atteinte à [sa] liberté d’expression”.

Une illustration franco-française de l’effet Streisand, selon lequel dès qu’un contenu fait l’objet d’une tentative de retrait ou de censure sur Internet, il est copié, et massivement diffusé. Depuis l’annonce de la plainte de Patrick Balkany, les articles de presse se sont multipliés et le nombre de “fans” de la page Facebook du site voteinutile.fr ne cesse d’augmenter.
Plus encore, Vincent étudie la possibilité de poursuivre Patrick Balkany pour l’avoir accusé à tort de diffamation,  comme l’article 6, I, 4° de la LCEN le permet. Ce qui pourrait coûter cher à l’élu :

Le fait, pour toute personne, de présenter aux[hébergeurs du site] un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion, alors qu’elle sait cette information inexacte, est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 EUR d’amende.

Les documents cités dans cet article sont consultables chez nos confrères de PC Inpact

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Veolia coupe le robinet d’un syndicat http://owni.fr/2012/06/08/veolia-coupe-le-robinet-dun-syndicat/ http://owni.fr/2012/06/08/veolia-coupe-le-robinet-dun-syndicat/#comments Fri, 08 Jun 2012 08:58:08 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=112813

La direction régionale pour l’Île de France de Veolia Eau bloque les mails de ces syndicalistes un peu trop critiques à son goût. Pendant trois mois l’accès à la messagerie interne des représentants de Force ouvrière au sein de l’entreprise a ainsi été suspendue. Et le syndicat a décidé de porter l’affaire devant le tribunal des référés, qui examinait sa plainte ce mardi 5 juin. Depuis le 8 mars dernier, impossible de recevoir ou d’envoyer le moindre communiqué aux salariés de la filiale régionale, suite à une lettre de la direction des ressources humaines que s’est procurée Owni. Le contentieux porte sur le contenu d’un seul et unique mail : une pièce-jointe signalant la sortie d’un livre assez sévère sur le géant de l’eau.

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1,5 milliard d’euros de plomberie

1,5 milliard d’euros de plomberie

Veolia, Suez, la Saur ne paieraient pas pour la remise en état du réseau français d'eau potable. Le député expert sur le ...

Tout le sel de l’affaire vient en fait de l’auteur de l’ouvrage évoqué dans le mail. Il s’agit de Jean-Luc Touly, salarié de Veolia, pourfendeur des mauvaises manières sur les marchés de l’eau, et accessoirement administrateur d’Anticor, l’ONG de lutte contre la corruption. Dans son dernier ouvrage retraçant ses combats, Le vrai pouvoir d’un citoyen, : coécrit avec les journalistes Roger Langlet et Achille du Genestoux, le groupe Veolia en prend à nouveau pour son grade.

Touly, syndicaliste FO dans la même entreprise, militant d’un service public de l’eau, par ailleurs conseiller régional Europe écologie-Les Verts en Île-de-France, avait déjà commis en 2005 L’eau de Vivendi : les vérités inavouables, dénonçant les turpitudes de l’ex-Générale des Eaux.

Selon le courrier parvenu dès le lendemain aux syndicalistes, le mail aurait un objectif purement publicitaire à l’égard d’un livre trop critique à son égard :

CLiquez sur l'image pour accéder aux deux pages du PDF

Le même argument avait été présenté par deux fois, et avait été suivi des mêmes effets. Le 30 novembre 2010, déjà, c’était pour avoir conseillé le film Water makes money, évoquant les méthodes des géants français de l’eau à l’étranger, que le syndicat Force ouvrière avait été privé de messagerie.

Secrétaire général de FO Île-de-France Centre chez Veolia Eau, Christophe Gandillon y voit une entrave à l’action syndicale :

Le courrier qui nous est parvenu porte un jugement de valeur sur le bouquin : communiquer avec les salariés du groupe, que ça soit sur l’actualité sociale ou celle de notre secteur fait partie de nos prérogatives. Le dernier article que j’ai signalé était un papier publié sur le site de Marianne, il portait sur l’application de la loi Tepa dans les entreprises et ça n’a posé aucun problème. Mais il y a une forme de culte du secret dans cette entreprise qui se heurte à la réalité des échanges entre les salariés.

«26% moins cher que Veolia et 6 fois plus d’investissement qu’avec le privé»

«26% moins cher que Veolia et 6 fois plus d’investissement qu’avec le privé»

Gabriel Amard, président de la communauté Lac d'Essonne, a sorti Viry Châtillon de la régie d'eau Sedif déléguée à ...

