OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’application Facenuke atomisée de l’intérieur http://owni.fr/2012/10/26/lapplication-facenuke-atomisee-de-linterieur/ http://owni.fr/2012/10/26/lapplication-facenuke-atomisee-de-linterieur/#comments Fri, 26 Oct 2012 14:20:25 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=124179

Au moment de sa sortie, l’application Facenuke – par laquelle Greenpeace retraçait les liens entre les acteurs de la filière du nucléaire – avait connu une couverture médiatique plus que faible. Mais juste assez pour agacer quelques-unes des personnes mentionnées.

Inspirée de la carte des cumulards du Cac 40 publiée par Alternatives économiques, Facenuke visait à exposer, le 13 avril (soit une semaine du premier tour de l’élection présidentielle) les liens entre les acteurs de la filière nucléaire à la manière d’un réseau social. Le site précise tirer ses informations de sources publiques, “les pages Wikipedia, les profils Linkedin ou encore les pages corporate des sites institutionnels des entreprises”. En dehors du blog de la journaliste environnement du Monde, Audrey Garric, rares sont les médias qui ont relayé l’initiative dans la dernière ligne droite de la campagne .

Lancé le 13 avril, Facenuke a été officiellement mis hors ligne le 18 octobre suite au retrait de plusieurs acteurs clefs de sa cartographie du secteur nucléaire français.

Le premier coup de buzz sonne le 17 avril à la publication d’une réponse par l’association Sauvons le climat, citée au travers de 22 membres dans Facenuke, qui accuse Greenpeace de jouer aux “big brother”. Critiquant la nature des informations mentionnées sur la carte, l’auteur de la note accuse la démarche de l’ONG :

Bien que la qualité comme la pertinence de cette liste soient risibles, il faut se demander quelles  sont les motivations de Greenpeace en la publiant. Sûrement pas de donner un panorama objectif des dirigeants du nucléaire (Sauvons le Climat n’en est pas !), ni des acteurs du débat sur le nucléaire : ni la CRIIRAD, ni Global Chance, ni Sortir du Nucléaire n’y figurent…. Elle vise bien la mouvance “pro-nucléaire”. La démarche rappelle celle des intégristes d’Al Qaida qui lancent des fatwas contre les “mauvais” musulmans, les juifs et les infidèles.

La note se termine par l’annonce des demandes d’application de la loi informatique et liberté. En l’occurrence au titre de l’exercice du droit d’opposition contre le recueil de données personnelles et leur traitement par un système informatique automatisé.

“De sombres heures de notre Histoire”

Les plaintes ne sont pas nombreuses mais parviennent néanmoins assez vite en direct par une série de courriers dont Owni a pu prendre connaissance.

Le plus réactif est Hervé Nifenecker, Président de l’association Sauvons le climat, qui en appelle par courrier le 19 avril à l’article 38 de la loi “informatique et liberté”, demandant de retirer du site les informations le concernant (nom et CV) et de le déréférencer. Il précise par ailleurs s’être adressé à la Cnil pour obtenir exécution de sa demande et “l’arrêt [du] fichage”. A sa suite, Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique, contacte également l’ONG par écrit. Il dénonce des erreurs et des confusions entre personnes et institutions dans les liens établis par Facenuke :

Le manque de rigueur et de professionnalisme avec laquelle cette cartographie a été établie est aussi choquant que son objectif de stigmatisation qui rappelle de sombres heures de notre Histoire.

Personnage centrale dans l'application Facenuke, Bernard Bigot (administrateur général du CEA) ne pouvait être retiré de l'application sans déséquilibrer toute la cartographie. Greenpeace a donc décidé de la fermer purement et simplement.

Viennent deux courriers similaires adressés par des cadres d’Areva en date du 22 juin. Les autres correspondances sont frappées du sceau de la Cnil, à commencer par une lettre du 29 mai, faisant suite à la demande de Bernard Bigot d’être retiré de la cartographie. Le courrier signale à l’ONG que “ce traitement [informatique des données] n’a pas fait l’objet de formalités déclaratives auprès de notre Commission préalablement à sa mise en œuvre.”

Contacté par Owni, la Cnil confirme faire valoir toute demande fondée invoquant le droit d’opposition. En réponse à un courrier de l’avocat de l’ONG, la commission avait fait valoir que l’application de la liberté de la presse (s’appuyant sur un arrêt de la Cour de Justice européenne) n’écartait en rien l’application du droit d’opposition prévu par la loi informatique et liberté. La démarche des “plaignants” du nucléaire était donc valide.

Face à l’injonction officielle, Greenpeace obtempère dans le courant de l’été :

Nous n’avons pas déclaré individuellement Facenuke mais le site de Greenpeace est enregistré par la Cnil et Facenuke est hébergé dessus. Nous avons commencé à retirer les personnes qui faisaient une demande motivée. Certains nous ont adressés des mails de demande qui n’ont pas fait suite quand nous avons demandé la motivation. Nous avons même reçu une lettre d’une personne se sentant lésée de ne pas apparaître et qui voulait être intégrée à Facenuke !

Basé sur un outil de visualisation, l’application de Greenpeace bute cependant quand il s’agit de retirer le directeur du CEA du listing. Sans Bernard Bigot, Facenuke, qui est censé reproduire les liens qui unissent les acteurs de la filière, n’est plus que l’ombre du réseau qu’il souhaite retracer. Le 18 octobre, le site est fermé. Mais des questions demeurent.

Nous ne comprenons pas pourquoi la procédure n’est pas passée sur le terrain de la diffamation : avec 800 à 1 000 visiteurs uniques par jour, l’application n’avait pas un succès fou mais elle circulait bien dans notre sphère habituelle. La seule hypothèse qui nous permet de l’expliquer, c’est que les plaignants ne souhaitaient pas nous faire de pub en passant à l’échelon judiciaire.

Au delà de l’application de la loi, la mise en veille de Facenuke permet à Greenpeace de se ménager l’option de créer une version 2.0 de son “réseau social du nucléaire”, tenant compte du nouvel équilibre des forces politiques et adaptée aux débats à venir sur la loi sur la transition énergétique. Une initiative à laquelle réfléchissent déjà le pôle web et l’équipe de campagne politique même s’ils considèrent “le risque que l’application ait une durée de vie limitée”.


Illustration par alvarotapia [CC-byncnd]

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Montebourg irradie http://owni.fr/2012/08/27/montebourg-irradie/ http://owni.fr/2012/08/27/montebourg-irradie/#comments Mon, 27 Aug 2012 15:15:19 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=118734 "Le nucléaire est notre avenir"... Radio, télévision et Internet voient fleurir les réactions à cette déclaration d'Arnaud Montebourg. Cette sortie n'est pourtant pas étonnante, le ministre ne faisant que poursuivre ce qu'il avait déjà entamé. Explications.]]> Dans un entretien sur BFM TV hier soir, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, était invité pour défendre sa vision de la production française et ses théories sur cette ré-industrialisation. Mais il y a aussi glissé que le nucléaire était une énergie d’avenir.

Provocation pour les écologistes, Noël Mamère en tête, profession de foi en décalage avec la réalité pour Denis Baupin, vice-président (EELV) à l’Assemblée Nationale, Montebourg est pourtant soutenu par Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur.

Sauf que le hasard n’existe pas

Arnaud Montebourg, avocat de formation a débuté sa carrière politique en Saône-et-Loire à la fin des années 90. Alors député de la 6ème circonscription, il devient ensuite en 2008 Président du Conseil Général de Saône-et-Loire. Sur la région Bourgogne, quelques milliers de travailleurs de l’industrie française. Le porte-parole de Ségolène Royal en 2007 sait de quoi il retourne quand on parle d’industrie du nucléaire. Ce qui l’amènera à se prononcer au cours de la campagne de l’ancienne femme de François Hollande pour l’achèvement du chantier de Flammanville. Avec Mâcon, Le Creusot et Saint-Marcel, le pôle nucléaire de Bourgogne est dense et le poids de l’industrie dans l’emploi était de de l’ordre de 20 % en 2008 et selon l’INSEE l’emploi salarié de l’industrie de Saône-et-Loire a perdu 14 200 postes entre 1989 et 2007, dont 12 500 dans le secteur de la fabrication de produits industriels. “Il s’agit là des conséquences des suppressions d’emploi dans le textile (DIM), de la fermeture des activités industrielles de Kodak à Chalon-sur-Saône, des difficultés rencontrées dans la métallurgie (Arcelor), les pneumatiques (Michelin) et les mines”.

Certainement sensibilisé par ses électeurs, Arnaud Montebourg sait aussi que la région Bourgogne compte près de 9 000 salariés du nucléaire, tel qu’estimé par François Sauvadet, ancien ministre de la Fonction publique sous le gouvernement Fillon et président du conseil général de Côte-d’Or. 150 entreprises adhèrent aussi au Pôle nucléaire Bourgogne, rassemblant les industries qui travaillent de près ou de loin avec ou pour l’industrie nucléaire. De quoi les rassurer, un peu.

Semblant surprendre ou choquer les uns et les autres, écologistes ou non, il n’est pourtant pas à sa première déclaration tonitruante sur le sujet. Il est ainsi l’un des rares non-signataires de l’accord PS-EELV.

L’idéalisme du ministre du redressement productif ne s’arrête pas à ce seul bassin-là et, régulièrement, il rencontre les salariés du nucléaire. Par le biais des syndicats. Après l’annonce du plan d’austérité d’Areva mené par Luc Oursel, quelques temps après sa nomination en novembre 2011 et l’accord PS-EELV, il avait reçu la délégation CFDT pour les rassurer sur la ligne de conduite du Parti Socialiste en cas de victoire :

On ne peut pas bazarder une industrie qui marche, surtout quand on a rien pour la remplacer. Il serait irréaliste de fermer des centrales qui ne sont pas en fin de vie et de ne pas poursuivre l’EPR.

