OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [App] Attention forages à risques http://owni.fr/2010/12/07/app-attention-forages-a-risques/ http://owni.fr/2010/12/07/app-attention-forages-a-risques/#comments Tue, 07 Dec 2010 18:49:37 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=38523 « Du sable, de l’eau et de la pression ». Sur le site officiel d’Halliburton, la recette de l’extraction des gaz de schiste ressemble à celle d’un pâté de sable. Le mélange original n’en était peut-être pas loin quand il a été injecté pour la première fois par la compagnie en 1947 pour remuer le fond des puits de pétrole ou de gaz du champs de Hugoton au Texas afin d’en extraire les dernières gouttes. Mais ses derniers perfectionnement dans les années 1980 et 1990 ont poussé la technique de « fracturation hydraulique » à des degrés de raffinement qui confinent au secret défense : interrogé par l’Agence de protection de l’environnement américaine, le géant des hydrocarbures a refusé de livrer la recette de sa potion magique, soupçonnée par les autorités sanitaires d’avoir empoisonné les réserves d’eau potable aux abords de certains puits d’extraction de gaz de schiste utilisant sa technique. Pour toute aumône aux curieux, Halliburton livre une dizaine d’ingrédients, dont trois types de sables et de l’eau, sur son site internet. Mais, comme pour le Coca, la touche qui fait la différence manque à l’énumération.

De simple système « d’activation » des puits de pétrole et de gaz, cette technologie, alliée à des matériaux souples résistants à de très hautes pressions et à de nouveaux systèmes de forages horizontaux, a rendu accessible les immenses réserves de gaz contenues dans les couches de schistes, dissimulées à 1200, 2500 et parfois même 3000 mètres sous la surface de la terre. Présentes quasiment partout sur la planète, ces gisements de milliers de milliards de mètres cubes de gaz représentent une autonomie énergétique potentielle pour les pays… et une manne de contrats pour Halliburton et ses concurrents, Schlumberger ou Baker Hughes.

“A la sortie du puits : CO², NOx et autres gaz à effet de serre”

Pour chaque puits, le principe est le même : les ingénieurs creusent les fondements du puits, installent un coffre de béton et commencent un forage vertical de 30 cm de diamètre jusqu’à plus de 1200 mètres de profondeur avant de « couder » le forage qui avance, horizontalement, dans la couche de schiste censée renfermer du gaz. Après avoir fait exploser une charge au fond du puits, les ingénieurs y injectent à très haute pression un mélange d’eau, de sable et de divers produits chimiques facilitant le processus : propulsé à 600 bars (deux fois la puissance d’une lance à incendie Cobra), le liquide écarte les fissures formées par l’explosion que le sable garde ouvertes pour en faire échapper le gaz qui remonte avec la moitié du liquide (le reste était capturé par la roche). Pour chacune de ses fracturations 7 à 15000 mètres cubes d’eau son nécessaires, sont seulement la moitié remonte à la surface. Or, c’est justement sur le chemin du retour que les dégâts commencent à se faire sentir.

A peine sorti, le gaz est injecté dans un séparateur qui le dissocie de l’eau remontée du puits avant d’être pompée vers un condensateur, sorte d’immense réservoir de 40000 à 80000 litres. Le gaz y est séparé de ses autres composantes, laissant échapper des vapeurs d’hydrocarbures : CO², Nox et autres gaz à effet de serre. Autant de polluants dont la dispersion dans l’air était inconnue avant les travaux du Professeur Al Armendariz du département d’ingénierie civile et environnementale de l’université méthodiste de Dallas.