Confidentialité

Chargé de la défense de Veolia, le cabinet d’avocats Pérol, Raymond, Khanna et associés est également en charge de tous les dossiers sociaux de Veolia Eau. Maître Raymond, représentant l’entreprise devant le juge des référés lors de l’audience du 5 juin à Paris, n’était pas joignable au moment de la rédaction de cet article.

Pour les syndicalistes, l’action en justice est de pure forme : convoqué il y a un mois, la confrontation s’est déroulé deux jours avant la fin théorique de la suspension et la délibération ne sera rendue que le 26 juin prochain ! Avocat de Force ouvrière, maître Burget plaide sur le fond :

D’une part, nous attaquons sur le caractère injustifié du motif de suspension. Ensuite, il s’agit d’une mesure discriminatoire puisque, à notre connaissance, ces sanctions n’ont jamais été prononcées à l’égard d’un autre syndicat du groupe.

La décision prise par Veolia s’appuie selon le courrier sur un accord signé par les syndicats. Or, selon certains représentants, un problème de confidentialité s’ajouterait aux problèmes soulevés devant le tribunal : le litige ne porte pas sur le mail lui-même mais sur le document qui lui était joint. Autrement dit, et selon ces salariés, la société aurait outrepassé ses droits en fouillant dans les correspondances syndicales internes.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, selon les représentants FO, la messagerie n’a toujours pas été rétablie.


Photo par M@X [CC-byncnd]

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La Reine mère ferme les braguettes http://owni.fr/2012/05/03/la-reine-mere-ferme-les-braguettes/ http://owni.fr/2012/05/03/la-reine-mere-ferme-les-braguettes/#comments Thu, 03 May 2012 14:55:19 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=108829

“Il est temps qu’Internet ne soit plus traité différemment que n’importe quel autre media.” Comprenez par là que culs et bites n’aient plus droit de cité dans le réseau outre-Manche. Cette sentence, que l’on doit à l’élue conservatrice Claire Perry, vient ressusciter un vieux serpent de mer britannique : l’instauration d’un filtrage a priori de tous les contenus pornographiques.

Fin 2010, le gouvernement avait déjà suggéré de bannir le porno du réseau, au nom de la protection de l’enfance sur Internet. Le projet consistait alors à demander aux internautes attachés à leurs activités frivoles de se signaler auprès de leur fournisseur d’accès à Internet (FAI) en apportant la preuve de leur majorité.

Avril 2012, on prend les mêmes et on recommence. Le premier projet de 2010 n’ayant finalement pas abouti, un nouveau texte a été déposé à la fin du mois d’avril devant la Chambre des Lords : l’Online safety bill. Même trame : plus de cochonneries en ligne a priori, les amateurs étant priés soit de se restreindre, soit de se manifester. Un nouvel haro sur le porno qui déchaîne les passions.

Adieu culs, bites et cons

“Nous n’acceptons pas [la pornographie] sur toute autre forme de média, que ce soit la télé ou les téléphones mobiles, pourquoi devrons nous l’accepter sur Internet ?” a ainsi affirmé Claire Perry dans une émission de BBC Radio 4 en date du 1er mai. Quelques jours plus tôt, l’égérie du mouvement se confiait dans une tribune parue dans The Daily Mail, journal conservateur populaire au Royaume-Uni, lui-même engagé dans une vaste campagne anti-porno. Intitulé “De combien d’autres preuves avons-nous besoin avant de commencer à protéger nos enfants d’images dépravées ?”, le texte livre “[les] expériences d’une mère, ainsi que [les] inquiétudes d’une femme politique” :

Quand j’ai entré les mots “American Girl” dans la barre de recherche de Google, les images apparues n’avaient rien à voir avec les innocents jouets avec lesquels [mes filles] aiment jouer.

Forte de cette malheureuse aventure, la députée arrive à la conclusion que les logiciels de contrôle parentaux ne suffisent plus puisqu’on “peut accéder à Internet avec les iPhone et les Wii, ainsi qu’avec les PC, les portables, les téléphones mobiles, et les TV connectées” qui nécessitent chacun un dispositif de sécurité spécifique. Conclusion : filtrons la pornographie sur Internet :

Ne serait-il pas plus judicieux si tous les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) changeaient le système pour qu’au lieu de placer toute la responsabilité sur les parents qui doivent installer les filtres, Internet soit filtré chez nous et qu’on adopte le système ‘opt in’ pour les consommateurs qui souhaitent accéder à la pornographie et à tout autre site adulte au lieu du système d’‘opt out’ actuel ?