Plus récemment, il a co-signé les nouveaux statuts d’Areva avec Pierre Moscovici, ministre de l’économie et Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Pour un renforcement des pouvoirs du conseil de surveillance du groupe — en matière d’acquisition notamment. Les prémices d’une reprise en main de l’industrie nucléaire. Et de sa pérennité.

Les peurs d’Arnaud

Dans son intervention sur BFM TV, Arnaud Montebourg prône un déploiement de la croissance après la rigueur, à contre courant des “politiques austéritaires de l’Europe”. Après quelques prises de position : pour les hydroliennes, contre le gaz de schiste (“Jean-Marc Ayrault a dit que le débat n’était pas tranché. [...] Aujourd’hui telles que les conditions d’exploitation se déroulent [...] il y a un énorme problème environnemental. [...] La fracturation hydraulique fait beaucoup de dégâts.”).

Cette réindustrialisation émerge de ce “besoin de nous protéger”, ce qu’il martèle :

Un pays qui ne produit pas est dans la main de ceux qui produisent. Un pays qui consomme les produits des autres est un pays qui devient dépendant des autres. Un pays qui produit et donne à consommer aux autres devient un pays puissant. C’est le destin de la France, d’être une grande nation industrielle. Elle s’est affaissée, elle doit se redresser.

Alors que la cause anti ou pro nucléaire sort de deux mois de vacances et après une année complète ou presque à avoir défrayé la chronique, pourquoi mettre sur le tapis la question nucléaire ? Rien de plus simple pour le journaliste de BFMTV Olivier Mazerolle, grâce à l’équation du Premier ministre sortie tout droit des archives des différentes interventions ministérielles : 25 milliards pour cause d’exportation insuffisante — 45 milliards imputables à l’énergie. Et pour redresser la France, rien de mieux que de ramener la part déficitaire du commerce extérieur à zéro. Tel est l’objectif du gouvernement.

Pour produire plus, il faut de l’énergie. Est ce que c’est vraiment le moment de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité en France ?

C’est à ce moment-là que le débat prend un virage qui fait rugir bon nombre d’élus et de personnalités diverses, à commencer par les écologistes. La réponse d’Arnaud Montebourg dépasse ce qu’ils auraient souhaité entendre compte tenu du poids qu’ils estiment peser au sein de gouvernement et dans les bas-côtés :

Nous avons besoin d’énergie — et pas trop chère — et la France a un atout extraordinaire entre ses mains, qui lui a permis de bâtir son industrie [...] c’est une énergie abordable. Et même en Allemagne, les entreprises se retrouvent avec des hausses de coûts. [...] Notre choix [...] est stratégique pour la Nation. Le nucléaire doit être rééquilibré [...] Il y a la quantité, ce qu’on consomme de plus. Nous arrivons quand même à un certain maintien du parc actuel. [...] Pour ma part, je considère que le nucléaire est une filière d’avenir.

Le nucléaire, une filière d’avenir, c’est ce qui a fait tiquer la majorité les spectateurs, ceux convaincus fermement que la catastrophe de Fukushima devrait permettre à la France de comprendre qu’il faut cesser d’utiliser l’énergie nucléaire, à l’instar de l’Allemagne d’Angela Merkel. Pourtant, jamais Arnaud Montebourg n’a fait partie des grands pourfendeurs de l’énergie nucléaire. Supposons un instant que si François Hollande recevait les grands patrons du CAC le 23 août dernier — sans Areva ni EDF — c’est parce que le dossier est dans les mains d’un des défenseurs de l’énergie tant décriée, aux côtés d’un autre fin connaisseur de la problématique, Bernard Cazeneuve, bien présent sur La Hague et ses usines liées au nucléaire.
En fin de journée, en déplacement chez Atol,
il affirmait :

Areva est une des plus belles entreprises nucléaires au monde en exportant deux tiers de ses productions.

Le nucléaire a de beaux jours devant lui. N’en déplaise donc aux écologistes.


Photo par Jyc1 (cc-by) et loltoshopée via ICanHasCheezburger

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Ici la Hague, Greenpeace Airways en approche… http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/ http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/#comments Wed, 02 May 2012 06:24:11 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=108043 OWNI met en ligne une vidéo inédite réalisée par un engin de Greenpeace survolant le site de La Hague, le plus dangereux de tous. L'ONG publie aujourd'hui un rapport sur l'absence de prise en compte de ces risques par les responsables français. Bienvenue à bord, sur une petite musique de Vivaldi. ]]>

Les sites nucléaires peuplent les campagnes françaises : 58 réacteurs et autres installations potentiellement exposés à des accidents provoqués par des causes extérieures. Séismes, inondations ou chutes d’avion… Pour limiter ce dernier risque, théoriquement, le survol des sites les plus importants est strictement interdit à basse altitude. Une interdiction que Greenpeace a voulu mettre à l’épreuve des faits.

Or, fin 2011, un engin de l’organisation est parvenu à survoler pendant plusieurs minutes, sans être inquiété, le site de La Hague où sont stockés des centaines de tonnes de déchets radioactifs en attente de retraitement, comme le montre une vidéo de l’ONG que nous mettons en ligne aujourd’hui (voir plus bas). Ce matin, après avoir fait atterrir un militant au sein de la centrale du Bugey, Greenpeace rend public le rapport d’un scientifique (version complète en anglais et résumé en français au bas de l’article) consacré à ce sujet. En ligne de mire : les risques en cas de crash aérien sur les installations françaises. Et l’éventuelle prise en charge de ces risques par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française et les exploitants du parc nucléaire.

Le survol de La Hague

La Hague, située à quelques kilomètres de Cherbourg, est le site de retraitement de déchets radioactifs en France. Il reçoit régulièrement les combustibles des centrales françaises et étrangères – allemandes notamment. Pourvu après les attentats du 11 septembre, entre octobre 2001 et mars 2002, de missiles sol-air destinés à abattre les avions en survol, le site est toujours sous surveillance rapprochée. Mais l’ONG, maitresse en matière d’intrusion, prouve cette fois qu’il est possible de se promener dans les airs au-dessus de cette installation nucléaire :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Effectuée à moins de 3 900 pieds (limite minimale de survol de cette installation nucléaire), l’opération a pour objectif selon Sophia Majnoni, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France, “de montrer que l’espace aérien interdit était pas vraiment interdit”. Précisant que le site de La Hague a été choisi pour les quantités importantes de matières radioactives qu’il contient :

C’est le lieu en France dans lequel il y a le plus stockage de matière radioactive, à la fois des piscines de combustibles irradiés et à la fois du plutonium. Il existe un certain nombre de normes sur les réacteurs qui ne s’appliquent pas pour les piscines. Pourtant après le 11 septembre, c’est le seul site où des systèmes de surveillance ont été mis en place : des missiles et un radar. Il y a des avions qui passent au-dessus de la Hague et de Flamanville. Il y a aujourd’hui un radar qui prévient un avion de chasse. Qui lui met 6 minutes pour intervenir, pour tirer. Mais est-ce qu’on peut tirer sur un boeing ? Pour les réacteurs, ils n’ont jamais pris en compte la chute d’un avion de ligne et pour les piscines ils n’ont pas pris en compte les chutes tout court. Elles sont encore moins protégées. La protection est hyper minimaliste.

Après Fukushima, Sophia Majnoni, regrette que “les catastrophes non naturelles n’aient pas été étudiées dans les stress-tests de l’Autorité de sûreté nucléaire :

La chute d’un avion de ligne c’est peu probable donc pour eux, on ne les prend pas en compte. Avant Fukushima, ils pouvaient être cohérents en disant qu’ils avaient une approche probabiliste. Or après Fukushima, cette approche de calcul de probabilité a été remise en cause. (Mais) seulement pour les catastrophes naturelles ! Les Allemands l’ont fait, les Suisses l’ont fait, mais pas la France. Il faudrait qu’en France la sécurité soit dans le giron de l’ASN au même titre que la sûreté. Notre souhait c’est d’avoir un audit sur le sujet.

Zéro risque ?

Dans le rapport, une cinquantaine de pages analyse la sûreté des installations du parc nucléaire français vis-à-vis du risque chute d’avion. Le rapport fait état de l’absence de prise en compte du risque d’accident d’avion de ligne sur une centrale mais aussi à ses abords : si le dôme au-dessus du réacteur protège le réacteur en lui-même, les installations annexes ne bénéficient pas du même degré de protection.

Ainsi le consultant spécialiste du nucléaire, John Large – à qui Greenpeace a commandé l’analyse -, explique que les problèmes peuvent être de l’ordre de ceux de Fukushima, soit plusieurs facteurs qui amèneraient la centrale à souffrir d’un accident qui ne toucherait pas directement le réacteur :

La chute d’un avion pourrait couper la centrale des sources d’approvisionnement électrique situées à l’extérieur du site et, simultanément, empêcher les groupes électrogènes de secours sur le site de fonctionner. Dans une telle situation, la centrale devrait faire face à une coupure de courant prolongée, et le refroidissement du réacteur et des piscines de désactivation ne serait plus assuré (comme cela a été le cas à Fukushima).

John Large pointe également du doigt la stratégie paradoxale de l’ASN qui dit “estime[r], en s’appuyant sur les rares événements précédents, que la possibilité d’une chute accidentelle d’un avion de ligne commercial est si faible qu’elle est donc improbable. Ces nuances mises à part, l’ASN participe pourtant à un “groupe ad-hoc sur la sécurité nucléaire (AHGNS) de l’Union européenne, chargé d’analyser les menaces liées aux attaques terroristes dans le cadre du ‘volet sécurité’ ['Security Track'] mis en place en parallèle des stress-tests post Fukushima effectués sur toutes les centrales européennes [...].