61% des maladies causées par l’exposition aux gaz toxiques

Autre petit secret, les mystérieux liquides de fracturation s’échappent parfois par des failles dans le coffrage du puits, atteignant des sources ou des roches poreuses par lesquelles ils s’infiltrent parfois avec du gaz jusqu’à atteindre des nappes phréatiques et à remonter dans les tuyaux, mêlés à une eau plus potable du tout. Pour percer le mystère de ces 0,5% de composants “autres” que l’eau et le sable, le docteur Wilma Subra a suivi en Louisiane) le ballet des camions amenant les produits chimiques pour le mélange et celui des tankers emportant au loin les eaux usagées jusqu’à pouvoir prélever un échantillon à la composition bien plus complexe que la dizaine d’ingrédients suggérés par le site d’Halliburton. Dans ses éprouvettes, elle a énuméré plus de 596 substances chimiques qui, en plus de leurs qualités d’inhibiteur d’acides, d’anticorrosif ou encore d’épaississant, ont pour certains des effets dramatiques sur la santé (cancérigènes, tels que l’ethylbenzène, perturbateurs endocriniens, comme le diethylène glycol).


Prenant pour échantillon représentatif la ville texane de Dish, Wilma Subra a conclut que 61% des problèmes de santé constaté chez les habitants de la ville étaient causés par des taux de polluants supérieurs aux normes environnementales admises : exposés à des quantités importantes d’ozone, de soufre, de gaz naturel ou d’ether, les habitants ressentaient plusieurs fois par jour nausés, maux de tête, vomissement… jusqu’à des affections respiratoires : 58% des personnes observées souffraient de problèmes de sinus.
La corrélation entre fracturation hydraulique et activité sismique reste à établir : Brian Stump et Chris Hayward chercheurs à la Southern Methodist University de Dallas, ont enquêté sur le site de Fort Worth au Texas. Ils mettent en garde :

Nous avons établi un lien entre la sismicité, le moment et le lieu de l’injection d’eau [ndlr : dans le puits de fracturation] ; ce qu’il nous manque ce sont des données sur la sous-surface de cette zone, sur la porosité et la perméabilité de la roche, le chemin qu’empruntent les fluides, et comment ces éléments pourraient provoquer un séisme.

Les chercheurs et les gaziers s’accordent à dire que la technique d’extraction en elle-même provoque des micro-séismes, “jusqu’à une magnitude de 3,4 sur l’échelle de Richter en surface” selon le géologue Aurèle Parriaux, docteur en géologie de l’ingénieur à l’université polytechnique de Lausanne. Un faible tremblement de terre, perceptible par l’être humain. Cependant le réel impact de la fracturation hydraulique reste à prouver, et des études sont encore nécessaires pour déterminer l’influence de ces fissures dans des zones sismiques.
Afin d’établir au plus vite les conséquences de ce procédé, Brian Stump a appelé à une “collaboration entre les universités, l’Etat du Texas, les autorités locales, le secteur de l’énergie, et, éventuellement, le gouvernement fédéral pour l’étude de la question de la sismicité”.Vue leur mauvaise volonté à livrer la recette de leurs potions magiques, difficile de croire que les sociétés gazières reconnaîtront demain être les auteurs de tremblement de terre.

Illustration pour owni.fr par Marion Boucharlat

Application par owni.fr

Crédits photo sur flickr sous licence CC : Oljeindustriens Landsforening OLF

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Les Etats-Unis, nouvel exportateur de gaz, bouleversent l’échiquier mondial de l’énergie http://owni.fr/2010/12/07/les-etats-unis-nouvel-exportateur-de-gaz-bouleversent-lechiquier-russe-de-lenergie-monde-energie/ http://owni.fr/2010/12/07/les-etats-unis-nouvel-exportateur-de-gaz-bouleversent-lechiquier-russe-de-lenergie-monde-energie/#comments Tue, 07 Dec 2010 18:48:59 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=38515 Dans le ventre du lourd tanker Maersk Meridian, les barils de gaz naturel liquéfié (GNL) portent une étiquette peu banale : made in USA ! Ce 19 novembre le port d’hydrocarbure tout neuf de l’île de Grain, construit à l’Est de Londres sur les fonds de GDF, BP ou encore E.ON, reçoit le premier chargement de gaz naturel américain depuis des dizaines d’années.