Censure et surblocage

Pour les FAI et experts réseaux en question néanmoins, cette solution n’est pas aussi “simple” que prétend l’élue conservatrice. En termes techniques d’abord, le filtrage massif soulève de nombreuses interrogations quant à son efficacité. Bloquer un site identifié comme pornographique, c’est prendre le risque de neutraliser d’autres contenus tout ce qu’il y a de plus inoffensif. Le couperet du surblocage s’est d’ailleurs déjà abattu dans de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, où l’intégralité de la page Wikipedia du groupe Scorpions a un temps été inaccessible en raison de la pochette de l’album Virgin Killer, jugée répréhensible par l’Internet Watch Foundation (IWF). L’organisme, qui cherche à “éliminer toute image d’abus sexuels d’enfant” avait placé ce lien dans une liste noire de sites bloqués par les FAI anglais.

En France, lors de l’adoption de Loppsi en 2010, le débat s’est d’ailleurs focalisé sur le même risque de censure. Une association de protection de l’enfance, l’Ange Bleu, s’étant même opposée aux velléités gouvernementales de blocage du Net, jugé “dangereux, inefficace et contre-productif”. Les contenus visés étaient alors non pas pornographiques mais pédo-pornographiques.

“On perpétue le mythe selon lequel c’est une solution technologique simple à un problème complexe” plaide Nick Pickles, de l’association Big Brother Watch. Un constat que partage Nicholas Lansman, membre de l’Ispa, l’association des FAI anglais, pour qui “il est très compliqué de définir ce qui est illégal ou non”. Car au-delà des considérations techniques, comment déterminer ce qui rentre ou non dans la case olé-olé ? “Nous ne voulons pas arbitrer de ce que font les internautes en ligne” poursuit Lansman, qui estime que les FAI fournissent déjà des solutions techniques, les logiciels de contrôle parental, pour prémunir les plus jeunes de la pornographie.

Même levée de boucliers du côté des industries de divertissement pour adulte : “je pense que nous régressons en tant que société à partir du moment où on autorise le gouvernement à dicter ce que vous pouvez ou non regarder”, regrette ainsi Steven Hirsch, le cofondateur de Vivid Entertainement. Enfin, qui est la police des mœurs ? Cette pente nous mène irrémédiablement vers la perte de nos libertés.” Sans compter que de nombreuses personnes “peuvent se sentir mal à l’aise de faire savoir à leur FAI qu’ils veulent du contenu pour adulte”, ajoute-t-il, renvoyant au passage les parents à leur responsabilité. Une ligne de défense qui n’est qu’une question de gros sous selon The DailyMail, pour qui la suppression du porno sur Internet empêcherait [Steven Hirsch] et d’autres de sa profession sordide de faire de vastes profits dans un business qui rapporte des milliards par an”.

Responsabilité

Le bras de fer s’est intensifié ces derniers jours avec l’affaire The Pirate Bay : les FAI anglais se sont vus ordonner par la justice de bloquer l’accès à ce site de partage de fichiers torrents, au nom de la lutte contre le piratage sur Internet. Signe pour Claire Perry que la face du réseau s’apprête à changer :

Je pense que ce que nous observons avec la décision The Pirate Bay renvoie à un ensemble de changements qui affirme que les FAI ont un rôle à jouer.

Car ce qui se joue dans cette guerre de tranchées est moins la place légitime ou illégitime du porno sur Internet, que le visage que l’on souhaite donner au réseau. Que le rôle à conférer à leurs portiers : les FAI. “Vous êtes ceux qui donnez accès à Internet : pourquoi n’êtes vous pas la police du Net ?” Cette question entendue sur la BBC prouve bien que la chair n’est, comme souvent, que l’arbre qui cache la foret. Et que le noeud du problème est bien la notion de responsabilité.

Deux camps se font ici face. D’un côté, les partisans d’un Internet plus étroitement encadré où, comme le souligne la BBC, “la protection de l’enfance éclipse tout souci de censure” et où il incombe aux FAI de fermer les portes du réseau. De l’autre, les défenseurs d’un réseau où le blocage des sites est “non seulement [perçu] comme inefficace mais aussi comme contraire à la morale”. Et où les individus, consommateurs comme émetteurs, sont responsables de leurs actes.