Loin d’être suffisant, selon le scientifique, qui considère que l’autorité de contrôle de la sécurité des installations nucléaires “exonère l’exploitant de la nécessité de se préparer à une chute d’avion, estimant qu’il s’agit d’un acte de guerre.”

Contestant la méthode utilisée – ” prendre en compte la simulation du crash d’un avion de combat militaire (d’environ 20 000 kilos) et de l’extrapoler à un avion commercial (pouvant peser plus de 130 000 kg), “ -, il soulève également le problème des réactions des travailleurs de l’installation :

Il est tout à fait possible qu’une bonne partie du personnel se sente dépassée et incapable de réagir si un avion venait à s’écraser sur le site. La centrale serait alors livrée à elle-même, en l’absence de tout contrôle.

Vulnérabilité

Yves Lenoir a travaillé pour le gouvernement de Basse-Saxe lors de la préparation du projet d’usine de retraitement de Gorleben et de son stockage de déchets radioactifs. Il est aujourd’hui président de l’association Enfants de Tchernobyl Bélarus. Co-auteur de Tchernobyl-Sur-Seine, il nous a confirmé la nécessité de prendre en considération, sérieusement, ces risques :

Vous avez le coeur du système, en général une enceinte simple ou double disposée autour de la cuve et des générateurs. Ensuite, sortent de l’enceinte des canalisations, quasi à l’air libre pour aller en salle des machines. Il y a aussi une alimentation électrique par le réseau extérieur et donc un risque de destructions de ces lignes électriques si un avion tombe. Il va détruire les communications de sortie et d’entrée de courant de la centrale. Qui sera entièrement dépendante des moyens de secours internes. Et puis imaginez qu’un gros porteur tombe avec ses 90 tonnes de carburant, il va mettre le feu à tout. Même s’il n’est pas tombé sur le bâtiment principal, les canalisations ne sont pas protégées.

Les calculs de l’ASN et des autres instances sont établis à partir de modélisation de la chute d’un avion de chasse sur une cuve de réacteur. Hormis les conséquences sur les abords de l’installation, l’avion de chasse pourrait aussi provoquer bon nombre de réactions en chaine.

Il y a deux types de chocs, celui d’un avion de chasse ou d’un avion avec peu de carburant et celui d’un avion de ligne. Le poids – très lourd – de l’avion de chasse, combiné au fait qu’il vole très vite, amène la chute de l’avion à être un choc dur. Sur une usine de retraitement, à une vitesse de 250m/s – caractéristiques étudiées par les instances -, la masse de l’avion est concentrée sur 1 ou 2 mètre carré. S’il tombe sur l’élément le plus résistant de l’installation telle que l’enceinte double, il passe au travers de la première enceinte mais ne perfore pas la seconde. En revanche, comme cette deuxième enceinte est élastique, elle se déforme et va déformer l’intérieur de la cuve. Le béton va avoir tendance à se disloquer donc se fissurer. Et occasionner des missiles secondaires ou blocs de béton de quelques centaines de kilos qui se détachent et voyagent dans le bâtiment. À 250m/s, les blocs de béton bougeront à 100m/s à l’intérieur. Les simulations et les tests montrent qu’ils peuvent détruire des câbles, de l’instrumentation, des canalisations secondaires, etc… Et même si le bâtiment à l’extérieur a l’air d’avoir résisté au choc, à l’intérieur il y a des dégâts.

Autre scenario : celui d’un crash d’un avion commercial. Yves Lenoir explique que “Le fuselage de l’avion peut taper dans le bâtiment du réacteur, de biais ou sur une partie arrondie. Et il pourra glisser. Le choc va endommager de manière considérable l’enceinte extérieure mais ne devrait pas provoquer trop de dégâts sur l’enceinte intérieure. Sauf que les ailes peuvent chuter sur les câbles, le kérosène provoquer un incendie, etc. Et s’il touche la salle de contrôle, quel est le niveau de protection ? Si le bâtiment n’est pas bunkerisé comme l’est le bâtiment réacteur, je donne pas cher de ce qu’il se passe à l’intérieur.” Parler ouvertement de ce genre de risque, pour le scientifique, “ce n’est pas être alarmiste :

Parce que, finalement, regardée comme ça, une chute d’avion, c’est comme le tsunami de Fukushima. C’est un cas extrême mais on a vu que le cas extrême devenait très probable dans certaines circonstances. En France on a des centaines d’avions qui décollent en permanence. Si incendie il y a, il peut y avoir un Fukushima français. Le dire ce n’est pas être alarmiste, c’est les mettre face à leurs responsabilités.

D’autant que déjà en 2001, le directeur de l’ASN – loin d’être rassurant – déclarait selon Areva (ex-Cogema) :

Comme l’a rappelé le directeur de l’Autorité de sûreté nucléaire dans des déclarations ces derniers jours, aucune installation nucléaire n’a été conçue pour résister à la chute d’un avion de ligne.


Illustration via la galerie Flickr de X-Ray Delta One [CC-bysa]. Edition par Ophelia Noor pour Owni.
Captures d’écran de la vidéo de Greenpeace, Coucou !

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Le nucléaire enfouit ses données http://owni.fr/2012/04/27/le-nucleaire-enfouit-ses-donnees/ http://owni.fr/2012/04/27/le-nucleaire-enfouit-ses-donnees/#comments Fri, 27 Apr 2012 15:17:38 +0000 Claire Berthelemy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=108116

Le nucléaire, c’est la transparence !

Si l’on en croit cette déclaration d’Anne Lauvergeon, l’ancienne patronne d’Areva, un datajournaliste devrait pouvoir enquêter facilement sur les données du nucléaire. La réalité est plus opaque, comme nous l’avons appris en travaillant sur les rapports de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN).

L’image des irradiés qu’on nous cache

L’image des irradiés qu’on nous cache

En une seule image, OWNI propose un état des lieux global des contaminations provoquées par les installations ...

Le gendarme de l’atome a pour mission de collecter les rapports que lui envoient les exploitants (EDF, Areva ou le CEA) sur chaque accident qui a lieu dans une installation. En théorie. Car si la déclaration est obligatoire et sanctionnée quand elle n’est pas faite ou faite en retard, “cela n’empêche pas l’exploitant de garder au niveau de l’installation les petites anomalies“. Théoriquement encore, il pourrait mettre à la disposition du public un fichier exploitable avec des indications précises. En effet, les formulaires sont constitués de cases à cocher et de champs à remplir : l’accident a-t-il lieu pendant une période de maintenance ? Y a-t-il eu contamination ?, etc.

Cependant, en guise de fichier exploitable – le graal du datajournaliste -, l’ASN met en ligne ses rapports depuis 2000, dont la présentation n’est pas uniformisée. Les quelques informations signifiantes sont présentées en vrac, noyées dans un fatras de précisions sans intérêt. Exemple parmi d’autres :

L’ASN n’y voit rien d’anormal :

C’est pas la même personne qui remplit le site. Il y a plusieurs divisions et plusieurs personnes. Même s’ils essaient d’harmoniser…

Pas de codeur, pas de données

Ces rapports sont semi-structurés, c’est-à-dire qu’ils présentent tous des éléments similaires qui peuvent être isolés à l’aide d’un petit programme. Un – gentil – codeur a donc pu extraire un fichier propre à 95% de quelques 1 300 lignes avec les informations suivantes : installation ; titre du rapport ; niveau de l’incident ; date du rapport ; lien vers le rapport.

Les blessés du nucléaire parlent

Les blessés du nucléaire parlent

Voici une cartographie interactive pour découvrir la vraie vie des victimes du nucléaire français. Entre les incidents ...

À partir de ce fichier, nous avons dû constituer manuellement un premier sous-fichier se focalisant sur les incidents de contamination. Les éléments se divisent en deux grandes catégories : accident avec atteinte corporelle et accident avec une contamination vestimentaire. Nous avons listé dans le fichier, pour mémoire, les trois atteintes qui n’étaient pas des contaminations. Nous avons ensuite complété ce sous-tableau en rajoutant des indications qui nous semblaient importantes.

> Informations présentes dans les rapports :

- le site et l’INB. On entend souvent parler de façon générique de La Hague par exemple. Ce nom correspond dans le tableau des Installations nucléaires de base (INB) au site, qui regroupe parfois plusieurs installations. Par exemple “Centrale nucléaire de Paluel” atterrit dans deux colonnes : Paluel pour le site et Centrale nucléaire de Paluel pour l’INB
- l’exploitant.
- le nombre de personnes touchées.

> Informations présentes de façon aléatoire dans les rapports :

- la date de l’incident. Fait pourtant partie des items à préciser dans le formulaire.
- si l’accident a eu lieu pendant un arrêt de tranche/une période de maintenance. Même remarque que ci-dessus.
- le radioélément. Pourtant, l’exploitant dispose d’une dizaine de lignes pour décrire les conséquences réelles et potentielles.
- contamination externe ou interne (plus grave). Même remarque que ci-dessus.
- si l’incident concerne un sous-traitant et le cas échéant le nom de l’entreprise sous-traitante s’il est indiqué.

> Une colonne où nous avons isolé des extraits de rapport qui nous ont étonnées, intriguées, choquées…

Si les délais de déclaration – donc de remise du formulaire provisoire – ne sont pas respectés, l’ASN est en droit de dresser un procès verbal. À quand un procès verbal pour remplissage incomplet du formulaire ?