Marcher sur les pipelines de Gazprom

Grâce aux gaz de schiste extraits de couches de roches profondes, les Etats-Unis ont reconquis leur indépendance énergétique et exportent désormais leur production : cette nouvelle ressource représente 15% de leur production total de gaz. En produisant 620 milliards de mètres cubes en 2009, le pays a même dépassé le leader mondial : la Russie.

En prenant pied en Europe, les producteurs américains marchent littéralement sur les pipelines de Gazprom, ici comme en son royaume de gaz, au côté du Qatar, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite. Mais la reconquête a avant tout été technique : présents dans quasi tous les pays du monde, les gaz de schiste ne peuvent être aujourd’hui extraits que grâce à une seule technologie, d’origine américaine, la fracturation hydraulique.

La propriété industrielle de ces techniques est détenue par des sociétés spécialisées dans l’exploitation pétrolière comme Halliburton, Schlumberger, etc. Partout où du gaz de schiste est exploité, leurs ingénieurs sont envoyés, explique-t-on chez un des géants américains du gaz non conventionnel, Devon. Nous avons une décennie d’expérience, nos premiers puits ont été forés en 2002. Désormais, les grandes sociétés pétrolières étrangères se tournent vers des sociétés comme Chesapeake, en espérant un transfert de compétence par des partenariats.

Au delà de la seule situation des Etats-Unis, la libération de ces réserves entraîne des conséquences inattendues sur les marchés : en plein hiver, le gaz reste en 2010 sous les prix du pétrole, stabilisé par la nouvelle manne des schistes. Une aventure dans laquelle les Européens se lancent à peine.

Mais là encore, le primat technologique américain force les locaux au partage : dans le Sud de la France ouvert depuis peu à la prospection, Total pourrait remplacer son partenaire Devon (ayant préféré se recentrer sur l’Amérique du Nord) par Chesapeake, et GDF s’est mis sous l’aile du Texan Schuepbach, qui prospecte à travers le monde ces nouveaux gisements avec l’aide de la puissante multinationale Dale. Des concessions qui servent autant des ambitions économiques que politiques :

Un des enjeux du marché européen est de limiter sa dépendance vis à vis de la Russie, de l’Algérie ou encore du Moyen-Orient, explique Guy Maisonnier, de l’Institut Français du Pétrole. La notion clef est le renforcement de l’indépendance énergétique. Pour l’instant, nous en sommes à un stade préliminaire. La suite des opérations va dépendre du taux de récupération et des coûts de forage déterminés par les contraintes techniques.

Le géant russe du gaz obligé de pactiser avec Shell

Dans le reste de l’Europe, l’exploration se généralise : Allemagne, Royaume-Uni, Italie du Nord, Espagne, pays scandinaves… Quelques permis autorisant pour l’instant la prospection seulement, en attendant l’évaluation du potentiel des gisements découverts. Des ambitions communes ayant même donné naissance à un programme de recherche intitulé GASH. Avec une nette avance, la Pologne a signé 70 permis et réalisé la première fracturation hydraulique d’un puits de gaz de schiste en Europe… grâce à Halliburton. Une impatience qui s’explique par le fort potentiel gazier du sous sol polonais qui pourrait placer cet état juste derrière la Norvège et la Russie au rang des fournisseurs de l’Union européenne. Un coup économique mais aussi diplomatique puisqu’il l’affranchirait des désideratas du géant Gazprom, qui, profitant de l’hiver, fait la loi en Europe de l’Est en imposant ses tarifs.

Autant de raisons d’irriter Moscou : visant l’élargissement à l’Est de son emprise sur le marché du gaz, ses investissements dans le gazoduc ESPO et l’usine de gaz naturel liquéfié de Sakhaline pourraient être vains si la Chine, l’Australie et les autres pays de l’arc Pacifique venaient à développer leur propre industrie gazière. Poussé dans ses derniers retranchements, le tsar des hydrocarbures a ainsi envisagé d’investir lui-même dans les compagnies gazières américaines avant de signer un accord de coopération avec Shell pour compenser la chute de demande de gaz en Europe, d’où certains barils sont revenus pleins depuis le développement des gaz de schiste d’Amérique du Nord.