Illustrations CC FlickR Jim Linwood et roberlan

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Anonymous promet une Révolution 404 http://owni.fr/2012/04/25/anonymous-promet-la-revolution-404/ http://owni.fr/2012/04/25/anonymous-promet-la-revolution-404/#comments Wed, 25 Apr 2012 16:33:12 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=107924

Après la publication sur le web de 3 500 courriels provenant des boîtes mails de membres du Gouvernement transitoire tunisien, des Anonymous lance un ultimatum au pouvoir en place.
Le collectif de hackers appelle la population à manifester le 1er mai, avenue Habib-Bourguiba à Tunis. Des Anonymous déclarent une “guerre ouverte” aux salafistes tunisiens qu’ils accusent de s’être fournis en armes via la Libye fin 2011. La manifestation devrait remonter l’avenue jusque devant le ministère de l’Intérieur.

L’objectif annoncé est de convaincre le Gouvernement transitoire de faire marche arrière sur le projet de lutte contre la cybercriminalité qui prévoit un contrôle accru d’Internet. Le projet est en marche. Le Gouvernement souhaite maintenir et réformer l’Agence tunisienne d’Internet, déjà en fonction sous Ben Ali et annonce la création de commissions chargées d’assurer la sécurité “des tunisiens sur l’Internet“. Ces dernières, qui accueilleront des spécialistes des télécoms formés au ministère de l’Intérieur, sont perçues comme un retour à l’ère de la censure. Des Anonymous ont indiqué à OWNI posséder des preuves accréditant une telle hypothèse :

Nos investigations ont confirmé qu’il s’agit d’un stratagème mis en place par le ministère de l’Intérieur en date du 29 Mars 2012 afin de contrer toute opposition au parti Ennahda. Ce plan n’a pour but que de reprendre la main sur internet, puis [sur] les médias, [et] donc contrôler à nouveau ,comme à l’ère de Ben Ali, les libertés d’expression.

Le terme de cybercriminalité, à l’image du terrorisme, reste toujours flou. Il peut signifier une amélioration de la sécurité des sites Internet publics pour limiter les attaques informatiques et le pillage d’informations sensibles comme il peut, a contrario, concerner les échanges d’informations sur la toile (activités sur les réseaux sociaux, emails, sites visités etc…).

Avant Révolution de Jasmin, la censure de l’Internet tunisien était répandue et exercée par Ammar 404. Un mystérieux flic du web souvent associé à l’Agence tunisienne d’Internet sans laquelle il n’aurait pu agir sur les sites portants “atteintes aux bonnes moeurs”. Le dispositif de cyber-répression pouvait consister à intercepter des emails de citoyens tunisiens et disposait de moyens techniques suffisants pour filtrer la quasi-totalité de l’Internet du pays, l’un des plus actifs d’Afrique du Nord.

Au cours des années Ben Ali, des centaines de blogs et de pages web ont ainsi été fermés parce qu’ils défiaient le régime et ses dirigeants. C’est en référence à Ammar 404 que les Anonymous ont intitulé leur opération la “Révolution 404″

La mobilisation du peuple tunisien voulue par des Anonymous intervient dans un contexte houleux. Malgré la décision, début avril, par le ministère de l’Intérieur, d’autoriser à nouveau les manifestations sur l’axe principal de la capitale, Human Rights Watch considère l’acte encore “insuffisant pour protéger le droit de rassemblement et de réunion” et pointe du doigt “l’usage excessif de la force contre les manifestants“.

D’autant que plusieurs affaires judiciaires sur fond de religion sont en cours dans le pays. Le procès de Nabil Karoui, directeur de la chaîne Nessma TV, pour “atteintes aux valeurs du sacré” qui avait repris depuis le 19 avril, vient d’être reporté au 3 mai prochain.

Il est accusé d’avoir autorisé, en octobre 2011, la diffusion du film d’animation “Persepolis”, primé à Cannes en 2007, où dieu est représenté sous les traits d’un vieil homme à la barbe blanche. Le film avait suscité de vives réactions au sein de la population donnant lieu à des émeutes puis à un sit-in depuis le 2 mars dernier qui s’est achevé récemment.

Fin mars déjà, des peines de sept ans d’emprisonnement avaient été prononcées à l’encontre de deux Tunisiens pour publication de documents “de nature à nuire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs“. Lesquels caricaturaient la biographie et l’image du prophète Mahomet.