Échanges kafkaïens

Ni l’exploitant ni l’ASN ne nous ont facilité la tâche. Extrait d’un échange.

OWNI : Je cherchais à obtenir la liste des arrêts de tranche par centrale depuis la mise en service du premier de leur réacteur. Vous m’aviez précisé que cette liste se trouvait sur le site de l’ASN. Or se pose pour nous le problème des arrêts de tranche avant 2005, ils ne se trouvent pas sur le site.

L’ASN  : Le moteur de recherche vous permet de retrouver la liste des arrêts de réacteur. Il suffit de choisir dans la liste déroulante “Arrêt de réacteur”. Sur la droite, vous aurez alors les Options de recherche. Il faudra cliquer sur « Par date » puis « Plus de six mois ». Les résultats sont classés par anté-chronologiquement. A partir de la page 14, on peut disposer des arrêts de tranche de 2005.

OWNI : Il s’agissait des arrêts de réacteur avant 2005, plus précisément entre 2000 et 2005… Et ceux là ne sont pas sur le site.

L’ASN : Rebonjour, Je vous envoie le texte en ligne sur notre site :

http://www.asn.fr/index.php/Les-actions-de-l-ASN/Le-controle/Actualites-du-controle/Arret-de-reacteurs-de-centrales-nucleaires”

Du coup, l’ASN nous a renvoyé vers l’exploitant, EDF, pour les informations antérieures, nous avons donc appelé plusieurs centrales. Lesquelles nous ont renvoyées vers l’ASN. Finalement, un attaché de presse au siège s’est fendu d’un pdf avec les années des arrêts. Sollicité pour des informations plus précises sur les mois concernés et les arrêts moins longs sur la période 2000 – 2006, il nous a répondu :

On n’a pas gardé d’archive au-delà de la communication. On n’a pas d’informations sur des événements aussi lointains.

Le fichier final tant bien que mal constitué constitue un tableau inédit, comme nous a expliqué Cédric Suriré, doctorant en socio-anthropologie du risque et des vulnérabilités

Ce tableau est l’outil qui manque dans l’histoire du nucléaire : la prise en compte de l’homme dans l’industrie du nucléaire.


Nous remercions vivement, dans l’ordre d’arrivée, Julien Kirch (au code), les chercheurs Cédric Suriré et Annie Thébaud-Mony et Marion Boucharlat (au graphisme), sans qui ce travail n’aurait jamais abouti.

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http://owni.fr/2012/04/27/le-nucleaire-enfouit-ses-donnees/feed/ 8
Les blessés du nucléaire parlent http://owni.fr/2012/04/27/les-blesses-du-nucleaire-parlent/ http://owni.fr/2012/04/27/les-blesses-du-nucleaire-parlent/#comments Fri, 27 Apr 2012 11:32:28 +0000 Claire Berthelemy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=106326 OWNI a voulu montrer l'envers du décor pour ces salariés et sous-traitants irradiés. Témoignages.]]>

Chercher l’humain. Les rapports de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) font disparaitre les individus sous une logorrhée technocratique. L’examen de ceux qui ont trait à des contaminations, sur lesquels nous nous sommes concentrées, se résume à : “un agent”, “un prestataire” qui bien souvent n’a pas respecté le process. Nous n’en saurons pas plus. Pour comprendre ce que signifie vraiment être contaminé aujourd’hui en France, il faut lire les témoignages des travailleurs du nucléaire, comme nous vous proposons de le faire dans l’image ci-dessous. Saisissant contraste entre les rapports et ces tranches de vie.

“Une épidémie moderne pour préserver notre confort”

“Une épidémie moderne pour préserver notre confort”

Ils sont environ 25.000 sous-traitants à travailler dans les centrales nucléaires françaises, au mépris de leur santé. ...

L’humain intéresse peu l’industrie du nucléaire. Il a fallu attendre 2002 pour avoir un premier colloque sur le sujet. Écouter les travailleurs du nucléaire, c’est en effet remettre en cause le prix à payer pour que nous ayons une électricité à un coût relatif. C’est remettre en cause le mythe d’une énergie propre. Humainement, c’est parfois dégueulasse.

De nos jours, il importe d’aller au-delà d’une communication bien rodée mise en place lorsque la France a fait le choix du tout-nucléaire qui consiste à dire que tout va bien.

Les rapports ont tous un point commun : ils mettent l’accent sur la seule atteinte corporelle – avec les biais que l’on sait (lien)- , traduisant une vision réductrice de la santé au travail. Annie Thébaud-Mony, de l’Inserm, en a posé les limites :

L’approche sociologique de la santé au travail, sous-jacente au risque d’irradiation et de contamination nucléaire, place ce dernier dans une perspective plus large que la seule relation au entre l’individu et l’exposition aux rayonnements ionisants. [...]

Il s’agit donc non seulement d’identifier les risques et les contraintes vécues par la personne mais de reconstituer, en une approche globale, les processus sociaux qui constituent son histoire et construisent sa santé et son devenir.

Cette dynamique s’appuie sur l’élaboration théorique d’une définition de la santé s’écartant à la fois des seuls fondements biologiques et de la notion d’état qui demeurent les références dominantes en santé publique. En rupture avec une conception de la santé comme “absence de maladie”, l’OMS la définit en référence à un état idéal  “état de parfait bien-être physique, psychique et social”.

La lecture des témoignages de travailleurs du nucléaires laissent apparaître une réalité. Une personne contaminée n’est jamais plus en bonne santé, à tous les points de vue, et quand bien même l’incident est “mineur” selon l’échelle en vigueur. Physique, psychique et social.

Ces témoignages font aussi ressortir un biais du prisme techniciste de l’industrie nucléaire et de sa gestion du risque. Il s’agit, pour reprendre l’analyse du chercheur James Reason :

d’éviter d’entrer dans la signification profonde des situations et de n’en tirer des leçons qu’à partir des événements superficiels.

Si les causes apparentes des contaminations sont souvent notées, les causes profondes ne sont pas indiquées. Et pour cause, il faudrait remettre en cause le système de sous-traitance.

Laissons maintenant la parole aux victimes. Cliquez sur l’infographie et sur les signes + pour les lire dans les meilleures conditions.


Nous remercions vivement, dans l’ordre d’arrivée, Julien Kirch (au code), Cédric Suriré, doctorant en socio-anthropologie du risque et des vulnérabilités, qui nous a fourni ces témoignages, Annie Thébaud-Mony et Marion Boucharlat (au graphisme), sans qui ce travail n’aurait jamais abouti.

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L’image des irradiés qu’on nous cache http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/ http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/#comments Fri, 27 Apr 2012 10:53:16 +0000 Claire Berthelemy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=105001 OWNI propose un état des lieux global des contaminations provoquées par les installations nucléaires françaises au cours des dix dernières années. La France, par tradition, dissimule ces données chiffrées. Derrière lesquelles tentent de vivre, ou survivre, les fantômes de la contamination. Sur OWNI, aujourd'hui, plusieurs articles sont consacrés à cette maladie honteuse, bien de chez nous. ]]>

Du point de vue de la santé mentale, la solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude…
Rapport de l’OMS de 1955, Cité par Jacques Ellul, in Le bluff technologique, p 294

***

“Légère irradiation d’un expérimentateur”, “perte de protection biologique dans un local de travail”, “accident de niveau 1 sur une échelle qui en compte 7”. Si un profane survole les rapports de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), chargée du contrôle des installations nucléaires françaises,  il ne s’inquiètera pas des contaminations touchant les salariés du secteur.

RAS, nucléaire : rien à signaler, pour reprendre le titre du documentaire d’Alain de Halleux. À partir des avis d’incidents disponibles sur le site sous une forme particulièrement indigeste, OWNI a ré-exploité ces données pour visualiser, en une seule et même image, les contaminations produites par le nucléaire français. C’est l’image ci-dessous. Vous pouvez cliquer dessus puis zoomer à l’intérieur pour prendre connaissance des différents cas.

Derrière la froideur technocratique rassurante des rapports de l’ASN, la réalité est plus inquiétante. Certains chercheurs estiment que des conséquences aussi graves que l’amiante en terme de santé publique sont à prévoir. Le fichier Dosinat – mis en place en 1992 par EDF – répertorie pour chaque intervenant, qu’il soit sous-traitant ou non, les doses qu’il reçoit. Il est établi que les sous-traitants encaissent 80% des irradiations dans nos dix-neuf centrales. Pourtant, dans les informations des rapports, il est ainsi impossible de savoir systématiquement si des sous-traitants ont été touchés, encore moins le nom de leur entreprise.

On ignore aussi dans la plupart des cas le radioélément impliqué. Information pourtant importante puisque selon le radioélément, les effets seront plus ou moins forts et longs. De même, on ne sait pas systématiquement si l’accident a lieu pendant un arrêt de tranche ou une autre période de maintenance, durant lesquels le recours à la sous-traitance est très majoritaire : EDF sous-traite à plus de 80% sa maintenance, et les sous-traitants sont trois fois plus touchés par les accidents du travail.

Le thermomètre cassé

Il est admis qu’un être humain doit rester à 37° de température environ. Au-delà, il faut s’inquiéter. Mais admettons qu’un décret indique que la température normale soit désormais comprise entre 37 et 39°, par exemple quand sévit une épidémie de grippe. Une partie de la population cesse d’entrer dans la catégorie des gens atteints de fièvre.

C’est ce qui s’est passé avec le nucléaire, industrie où cette question du thermomètre est au cœur de la controverse scientifique. Les seuils ont en effet été abaissés avec les ans, modulant dans le sens d’un renforcement la notion de dangerosité. En France selon le Code du travail, il était de 50 mSv à partir de 1988, de  30 mSv jusqu’en 2003, puis de 20 mSv, la norme actuelle. À titre de comparaison, le reste de la population ne doit pas dépasser 1 mSv/an/personne dixit le Code de la santé publique.