Mais la révolution ne s’arrêtera pas aux portes de l’Europe : “pour l’instant, le gaz n’a pas encore connu de véritable flambée et les gaz de schiste restent, à 6$ le gjoule, trop couteux à extraire par rapport au prix du marché, détaille Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schiste”. Mais, plus le prix montera, plus les gisements lourds, comme les sables bitumineux, deviendront rentables : à 7$, le gaz liquéfié venu du Qatar pour rentrer en compétition avc le gaz russe et le gaz américain.” De quoi préparer d’autres révolutions explosives.

Photo FlickR CC Jeremy Brooks ; Paul Johnston ; Travis S.

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Gaz de schiste : révolution énergétique, menace écologique http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schiste-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/ http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schiste-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/#comments Tue, 07 Dec 2010 17:53:22 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=38510 Dans le nord du Texas le gisement de Barnett Shale a éveillé une nouvelle ruée vers l’or gris. Chaque mois des milliards de m3 de gaz sont extraits des couches profondes de roches de schiste sous la ville de Fort Worth. Des torrents de gaz drainés par des milliers de camions. Une activité qui, ajoutée aux rejets des raffineries, pollue plus que le tout le trafic automobile de cette ville de 725 000 habitants selon un rapport réalisé par le professeur Al Armendariz en janvier 2009, nouvel administrateur de l’EPA (Agence de protection de l’environnement américaine). Ce précieux gaz, certains des habitants de Fort Worth l’ont retrouvé jusqu’à la sortie de leur robinet. Leur eau même contient des traces de produits chimiques injectés dans les puits, selon des analyses indépendantes menées par le documentariste américain Josh Fox. Nouvel arrivant dans cet Eldorado énergétique, Total a acquis début 2010, 25 % du plus gros exploitant de la Barnett Shale, Chesapeake, pour un montant de 600 millions d’euros et prévoit d’investir 1 milliard supplémentaire pour de nouveaux puits. Sans compter les engagements financiers que le groupe pétrolier prévoit en France.

Depuis le début du printemps le géant pétrolier français et le Texan Schuepbach sont libres d’explorer 9672 km² dans le Sud de la France, un terrain de prospection grand comme la Gironde. Signés par Jean-Louis Borloo, trois permis exclusifs de recherche (Permis de Montélimar ; Permis de Nant, Permis de Villeneuve de Berg) dessinent un gigantesque V de Montelimar au Nord de Montpellier, remontant à l’Ouest le long du parc naturel des Cévennes. Pour obtenir deux des trois permis, l’Américain a cependant du rassurer les autorités françaises en s’alliant à GDF : “S’il y a un problème, ils sont juste là”, nous dit Charles Lamiraux, géologue à la direction générale de l’énergie et du climat (ministère de l’écologie) et en charge du dossier, en pointant la tour du gazier français depuis son bureau dans l’Arche de La Défense. Encore novices dans l’exploitation des gaz de schistes, les groupes français ne peuvent se passer de partenaires américains, les seuls à maîtriser la technique clef d’extraction de ces nouvelles ressources.

Avant, pour les gaziers, la vie était facile : un forage vertical de quelques centaines de mètres jusqu’à une poche, et le gaz remontait tout seul à la surface. Avec l’explosion de la demande, ces gaz dits conventionnels sont de plus en plus difficiles à trouver. Cette raréfaction a poussé les exploitants à creuser toujours plus loin et toujours plus profond… jusqu’à plus de 2000 mètres pour récupérer des micropoches de gaz emprisonnées dans un mille feuilles de roches de schiste. Or, ces nouveaux gisements représentent une manne considérable, présente dans le sous-sol d’un bout à l’autre de la planète selon le rapport du géant italien de l’énergie E.ON : des milliers de milliards de mètres cubes de gaz en Europe, sept fois plus en Amérique du Nord et plus encore en Asie et en Australie… De quoi flamber encore pendant quelques décennies sans besoin d’énergies renouvelables. Tout ça grâce à la technique révolutionnaire de fracturation hydraulique mise au point par le géant de l’armement texan, Halliburton. Un procédé efficace mais brutal.