Le statut des médias nationaux fait également débat dans le pays. Dans un communiqué, l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric) a indiqué son désaccord quant à la “privatisation des médias publics”.

Cette réaction intervient quelque jours seulement après des déclarations à la presse de dirigeants du parti islamiste Ennahda, première force politique du pays, exprimant l’intention de “prendre des mesures radicales dans le domaine de l’information”. Rached Ghannouchi, président d’Ennahda, majoritaire à l’Assemblée constituante, s’est interrogé dans une récente interview “pourquoi les régimes démocratiques maintiendraient-ils des médias officiels ?” avant d’accuser ces mêmes médias de “comploter contre la volonté du peuple“.

L’Inric rappelle que les médias de service public participent “grâce à leur indépendance et à leur neutralité à l’égard de tous les centres de pouvoir” au jeu démocratique consistant “à développer la conscience du citoyen”.

De son côté, Anonymous n’a pas l’intention de faire marche arrière sur la question du contrôle du web par le Gouvernement :

Ce peuple qui a dit non a Ben Ali , ce peuple qui a créé le Printemps Arabe, ce peuple qui a pleuré le jour où l’on a touché à son drapeau, n’acceptera plus jamais la soumission.

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http://owni.fr/2012/04/25/anonymous-promet-la-revolution-404/feed/ 6
Les Anonymous dévoilent Ennahdha http://owni.fr/2012/04/17/les-anonymous-devoilent-ennahda/ http://owni.fr/2012/04/17/les-anonymous-devoilent-ennahda/#comments Tue, 17 Apr 2012 10:53:05 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=106286 OWNI s'est entretenu, ont installé sur des serveurs plus de 3 000 mails de dirigeants du parti islamiste tunisien Ennahda, actuellement au pouvoir. Dont certains se révèlent embarrassants pour le gouvernement. Un email dévoilé hier envisageait des manoeuvres en vue d'intégrer la charia au droit tunisien, en dépit des déclarations officielles. D'autres évoquent des opérations financières douteuses.]]>

Depuis le début du mois d’avril, des milliers d’emails de dirigeants du parti Ennahdha, au pouvoir en Tunisie, sont piratés et diffusés par les Anonymous. Hier, une nouvelle vague de fuites contenait des documents potentiellement embarrassants pour les dirigeants d’Ennahdha. Ces courriels proviennent du ministre de la l’Agriculture, Mohamed ben Salem.

On peut y lire en particulier un procès-verbal du bureau exécutif d’Ennahdha daté du 19 mars dernier (en arabe). Le document indique que les membres du bureau ont évoqué l’idée d’une opération de déstabilisation contre les institutions internationales qui participent au soutien financier de la Tunisie – soit le FMI, l’Union européenne et la BCE – avant de se rétracter.

Lors de cette même réunion, il a également été question de trouver des solutions pour intégrer des éléments de charia dans le droit tunisien. Même si publiquement le parti Ennahdha revendique la culture musulmane mais se défend de vouloir faire appliquer la charia.

Cette découverte en accompagne des dizaines d’autres. Jusqu’ici, 3 500 documents appartenant notamment au Premier ministre Hamadi Jebali ont été mis en ligne sur des serveurs des Anonymous. Dans ces listes de courriels, il est aussi question de fraudes électorales, de censure ou d’opérations financières.

Ennahdha, majoritaire à l’assemblée constituante, et le gouvernement démentent mordicus la véracité d’une partie des documents. De son coté Anonymous, assure de leur authenticité et promet de nouvelles révélations sur les coulisses du pouvoir de ces deux dernières années.

En octobre 2011, neuf mois après le départ de Ben Ali, qui profite désormais de sa retraite de dictateur dans une salle de sport en Arabie Saoudite, les premières élections libres ont eu lieu en Tunisie. Celles-ci ont pour but la création d’une Assemblée constituante qui devra rédiger la prochaine loi fondamentale du pays. Après décompte, les membres du parti islamiste Ennahdha  sortent très largement vainqueurs du scrutin et raflent 89 sièges sur les 217 que compte la nouvelle Assemblée.

Cependant, un courriel provenant de la boîte mail du Premier ministre, Hamadi Jebali, évoque l’existence de possibles fraudes électorales. Selon le document, les Tunisiens de l’étranger auraient pu voter deux fois. Une première fois dans leur pays de résidence et une seconde fois en Tunisie.