Ce seuil, fixé sur la base des recherches du Commission internationale de protection radiologique (CIPR), est remis en cause par celles du Comité européen sur le risque de l’irradiation (CERI) depuis 2003. Leurs conclusions : il faut diviser par 4 le seuil actuel, soit 5 mSv. Et par conséquent, la dangerosité d’une partie des incidents de contamination relevée par l’ASN devrait être reconsidérée à la hausse. L’IRSN reconnaitra lui-même en 2005 que ces problèmes soulevés par le CERI “ont été largement négligés par la communauté scientifique.”

Enfin, les incidents en-dessous de 10 000 becquerels ne font pas l’objet d’un rapport de l’ASN. Or l’IRSN reconnaissait aussi que les recherches sur les effets des faibles doses avaient jusqu’à présent été basées sur un postulat faux :

Il a longtemps été postulé que l’incorporation de 100 becquerels en un jour revenait à incorporer 1 becquerel pendant 100 jours. Cela est tout à fait exact mais faux en biologie.

La traçabilité est donc perfectible, comme le souligne Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Une déclaration d’incident de travail (différente du rapport ASN) devrait être faite systématiquement puisqu’il s’agit d’un risque grave, afin d’avoir une trace de toutes les contaminations, y compris celles en-dessous du seuil. Selon la législation, les lésions peuvent être immédiates ou différées. Et ce n’est jamais fait.

Une procédure judiciaire a été engagée à l’initiative d’un inspecteur dans ce sens, mais sa demande a été déboutée en correctionnel.

Nous avons lancé une campagne notamment avec des syndicalistes délégués de CHSCT [Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, NDLR] de différentes centrales pour inciter à faire la déclaration, et si l’entreprise refuse, l’employé a deux ans pour le faire. Il y a eu une circulaire de la direction du parc nucléaire pour dire qu’il n’y avait pas de raison de faire une déclaration, révélée par Mediapart [payant]. Cela nous a servi de leçon, j’ai dit aux inspecteurs du travail qu’il fallait aller au-delà du droit du travail sur le pénal pour mise en danger d’autrui, on en est là.

Biaisé, le thermomètre l’est aussi par le peu de fiabilité des dosimètres. Les travailleurs doivent en porter deux, un dosimètre-film et, depuis la fin des années 90, un dosimètre électronique. Annie Thébaud-Mony estime qu’“il présente 20 à 40 % de marge d’erreurs. Et entre les deux dosimètres, il y a 20% de taux d’erreur.” Nous avons contacté EDF pour avoir des explications sur ce sujet, qui nous a “conseillé d’interroger les fournisseurs de dosimètres, notamment l’IRSN”. Ces derniers n’ont pas répondu.

Parfois, le dosimètre est jeté aux orties : un rapport datant de 2006 de l’inspecteur général d’EDF mentionne “une pratique préoccupante de salariés qui ne portent pas de dosimètre”. Une pratique préoccupante dont elle se défausse sur les entreprises sous-traitantes. Perversité de ce système des poupées russes.

Personne pour vérifier

Derrière chaque incident, la proposition de l’exploitant d’un classement sur l’échelle INES. ”Soit l’ASN est d’accord avec l’exploitant, soit il lui explique pourquoi. C’est un partenariat.” se défend l’ASN. Et bien souvent, le classement de l’exploitant est validé par l’autorité. Pour pouvoir juger des conséquences, l’ASN a donc en main une déclaration – de bonne foi – des exploitants, qui proposent un classement. Parfois, les équipes de l’ASN se déplacent pour vérification ou appréciation sur le terrain. Mais ”rarement dans le cas d’un niveau 0. S’il n’y a pas d’enjeu, on ne se déplace pas”, confie un des employés de l’autorité :

Ça dépend des informations que nous avons à partir de la déclaration. On les appelle et on voit selon ce que dit l’exploitant. Les investigations interviennent juste après la déclaration d’évènement. En fonction, on peut arrêter l’installation. La responsabilité première est celle de l’exploitant : on se base sur ce qui est dit et sur la nature de ce qui s’est passé. On peut aussi solliciter l’appui technique de l’IRSN [Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, NDLR].

Le bras de fer entre les deux instances n’est que le reflet de ce que l’humain peut peser dans une échelle de classement : pas grand chose au vu du peu d’importance que revêtent les contaminations dans le classement INES.


Nous remercions vivement, dans l’ordre d’arrivée, Julien Kirch (au code), Cédric Suriré, doctorant en socio-anthropologie du risque et des vulnérabilités, Annie Thébaud-Mony et Marion Boucharlat (au graphisme), sans qui ce travail n’aurait jamais abouti.

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http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/feed/ 44
De l’uranium et des infos appauvris http://owni.fr/2012/04/13/dga-uranium-appauvri-armement/ http://owni.fr/2012/04/13/dga-uranium-appauvri-armement/#comments Fri, 13 Apr 2012 14:41:35 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=101917 OWNI a voulu en savoir plus. Enquête. ]]>

Non loin de Bourges, une parcelle longiligne d’une dizaine de milliers d’hectares appartient à la Direction générale de l’armement (DGA). Alors que le débat sur le nucléaire civil fait rage, la DGA et ses prestataires continuent tranquillement leurs essais de munitions à uranium appauvri. Mais, depuis peu, la population et les élus demandent des comptes, à commencer par une étude d’impact sur les populations.

Fin de l’anesthésie locale

La bande de 30 kilomètres de long sur 4 à 5 de large, de Bourges à Crosses, touche une quinzaine de communes. Au centre de cette bande, une zone de tir pour effectuer un contrôle des stocks de munitions françaises, en prélevant deux ou trois obus pour les tester. Autour, des champs de blé et autres céréales et des routes fermées pendants les séances de tirs de la DGA.

Depuis les années 1970, le Polygone de Bourges sert aussi à la fabrication de munitions pour les armées. Jusqu’aux années 90, les employés manipulaient les produits sans protection particulière et aujourd’hui certains veulent savoir quelles ont été les conséquences de l’uranium appauvri sur l’environnement et leur santé. Joël Frison, porte parole d’Alerte uranium, une des branches du Mouvement de la paix, est sans appel :

Nous sommes à la recherche de la vérité sur les effets de l’uranium dans le Cher. À la fois sur la population alors que les tirs continuent et à la fois sur ceux qui ont passé des années à fabriquer les munitions sans protection. Entre 1970 et 1990, les essais ont été réalisés en plein air et sans protection.

Aujourd’hui, les habitants concernés par la fabrication des munitions et les tirs à l’uranium appauvri toujours en cours se mettent à chercher des réponses à leurs questions. Pour Joël Frison, “les langues commencent à se délier, certains retraités ont accepté de nous parler et nous ont apporté de nombreux témoignages.” L’attitude des militaires, qu’il juge “criminelle”, a en effet touché la population locale mais aussi les employés – majoritairement des civils – pour un site qui emploie près de 700 personnes.

Pascal Barillet, employé du groupe d’armement Giat Industries entre 1973 et 2000 (rebaptisé Nexter) est mort d’une leucémie il y a quelques années. Michelle Barillet, sa femme, appartient à l’association et veut connaître les raisons de la mort de son mari. Elle témoigne sur le blog de Jean-Pierre Gilbert :

Des conversations, l’énoncé de plusieurs faits auxquels je n’avais pas prêté attention à l’époque, me sont revenus en mémoire. Je m’interrogeais, j’avais des doutes, cette leucémie était-elle due à l’environnement professionnel ? Était-elle due à une autre cause ? Je voulais savoir. [...] Quand mon mari travaillait chez Giat, il citait le cas de collègues tombés malades et avait remarqué le décès de quatre d’entre eux. Il ajoutait “ils vont tous nous faire crever”, mais ne soupçonnant rien de particulier, j’attribuais ces paroles à des problèmes rencontrés au travail, ou aux soucis causés par les restructurations.

L’association, qui essaye d’apporter un éclairage et des informations à la population aux alentours du Polygone, s’attelle aussi à sensibiliser les élus, y compris ceux du conseil général du Cher. Et visiblement ça fonctionne. Ces derniers ont présenté en début d’année un vœu à l’attention du ministère de l’Écologie et de celui de la Santé demandant la levée du silence sur les tirs de la DGA.

Pour le président du Conseil Général du Cher, Alain Rafesthain, la collectivité territoriale ”n’a pas la responsabilité du Polygone”, mais ça ne l’empêche pas de se saisir des questions et inquiétudes de la population locale :

Le ministère de la Défense n’est pas enclin à délivrer des informations spontanément. Alors les élus au Conseil général ont adopté unanimement et indépendamment de leur couleur politique un vœu transmis au préfet pour la mise sur pieds d’une CLI [Commission locale d'information, NDLR]. Nous demandons qu’une étude épidémiologique soit faite à proximité du Polygone. On peut penser que l’uranium appauvri peut avoir des conséquences sur la santé. Mais notre marge de manœuvre c’est d’alerter, pas de prendre une décision.

Alors que les routes sont fermées ou ouvertes au rythme des exercices des militaires – mais “on peut toujours accéder aux villages, parfois faut juste faire un crochet” précise le Président du Conseil général – l’acceptation du Polygone par la population locale s’explique avant tout par l’ancienneté du lieu et l’évolution lente des types de munitions. Dans ses souvenirs, il y avait ”des tirs presque toutes les nuits”.