A 2500 m de profondeur, c’est un petit tremblement de terre : pour réunir les micropoches en une unique poche de gaz, un explosif est détonné pour créer des brèches. Elles sont ensuite fracturées à l’aide d’un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques propulsé à très haute pression (600 bars) qui fait remonter le gaz à la surface avec une partie de ce “liquide de fracturation”. Chacun de ces “fracks” nécessite de 7 à 15 000 mètres cube d’eau (soit 7 à 15 millions de litres), un puits pouvant être fracturé jusqu’à 14 fois.

Selon la couche de schiste, un puits peut donner accès à des quantités de gaz très variables, précise Aurèle Parriaux, docteur en géologie de l’ingénieur à l’université polytechnique de Lausanne. Pour être sûr de rentabiliser un champ il faut une forte densité de forage.

Dans le Garfield County (Colorado), le désert s’est hérissé de puits de gaz de schiste tous les 200 mètres.

Chacun des points blanc sur la carte est un puits d'extraction de gaz de schiste

Pour chaque “frack”, deux cents allers retours de camions sont nécessaires au transport des matériaux de chantier, de l’eau, puis du gaz. De quoi transformer n’importe quelle nationale en autoroute. Sans compter les rejets de CO2 des raffineries, le bruit généré par le site et la transformation du paysage environnant.

Loin des ambitions affichées par le Grenelle de l’environnement, la fracturation hydraulique va à l’encontre de nombreux engagements pris par le ministre de l’écologie Jean Louis Borloo, qui a signé l’attribution des permis de recherche. Parmi les objectifs de ce Grenelle, améliorer la gestion des émissions de gaz à effet de serre grâce à la réduction de la circulation automobile, protéger les sources d’eau potables et les zones d’écosystèmes sensibles.

Si l’exploitation devait commencer dans les frontières définies par les permis, ce serait plus d’un paragraphe du Grenelle de l’environnement qui serait piétiné. Pour ce qui est des quantités d’eau à mobiliser, le choix de la région, frappée de sécheresse endémique depuis plusieurs années (notamment en Drôme et en Ardèche), est loin de satisfaire au principe de préservation des ressources en eau énoncé à l’article 27 du Grenelle :

Le second objectif dans ce domaine est de garantir l’approvisionnement durable en eau de bonne qualité propre à satisfaire les besoins essentiels des citoyens. A ce titre, l’Etat promeut des actions visant à limiter les prélèvements et les consommations d’eau. Il participe, en s’appuyant sur les acteurs compétents, à la diffusion des connaissances scientifiques et des techniques visant à une meilleure maîtrise des prélèvements et des consommations finales d’eau pour l’ensemble des usages domestiques, agricoles, industriels et de production énergétique.

Le risque est clairement identifié comme on nous le confie au ministère de l’Ecologie : “le problème de l’approvisionnement en eau nécessaire à l’exploitation des gaz de schiste se posera à un moment ou à un autre.”

Dans le document de référence remis aux autorités, Total et Schuepbach assurent prendre toutes les précautions nécessaires pour minimiser l’impact des recherches de gaz de schiste sur l’environnement. Malgré la cimentation des puits, les bourbiers avec films plastiques et autres sécurités mises en place pour empêcher la contamination, la notice d’impact précise la nécessité de réaliser au préalable une étude hydrogéologique, le forage pouvant traverser des nappes phréatiques. Le risque, comme l’ont expérimenté les riverains de la Barnett Shale au Texas, c’est la contamination des eaux souterraines par les polluants inclus dans le liquide de fracturation. Séverin Pistre, chercheur en hydrogéologie au laboratoire hydrosciences de Montpellier, souligne la fragilité des sources dans la région :

il y a beaucoup de problèmes de protection des captages d’eau du fait des aquifères karstiques qui peuvent réagir de façon très violente aux polluants. Selon l’endroit où le fluide pénètre la nappe phréatique, sa vitesse de propagation peut aller de 1 à 1000. Dans certain cas, il peut ainsi parcourir des centaines de mètres par jour dans les sous-sols.