Un rapport de l’organisme supervisant l’élection aurait même été déposé pour annuler les votes du bureau de Bruxelles Nord pour cause d’irrégularités.

Un second document interpelle également sur les règles du scrutin. Selon ce tableau statistique, le nombre de sièges attribués par région ne serait pas conditionné au nombre d’habitants y résidant mais à sa superficie totale.

La légitimité de la première force politique du pays est, potentiellement, sujette à caution si les documents s’avéraient authentiques. D’autant que le nouveau gouvernement ne semble pas avoir souhaité partager le pouvoir. C’est tout du moins ce qu’explique un des membres d’Anonymous Tunisia avec lequel OWNI s’est entretenu :

Nous avons attaqué Hamadi Jebali parce qu’il est le symbole d’un gouvernement qui fait marche arrière sur les libertés, pas parce qu’il fait parti d’Ennahdha. Le gouvernement est responsable d’actes d’agressions commis contre des manifestants chômeurs et du lancement d’une cellule de sécurité pour censurer et contrôler Internet. Le fait d’être élu par le peuple n’est pas une raison pour s’en prendre à nos libertés.

D’ailleurs, dans les mails publiés, un document atteste de l’exclusivité du pouvoir voulue par des responsables du parti islamiste. Celui-ci évoquait la possible suppression par la télévision nationale du terme “transitoire” pour qualifier le gouvernement en place.

Majoritaire à l’Assemblée constituante, Ennahdha a officiellement envisagé jusqu’à la fin mars, d’intégrer la loi islamique dans la nouvelle constitution du pays.  Ennahdha, encore, discutait en interne de la nécessité de garantir la non-indépendance de la Banque centrale tunisienne et déplorait dans un autre documentla pression européenne et française pour accélérer le processus démocratique”.

Mais la ligne politique adoptée par le gouvernement transitoire n’est pas l’unique élément abordé dans ces courriels. Des affaires financières, plus troubles, semblent y apparaître. Comme ce courrier envoyé sur la boîte mail du parti Ennahdha et contenant les coordonnées bancaires de Kamal Ben Amara, un élu Ennahdha à l’Assemblée constituante, titulaire d’un compte à la Qatar international islamic bank. Avant de s’engager en politique il aurait travaillé chez Qatar Petroleum, la compagnie pétrolières nationale du riche État du Qatar, comme le montre un ancien répertoire du groupe. Et dans l’actuel gouvernement ben Amara a été nommé vice-président à la Commission de l’énergie.

À ce titre, il fait partie des membres du gouvernement habilités à négocier, entre autres, les investissements dans la raffinerie de Skhira, la plus grande de Tunisie, avec une production estimée à 120 000 barils par jour.  Coût de construction : 1,4 milliard d’euros. Un appel d’offres remporté par Qatar Petroleum qui pourra l’exploiter en partie pour les deux décennies à venir.

En outre, dans les coordonnées bancaires envoyées par mail à Ennahdha, figure un “Swift Code” utilisé pour les virements internationaux. Le problème étant de savoir dans quel sens les virements bancaires ont été effectués. De Kamal Ben Amara vers Ennahda ou du parti vers Ben Amara, pour les besoins de sa campagne électorale par exemple.

Devant les nombreuses interrogations que posent ces documents, aussi bien dans leurs contenus que sur leur authenticité, Anonymous invite les internautes qui le peuvent à vérifier sans tarder:

Les emails comme les SMS et les moyens de communication électroniques sont devenus des pièces justificatives devant les tribunaux. Les en-têtes des emails confirment les sources et les trajets des courriels via leur identifiant unique. S’ils étaient falsifiés, tout le monde le remarquerait et surtout les spécialistes en informatique. J’invite tous ceux qui doutent à vérifier.

Début avril, le gouvernement tunisien a annoncé qu’il maintenait en activité l’Agence tunisienne d’Internet pour lutter contre la cybercriminalité. Sous la dictature, l’agence gérait la censure sur Internet pour le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti de Ben Ali. Dans le principe de “sécurisation du web”, Anonymous voit un retour masqué de la censure. Incompatible, selon le collectif, avec la garantie des libertés individuelles :

Ceux qui gèrent le pays sont ceux qui doivent assumer. Mais si le Gouvernement change de ligne de conduite, surtout concernant la censure du net, Anonymous fera un pas en arrière.
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http://owni.fr/2012/04/17/les-anonymous-devoilent-ennahda/feed/ 24