Entre les tirs et la fabrication de munitions, des efforts ont été effectués. Si aujourd’hui les essais sont plus sécurisés, ils n’en restent pas moins des tirs de munitions d’uranium appauvri, parfois jusqu’à 3 kilomètres de la cible. Munitions qui atterrissent dans un tunnel de 50 mètres où peuvent être confinés les éclats de l’explosion.

Silences gênés

Difficile aussi de remettre en question la présence d’un tel champs et de telles activités de fabrication de munitions. Présente depuis longtemps et forte source d’activités et d’emplois, la DGA n’en est que plus légitime. Irène Felix, élue au Conseil général du Cher, contextualise la relation que les habitants proches ont du champ de tirs et de la DGA :

Ça fait partie de leur vie quotidienne, la préoccupation n’est pas la même que si un site s’ouvrait. Travailler pour l’armée, pour la défense, pour des choses dangereuses et qui exigent une certaine discrétion, ça fait partie de la culture de Bourges. Une sorte d’héritage. Mais tout ce qui est secret suscite une suspicion. Nous, comme élus du Cher, nous soutenons l’idée que l’information reste au coeur de la démocratie mais est aussi utile pour faire le point, positif ou négatif, sur une question.

Hormis la culture de la ville, même pour des recherches, il est difficile de travailler sur le Polygone. Ainsi, le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, (CEMAGREF – aujourd’hui Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture ou IRSTEA ) a mené des études sur les chevreuils, entre 1986 et 2005. Chargés de compter les chevreuils au nombre de kilomètres parcourus en effectuant des rondes à heures et dates fixes, les équipes, principalement des chasseurs du coin et avec l’aide de la fédération départementale de chasse du Cher, parcouraient en voiture les routes à proximité des zones latérales du champ de tir.

Christophe Bouilly, technicien cynégétique sur le secteur, a participé à différents recensements. Il sourit à l’évocation de ces rondes et constate surtout que “c’est désagréable pour les gens qui habitent à proximité de la zone, mais les chevreuils ne se sentent pas menacés”. Le souci dans ces comptages ? L’entente nécessaire avec la DGA et le Polygone, dont les gardes accompagnaient les voitures de ronde. Un chercheur qui a travaillé sur le sujet se souvient :

Nous avions quelques difficultés pour circuler sur le Polygone. Il arrivait qu’au dernier moment, on nous dise : ‘Désolés mais la séance de tirs n’est pas finie’. Les routes que nous empruntions pour compter la population de chevreuils ne pouvaient être ouvertes et, une fois ouvertes, il était trop tard.

Mais parmi les autres institutionnels, la question agace et les réponses oscillent entre enthousiasme pour le site et perte de mémoire. Exemple avec le maire d’Avord, l’une des communes concernées, Pierre-Etienne Goffinet :

Pas question de le fermer, voire même plus question de le fermer puisqu’il s’étend à l’heure actuelle.

L’ancienne préfète, Catherine Delmas Comolli – nommée préfète hors-cadre en septembre dernier -, renvoie la balle à son homologue en poste, Nicolas Quillet :

Bien sûr, en début de mission, nous nous sommes occupés du dossier. Mais le préfet actuel serait mieux placé que moi pour vous en parler.

Même son de cloche pour Olivier Geffroy, à l’époque directeur de cabinet de Catherine Delmas Comolli et aujourd’hui au cabinet du ministère des Collectivités locales, qui n’a ”pas de souvenirs précis”. Sans agressivité aucune, les bouches se ferment.

Pourtant, la polémique sur l’uranium appauvri ne date pas d’hier et a valu en mai 2008 une prise de position du Parlement européen. Qui a adopté une résolution appelant des efforts pour interdire l’utilisation de l’uranium appauvri et des études scientifiques sur leur utilisation. De quoi appuyer les demandes de la population locale et des élus.


Illustration Flickr  PaternitéPartage selon les Conditions Initiales JPC24

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http://owni.fr/2012/04/13/dga-uranium-appauvri-armement/feed/ 12
Uranium militaire en croisière http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/ http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/#comments Mon, 02 Apr 2012 07:14:40 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=103981

© Laurent Vautrin, Le Carton/Picturetank

Depuis la publication de l’article, des déclarations ont eu lieu remettant en cause les propos de Greenpeace. Voir notre ajout dans un autre article.

La France s’apprête à importer des États-Unis près de 180 kg d’uranium de qualité militaire en lui faisant traverser l’océan atlantique sur un bateau ne répondant pas aux normes de sécurité pour pareil transport. Le 21 octobre dernier, un centre de recherche grenoblois, l’Institut Laue-Langevin, a obtenu des États-Unis une licence pour recevoir cet uranium dit de “qualité militaire”, par l’entremise d’une filiale d’Areva, selon des documents du département américain à l’Énergie (consultable au bas de cet article).

Voyage, voyage

Selon nos informations, depuis ce week-end, cet uranium est sur le point de quitter le sol américain depuis un port (dont nous ne dévoilons pas le nom pour des raisons de sécurité), à bord d’un navire britannique propriété de la Nuclear Decommissionning Agency(NDA – dont TN International, la filiale de transports des combustibles d’Areva est actionnaire).

Dans ses soutes, un peu moins de 180 kilos d’uranium enrichi à 93% destinés à rejoindre les bâtiments de la Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA) près de Valence, dans l’Est de la France, pour y être assemblé à de l’aluminium. Et alimenter ensuite le réacteur de recherche HFR (High flux reactor) de l’Institut Laue-Langevin de Grenoble, détenu en partie par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et le Centre national de recherche scientifique (CNRS).

Le 16 mars, la Nuclear Regulatory Commission, équivalent américain de l’Autorité de sureté nucléaire française (ASN) a délivré l’ultime autorisation permettant ce transport (page 7 des documents ci-dessous). Problème, le bateau de la NDA affrété pour la circonstance est vieux de 25 ans et ne correspond plus aux normes en vigueur pour ce genre de voyage à haut risque – en raison de la qualité militaire de l’uranium acheminé et de l’intérêt qu’il peut éveiller.

Ce navire, dont nous connaissons le nom et les caractéristiques, appartient à une flotte vouée à démolition comme les bateaux de ce type et de sa génération – qui sont actuellement en cours de remplacement. Un spécialiste s’étonne :

Ces bateaux-là sont conçus pour ça et ce type de voyages arrive de temps en temps, pour le transport du MOX vers le Japon par exemple. Sauf que 25 ans pour un bateau qui assure des missions de transport d’uranium, c’est vieux.

D’autant que pour cette flotte britannique, et particulièrement cette série de bateaux, se sont posés des problèmes de corrosion de la coque, argument utilisé pour la refonte complète des bateaux de la NDA. Et ce même après quelques modifications “destinées à renforcer sa flexibilité opérationnelle en le rendant compatible avec le plus grand nombre de colis et de conteneurs ISO, afin de répondre aux besoins des clients”. Yannick Rousselet, chargé de la campagne nucléaire chez Greenpeace précise :

La NDA voulait à l’origine construire un nouveau bateau. Finalement, pour des raisons financières, ils ont décidé de ne pas construire ce bateau et ont préféré récupérer celui-ci. Curieux de se retrouver avec un vieux bateau pour ce transport-là !

À l’époque de l’acheminement de MOX vers le Japon, “il possédait des canons de défense, dont un témoin affirme qu’ils ont été démontés depuis” précise Yannick Rousselet. Autre anomalie constatée par le chargé du nucléaire chez Greenpeace et confirmée par la carte du port depuis lequel le bateau doit partir : alors que les cargos de ce type naviguent de concert pour se protéger tout au long du trajet, dans le port, le navire chargé pour Areva était amarré seul.

8 kg d’uranium par rechargement

La Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA), une des nombreuses filiales d’Areva, près de Romans, intervient dans la fabrication et la fourniture de combustible pour les réacteurs de recherche. Dans l’installation nucléaire de base (INB) qui abrite un atelier d’élaboration de combustibles hautement enrichi, l’uranium américain sera donc couplé à de l’aluminium. Pour alimenter le réacteur de l’institut de recherche grenoblois à l’origine de la commande.

À terme, les équipes travaillant sur le réacteur souhaitent utiliser un uranium moins enrichi. Hervé Guyon, chef de la division Réacteur de l’Institut Laue-Langevin, souligne la volonté de baisser le pourcentage d’enrichissement de l’uranium, ” et de faire fonctionner le réacteur avec un combustible enrichi à 20% environ. D’ici 2019-2020.”

En attendant, le réacteur continuera de se fournir “ailleurs”, et surtout depuis les Etats-Unis. Pour Yannick Rousselet, “il y a clairement un problème de risque de prolifération. Avoir des matériaux utilisables à des fins militaires comme ça, directement sur l’océan… Et il a l’avantage d’être sous forme métallique directement utilisable. Un des premiers risques c’est aussi le détournement de matière.”

Face aux nécessités de sécurisation du convoi, les lobbys du nucléaire cultivent leur mutisme : si personne n’est au courant du convoi, le convoi est sécurisé, CQFD. À l’évocation de l’argument “secret bien gardé transport sécurisé”, Yannick Rousselet ironise :

Ce secret, faites-moi la démonstration que nous ne le savons pas ! Quelqu’un qui vraiment veut ces matières peut les récupérer.

License Export

MÀJ du 2/04, 10 h : Julien Duperray, porte-parole de l’activité transport d’Areva, précise que “certaines activités sont clairement classifiées et on ne peut pas communiquer sur celles-ci. Les transports de ce type de matériaux ne représentent qu’une petite part de notre activité.”