Mais Total a tout prévu : en cas de nuisances, la notice d’impact donne aux habitants “la possibilité d’introduire un dossier auprès du Mécénat Total pour des actions patrimoniales ou culturelles”. L’honneur est sauf !

La priorité reste néanmoins à l’investissement : pour obtenir les permis, Total s’est engagée à dépenser 37 800 000 euros sur cinq ans pour sa zone d’exploration. Schuepbach quant à elle, a promis d’investir sur trois ans 1 722 750 euros pour les 4414 km² du permis de Nant et 39 933 700 pour le permis de Villeneuve de Berg et ses 931 km², soit 14319€ par km² et par an.

L’investissement dépend du degré de certitude que les entreprises ont de trouver des gisements de gaz, précise Charles Lamiraux. En Ardèche, des forages anciens permettent d’affirmer qu’il y a des réserves profondes que nous ne pouvions pas exploiter jusqu’ici. Peut-être même du pétrole.

Une éventualité qui pourrait expliquer certains investissements de dernière minute : Total E&P, abandonnée sur le permis de Montélimar par Devon Energy, n’a pas hésité à racheter la filiale française du groupe (non sans avoir obtenu l’aval du ministère de l’Ecologie). La rumeur veut que Chesapeake, basée à Oklahoma City, devienne le nouveau partenaire technique du pétrolier français. La même entreprise dans laquelle Total a pris en janvier dernier une participation de 25%.

Même si aucun des acteurs n’avoue encore d’ambition d’exploitation réelle, les investissements mis en place laissent entrevoir une stratégie à long terme.

Pour l’instant nous en sommes à une phase d’analyse de données par nos géologues, explique-t-on chez Total. Si les résultats de la phase de prospection de cinq ans sont positifs, il faut en général quatre ans de plus pour mettre en place l’extraction d’hydrocarbures. Cependant, pour les gaz de schiste, le forage des puits peut être très rapide et extensif.

Le PDG de Total lui-même Christophe de Margerie n’a pas caché que lorsqu’il prenait pied sur les gisements texans cela “permettra à Total de développer son expertise dans les hydrocarbures non conventionnels pour poursuivre d’autres opportunités au niveau mondial.”

Si des géants comme Exxon Mobil n’hésitent pas à acheter pour 41 milliards de dollars un exploitant régional de la Marcellus Shale, le marché reste aujourd’hui dans une phase spéculative.

La situation dans les gaz de schiste aujourd’hui est assez comparable à celle de la bulle internet : actuellement, le gaz naturel se vend autour de 4$ le gigajoule [énergie équivalente à 1/6 de baril de pétrole, NdR] mais coûte à peu près 6$ le gigajoule à produire, explique Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schiste”.

Des petites compagnies texanes ou albertaines se positionnent pour se faire racheter par des acteurs majeurs du secteur : le pétrole est de plus en plus difficile à trouver et le gaz pèse de plus en plus lourd dans les comptes d’exploitation.Bien plus que les bilans financiers d’une poignée de magnats du pétrole, c’est peut-être l’indépendance énergétique de nombreux pays qui se joue ici. Ces gisements non conventionnels remettent en cause la suprématie gazière de la Russie et des pays du Golfe et pourraient redessiner la carte du monde des hydrocarbures. Quitte à faire courir des risques environnementaux aux habitants, dépassant de loin les bénéfices énergétiques de l’exploitation des gaz de schiste.

Carte réalisée par Marion Boucharlat pour Owni

Photos FlickR CC Travis S. ; Rich Anderson ; Jeromy.

Capture d’écran google maps, puits du Garfield County, Colorado

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