Retrouvez tous nos articles sur le nucléaire en cliquant par ici.
Photographie via Picture Tank par © Laurent Vautrin/Le Carton, tous droits reservés

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http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/feed/ 21
30 km carrés de déchets radioactifs http://owni.fr/2012/03/18/voyage-au-centre-de-la-meuse-nucleaire-cigeo-andra/ http://owni.fr/2012/03/18/voyage-au-centre-de-la-meuse-nucleaire-cigeo-andra/#comments Sun, 18 Mar 2012 16:28:41 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=101750 2 de galeries et de tunnels. Notre journaliste y est descendue. Voyage au centre du nucléaire.]]>

À la frontière entre la Meuse et la Haute-Marne : la commune de Bure sur laquelle est implanté le laboratoire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). À 500 mètres sous terre, le laboratoire accueille des tests et expérimentations pour déterminer les réactions de la roche dans laquelle seront plongées, à partir de 2025, les tonnes de déchets radioactifs en provenance de La Hague. L’ANDRA a proposé à OWNI de visiter le laboratoire qui sert d’expérimentation pour la fabrication des futures galeries souterraines, tandis que le 27 février les promoteurs annonçaient que le projet était maintenant validé sur le plan scientifique et technique. Nous en avons profité pour rendre visite aux opposants historiques à ce chantier, l’association Bure Stop, dans le village voisin.

Entrailles

Les 80 kilomètres qui séparent Bure de Nancy sont une suite de champs. À un rond point, des bâtiments sortent de terre : EDF y a installé son centre d’archives, une écosphère de l’ANDRA est en cours de construction et le laboratoire de l’agence devant lequel flottent des drapeaux français fait figure d’ovni dans le paysage. Aux alentours, tout est lisse et plat. À moins d’une centaine de mètres de l’entrée du laboratoire, sur la commune de Saudron, l’espace technologique de l’ANDRA qui accueille touristes, scolaires, presse et officiels. Flambant neuf.

“Ce sont un peu nos clients [les officiels : EDF, Areva et le CEA, NDLR], ce sont eux qui payent” souffle Marc Antoine Martin, le responsable de communication du site. Il est aussi le chargé des visites, celui qui vend l’image et l’histoire du laboratoire aux visiteurs occasionnels. Et à la presse. La stratégie de communication de l’ANDRA est rodée.

Les premières galeries ont été creusées en 2007, par tranche et le laboratoire s’enterre à presque 500 mètres sous le niveau de la mer. “490 mètres de profondeur plus précisément” enchaîne Marc-Antoine Martin. En sous-sol, les chercheurs et employés – prestataires la plupart du temps – réalisent les essais grandeur nature : pression de la roche, effets de la température sur les alvéoles de stockage, sondes de mesure des mouvements de la terre et toutes les autres possibilités de changement d’état du sol à cette profondeur-là. Pour tester quelle technique sera utilisée pour creuser et quels matériaux vont être utilisés à terme pour le site d’enfouissement à proprement parler, baptisé Centre industriel de stockage géologique (Cigéo).

Cigeo, modélisation de la zone d'accueil des déchêts, vue en surface. ©ANDRA

Nous avions au départ une zone de transposition de 200 kilomètres carrés, au sein de laquelle le stockage était faisable. Techniquement. Puis nous avons réduit la zone, au regard des évaluations sur les différents travaux de l’ANDRA, pour aboutir à 15 kilomètres carrés. Jusqu’en 2009, la consultation des locaux n’était que partielle. Quand en 2009 a été mis sur le tapis la question psychologique pour les habitants du coin, nous avons été capables de marger la zone sur 30 kilomètres carrés, essentiellement en dessous d’une forêt et d’une ferme qui n’est pas habitée. L’idée est de pouvoir stocker en profondeur. Tout en respectant la volonté de ceux qui habitent par là. Techniquement c’était possible. Nous pouvions donc accéder aux demandes de la population…

nous explique Marc-Antoine Martin. “Les habitants du coin” reçoivent surtout des financements des deux groupes d’intérêt public de la Meuse et de la Haute-Marne. 30 millions pour chacun, millions issus de la taxation des producteurs de déchets, EDF en tête, suivi par Areva et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Sur place, les élus sont rétribués proportionnellement à leur coopération pour le projet.

Et à raison de millions dépensés en infrastructures pour leurs communes, sous le doux nom de dotations communales. La refonte des routes, le chauffage dans les églises et les nouvelles salles des fêtes sont le prix de l’acceptation du nucléaire. En plus de ces dotations, les habitants peuvent eux-mêmes déposer des dossiers pour des demandes de subventions. Les entreprises en bénéficient dès qu’elles le peuvent. Sans savoir parfois que “c’est l’argent du nucléaire” confie un chef d’entreprise – petite – à qui le GIP de Haute-Marne a octroyé une subvention l’an dernier.

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Autre contrepartie, EDF, le CEA et Areva en financiers clefs du projet d’enfouissement sont sommés de créer du développement économique. EDF a délocalisé ses archives à côté du laboratoire. Mais ce qui ne regarde pas l’ANDRA permet parfois au financier de participer en monnaie sonnante et trébuchante à ses propres projets avec ses propres taxes : EDF a ouvert une plate-forme de stockage de pièces de rechange à Velaines, financée en partie par Objectif Meuse, le GIP de la Meuse, à hauteur de 3 millions d’euros [PDF]. L’ANDRA à Bure a déposé en 2007 un dossier et demandé 1 million d’euros pour la construction de son centre technologique de Bure-Saudron, l’espace d’accueil du public. Même chose pour le CEA et ses 3 millions pour Syndièse, un projet d’usine prototype de transformation de bois en carburant.

Mais le discours de l’ANDRA élude toutes questions sur le financement des autres parties et se concentre sur les provisions à long terme, la technicité du projet et la gouvernance actuelle :

L’indépendance de l’ANDRA s’est vue renforcée en 2006 avec la loi Birraux : il n’y a plus qu’un seul siège pour un représentant des trois instances de financement de l’agence – EDF, le CEA et Areva – contre trois avec chacun un droit de vote au conseil d’administration avant la loi. Et surtout ici à l’ANDRA, on gère “ici et maintenant”.

Sébastien Farin, le responsable comm’ à Paris venu pour la visite ajoute :

On ne peut éthiquement pas faire payer les générations futures. La solution du stockage temporaire nécessite de mettre à contribution ces générations-là.

Comprendre que décemment, le stockage en surface en se répétant que tout ira bien n’est pas une solution pérenne au regard de ce que l’ANDRA, avec le laboratoire de Bure, découvre au fur et à mesure sur la fiabilité de la roche. Une troisième solution, réalisée par les équipes du CEA dans des conditions de laboratoire consistait à provoquer une réaction de physique nucléaire de séparation et transmutation. “Mais ce qui est possible au CEA depuis 2005 n’est réalisable qu’en 2040 à l’échelle industrielle. Nous recherchons plutôt la stabilité en enfouissant les déchets sous terre. Les propriétés radioactives restent présentes pendant 100 000 ans mais cette garantie de stabilité, on l’a, tout en restant vigilant” souligne Marc-Antoine Martin.

Les dispositions de Cigéo ont été prises pour une centaine d’années et pour des déchets bien précis : le parc français actuel seulement. Les EPR à venir ne sont pas concernés, le MOX non plus et les déchets étrangers sont pour le moment interdits.

Probabilité

Deux modes de transports souterrains ont été pensés pour faire descendre les déchets jusqu’au point de stockage : des tunnels depuis la Meuse, droits, et des descenderies depuis la Haute Marne, en pente. Mais “La descenderie coute forcément plus cher et la probabilité d’une panne est donc plus forte, mais elle répond à une demande locale. Les deux sites aussi coutent plus cher. Simplement parce qu’il y en a deux.” confirme Marc-Antoine Martin.

Bure ; Edf ; Centre de stockage ; Galerie souterraine (cc) Claire Berthelemy pour Owni

Actuellement au sein des galeries, une cinquantaine de personnes s’activent pour observer comment la roche se comporte. À chaque galerie correspond des tests différents : actuellement, la technique de forage n’est pas encore décidée mais « on essaie de voir ce que ça pourrait faire avec un tunelier ». Pour le reste, les responsables communication de l’ANDRA sont confiants :

Dans cette roche on connaît la vitesse du phénomène technologique et nous avons une grande confiance, il n’y a aucune raison pour que ça bouge sur le million d’années à venir !

La poussière sous le tapis

Mais ce bel optimisme ne fait pas l’unanimité. À Bure, un groupe d’opposants réunis autour de l’association Bure Stop, l’un des principaux mouvements hostiles au site d’enfouissement des déchets, a élu domicile dans une maison – à l’origine – en ruine. Dans cette maison 0% nucléaire, entre photovoltaïque et chauffage au bois, les murs abritent une dizaine de personnes, quelques permanents et d’autres moins.

Dehors autour d’un repas au soleil, la présentation des lieux et de leurs charmes prime temporairement sur le reste. “On a un dortoir et on peut mettre des tentes aussi dans le jardin”, explique Justine. Aucun n’est du village plus qu’un autre mais tous connaissent le laboratoire de Bure et le site de stockage – futur – des déchets.

Nadine Schneider, porte-parole de l’association, que nous avions interrogée sur le financement et l’arrosage des élus est catégorique concernant le projet Cigéo :

Ils jouent juste sur les mots : la réversibilité c’est la possibilité de remonter les colis tant qu’ils ne sont pas scellés. Sur un plan technique, l’IEER [Institute for energy and environnemental research, un institut indépendant, NDLR] explique que l’interprétation des données est “systématiquement strictement optimiste” et que les travaux de l’ANDRA ne tiennent pas suffisamment compte des propriétés de la roche hôte. Alors que fondamentalement, la roche est modifiée par l’intrusion humaine. la radioactivité ne va pas attendre sagement les bras croisés pendant des milliers d’années parce que l’Andra aura décrété que la roche était étanche !

Inutile de parler bassin d’emplois sous peine de déclencher un rire amer. “Là bas les gens viennent pour des missions, personne ne viendra s’installer, c’est un non développement économique. Ici, il n’y a pas longtemps, il y a eu des campagnes de forages avec des camions vibreurs. Les ouvriers sont venus en mission, ne parlaient qu’allemand et sont repartis. “, martèle la femme et ses dix-huit années de combat derrière elle. Turn-over trop important, missions courtes pour des postes hautement spécifiques provoquent une dilution des responsabilités.

Galeries du laboratoire de Bure ©E.Sutre

Effectivement, Bure, malgré sa nouvelle salle polyvalente est loin d’être la zone attractive du coin. Le collège voisin à Montiers-sur-Saulx est maintenu sous perfusion “parce que c’est Bure” assène Nadine Schneider. À table, on écoute la porte-parole. On souffle aussi quelques mots assassins :

En 1997, l’ANDRA avait gommé les failles des cartes du BRGM [Bureau de recherches géologiques et minières, NDLR] transmises au cours de l’enquête publique. Pour les remettre à d’autres endroits sur les cartes…

Le problème majeur, outre celui des déchets radioactifs, l’absence de liens entre deux départements qui appartiennent à deux régions différentes dont les zones académiques ne sont pas les mêmes. Qui empêche parfois de fédérer la population – deux fois 190 000 personnes, en diminution depuis quelques années – derrière un “non à l’enfouissement des déchets”. Mais le manque de liant entre les deux départements ne provoque aucune résignation du côté du Bure Stop.

Entre septembre 2005 et janvier 2006, la Commission particulière de débat public sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de hautes activités et de moyenne activité à vie longue, avait conclu que l’enfouissement n’avait pas la faveur du public. “S’ils avaient écrit l’inverse, l’ANDRA le mettrait dans toutes ses publications”, ironise Nadine Schneider. Dans le rapport de la Commission], ces quelques lignes :

“Il y a un problème d’acceptabilité territoriale”, reconnaît un élu favorable au laboratoire de Bure. La pétition pour un référendum en Meuse et Haute-Marne, avec plusieurs dizaines de milliers de signatures (40 000 selon ses promoteurs), et les interventions du public le confirment.

L’association dénonce et a une idée très imagée pour décrire ce contre quoi ils se battent : “Quand on sait pas quoi faire de quelque chose, on ne peut pas le mettre dans un trou et le refermer. C’est le principe de la poussière sous le tapis.”

Le débat est lancé depuis près de vingt ans et met au jour les problématiques temporelles du projet. Notamment celui de la gouvernance pour les cent ans à venir et l’ouverture de l’enfouissement des déchets aux pays étrangers, interdit pour le moment.


Illustrations et couverture par Marion Boucharlat pour Owni /-)
Photographies par Claire Berthelemy, CC BY-NC-ND et ANDRA.FR, tous droits réservés

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Areva trop intelligente http://owni.fr/2012/03/10/areva-trop-intelligente/ http://owni.fr/2012/03/10/areva-trop-intelligente/#comments Sat, 10 Mar 2012 14:45:39 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=100486

Tout commence début 2010, lorsque plusieurs dirigeants d’Areva commandent une enquête à une société d’intelligence économique, Apic, soupçonnant un des cadres de s’être enrichi sur le dos du groupe avec la bénédiction de la patronne, Anne Lauvergeon. OWNI s’est procuré de nombreux échanges entre Areva et cette petite structure, éclairant les soucis actuels du géant du nucléaire.

Car la saga judiciaire qui a débuté entre Anne Lauvergeon – qui a quitté ses fonctions en juin 2011 – et son ancien groupe, Areva, repose en particulier sur ce rapport établi par Apic, contestant le bienfondé d’une importante opération financière, l’achat d’UraMin. Une entreprise propriétaire de mines d’uranium en Afrique, achetée à prix d’or par Areva en 2007, et aujourd’hui au centre de toutes les polémiques.

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Sur le fond, difficile de prendre au sérieux les allégations portées contre Anne Lauvergeon et certains membres du groupe dans le rapport d’Apic. D’ailleurs, en interne, entre mai 2010 et le début de l’année 2011, le rapport n’avait provoqué aucun remous ; ne contenant aucune preuve matérielle autre qu’un livre disparu et des liens menant vers les pages internet du site d’Areva. Juste de quoi alimenter des rumeurs. Jusqu’à ce que Sébastien de Montessus, qui vient donc d’annoncer sa démission de son poste de directeur de la branche minière d’Areva, ne s’en serve comme catalyseur pour commander cette fois une mission d’espionnage à une officine privée suisse, Alp Service. Cette fois, la limite de la légalité est franchie en surveillant le couple Lauvergeon. En épluchant agendas et appels téléphoniques, sans rien trouver de probant d’ailleurs pour étayer les supputations du rapport Apic.

Catimini

À ce jour, le départ précipité de Sébastien de Montessus pourrait en annoncer d’autres. Puisque dans les faits, d’autres hauts responsables d’Areva ont cautionné le travail d’Apic, à l’origine de toute l’affaire, comme le montrent les différents documents. Comprenant propositions, devis, contrat, facture et diverses notes internes.

Les noms de plusieurs dirigeants y apparaissent, tels Thierry d’Arbonneau, responsable de la Direction de la protection du patrimoine et des personnes, Gérard Arbola, membre du directoire, Nanda Nègre, chef de marché en charge du secteur protégé au sein de la Direction des Achats, Olivier Grégoire, directeur de l’intelligence économique du groupe. Et le service finance-gestion pour faire entrer cette enquête dans les bonnes cases de la comptabilité.

Un premier mail du 27 janvier 2010 permet de dater la construction des soupçons. Il prévient laconiquement du lancement d’une étude sur l’acquisition d’une autre société minière, Swala, dont un des actionnaires n’est autre que Daniel Wouters, l’intermédiaire d’Areva au cours de l’acquisition d’UraMin. Les commanditaires le soupçonnent de s’être précédemment enrichi sur le dos d’Areva.



Très vite, les échanges entre Marc Eichinger, dirigeant d’Apic contacté par Areva et les représentants du groupe s’intensifient. Jusqu’à la présentation d’un devis et une “demande d’achat” – de l’enquête – dans les registres comptables le 9 février 2010. Laquelle va s’étendre à l’acquisition d’UraMin. L’intitulé ne laisse pas de doutes : “recherche d’information à la demande de la BU Mines”. Le tout validé par Olivier Grégoire et Thierry d’Arbonneau entre autres.



Le contrat est parachevé le 23 février 2010. Pour 20 000 euros hors taxes, signé par les deux parties, comme en témoigne le document du service achat d’Areva. La commande de prestation d’intelligence économique à Marc Eichinger est naturellement accompagnée des conditions générales d’Areva, comme pour un banal contrat de prestations de service.


Conséquences

Le rapport, accusateur et manifestement soupçonneux, est remis le 5 avril à Areva. Dans les quelques pages de l’analyse d’Apic, Marc Eichinger est formel et à charge. La direction d’Areva – et de fait Anne Lauvergeon – a manipulé et dupé l’Agence des participations de l’État (APE), Bercy, et même EDF (un temps sollicité pour UraMin) :

La direction d’Areva a manipulé les représentants d’EDF et sans doute également Bercy de la même manière. Depuis le début tout est faux et il n’est pas question d’aborder une autre cible qu’UraMin. Il ne peut s’agir d’une erreur humaine individuelle ou collective.

Après réception du rapport et lecture des conclusions, Thierry d’Arbonneau met dans la boucle Gérard Arbola, membre du directoire, lequel se défend aujourd’hui d’avoir été mis au courant. Dans les conclusions que Thierry d’Arbonneau propose, ne sont mentionnés ni Apic, ni Marc Eichinger. Même si ses analyses sont reprises. En conclusion de la note interne, il explique :

- L’achat d’Uramin soulève beaucoup de questions et de suspicions [...]
Risques :
Si un expert se penche sur le dossier et les documents cités, il pourrait relever :
- un conflit d’intérêt avec l’activité minière indépendante de D.W. [Daniel Wouters, NDLR]
- le personnage de D. W. et son recrutement dans le groupe.
- Les bénéficiaires de la vente d’Uramin
- La diffusion d’informations erronées au marché.
- L’exactitude incertaine des bilans.
- Les conséquences économiques



Au sujet du rapport d’Apic, son auteur, Marc Eichinger a tenté de se justifier en expliquant le contexte de l’époque. Il a notamment confié au Parisien :

Il y [avait] un faisceau d’indices sérieux et concordants qui démontrent qu’Areva a été victime d’une escroquerie. [...] En 2006, Daniel Wouters, vétéran de la finance minière, se retrouve du jour au lendemain à la tête de la division mines d’Areva. D’ordinaire, quand une entreprise de ce calibre cherche un responsable, le processus est long. Mais Wouters connaissait le mari d’un cadre dirigeant, dont je ne peux dévoiler le nom.

Pourtant dans ce rapport qu’Areva a payé 20 000 euros, aucune preuve de la culpabilité des uns ou des autres dans le rachat de la petite société minière. De simples supputations. Depuis, un courrier du 19 janvier 2012 émanant d’Areva a intimé à Marc Eichinger de se taire dans les médias.



L’affrontement entre Anne Lauvergeon et l’actuelle direction d’Areva devrait connaître d’autres développements, rapidement. Contacté dans le cadre de cet article, les représentants Areva n’ont pas souhaité s’exprimer.


Illustrations et couverture par Marion Boucharlat pour Owni /-)

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