OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pêche intensive : comment l’Europe affame l’Afrique http://owni.fr/2011/03/31/peche-intensive-europe-affame-afrique/ http://owni.fr/2011/03/31/peche-intensive-europe-affame-afrique/#comments Thu, 31 Mar 2011 10:30:30 +0000 Eros Sana (Bastamag) http://owni.fr/?p=53858 Surexploitation maritime, pêche illicite ou sous pavillon de complaisance, accords internationaux iniques… Les ressources de l’Afrique attirent, une fois de plus, l’Europe prédatrice. Résultat : le poisson se fait rare et les pêcheurs sénégalais doivent s’aventurer de plus en plus loin des côtes. Et à défaut de nourrir les populations locales, les poissons d’Afrique viendront garnir les assiettes des Européens.

À proximité de Dakar, la plage de Hann est déserte. Il est un peu plus de 16 heures. À cette heure, la plage devrait grouiller d’une intense activité, avec les pirogues des pêcheurs de nuit et celles des pêcheurs de jour qui viennent décharger leur cargaison. Mais le poisson se fait de plus en plus rare. Une dure réalité qui frappe les 60.000 pêcheurs artisanaux du Sénégal. Ceux qui devaient partir à 18 heures pêcher toute la nuit sont partis beaucoup plus tôt. Et les pêcheurs de jour, partis à 6 ou 8 heures du matin, retardent leur retour. Ils vont plus loin en mer, et restent plus longtemps sur l’eau.

L’une des rares pirogues de retour à cette heure-là est celle d’Alpha Dieng. Pêcheur depuis 12 ans, il commande une petite pirogue de 13 mètres de long. Avec ses deux compagnons de pêche, ils paient une licence annuelle de 25.000 francs CFA (environ 32 euros). Partis à 6 heures ce matin, Alpha Dieng et ses collègues sont fatigués. Ils présentent leur prise du jour : des poissons qui ne remplissent pas un petit seau blanc.

À peine 5.000 francs CFA (environ 7,50 euros), explique Alpha Dieng en wolof. Même pas de quoi payer les frais engagés pour l’essence du moteur aujourd’hui.

Un poisson trop cher pour les Sénégalais

Les captures se font rares pour tous. Depuis 2003, la pêche maritime au Sénégal enregistre une baisse de 16 % des captures, ce qui a des conséquences désastreuses pour les Sénégalais. L’activité de pêche génère plus de 600.000 emplois directs et indirects, occupés pour les 2/3 par des femmes. Presque deux millions de personnes dépendent de la pêche, qui est aussi le premier secteur d’exportation (30%). La baisse des captures met en péril la sécurité alimentaire du pays. Plus de 75% des apports nutritionnels en protéines d’origine animale proviennent du poisson. Dans les quartiers pauvres de Dakar comme Pikine et Guédiawaye ou de « classes moyennes » comme Sicap, il n’est pas rare d’entendre que le tieboudiene et le thiof, les deux plats nationaux à base de mérou ou de capitaine, sont désormais hors de prix pour les habitants.

Avec ses 700 km de côtes, le Sénégal est pourtant riche d’importantes ressources halieutiques : thons, espadons, voiliers, sardinelles, chinchards, maquereaux, crevettes et merlus, dorades, mérous, crevettes blanches ou céphalopodes… Mais à l’instar de pays africains dont les richesses en diamants, pétrole, gaz, terres arables, donnent lieu aux pires pratiques de prédation, cette richesse a, elle aussi, attisé les convoitises.

L’Afrique nourrit l’Europe en poissons

Pillé depuis des décennies par des flottes étrangères – espagnoles, françaises, italiennes, russes, japonaises, coréennes, chinoises ou taïwanaises – le « grenier à poissons » de l’Afrique et du Sénégal se vide de sa substance… Et ce, au prix d’une concurrence déloyale : quand les pêcheurs artisanaux sénégalais ne peuvent rester que quelques heures en mer, les campagnes de pêche des navires étrangers durent deux à trois mois. Le chalutage – qui consiste à racler les faible, moyenne et grande profondeurs des mers (jusqu’à 1.000 m) – entraîne la raréfaction des espèces de poissons et la destruction des environnements marins. Un désastre écologique.

À bord des « navires-usines » sont traitées, conditionnées puis congelées, d’énormes quantités de poissons, rapidement expédiés dans les assiettes européennes, coréennes ou chinoises. Près de 70% des produits de la pêche du Sénégal sont expédiés vers l’Europe. Celle-ci importe (tous pays confondus) pour 15,5 milliards d’euros de poisson . « L’Afrique nourrit l’Europe ! », s’indigne Mamadou Diop Thioune, président du Forum des organisations de la pêche artisanale. « C’est un système de vol organisé du poisson en Afrique, à destination de l’Europe et d’autres pays. » De nombreux acteurs de la pêche au Sénégal, révoltés, se mobilisent pour ne pas rester avec une « arête en travers de la gorge » et tentent de s’opposer à ce système.

L’impuissance du Sénégal face à la pêche pirate

Le fléau de la pêche illégale frappe aussi le Sénégal. « Ce sont les pêches INN : illicites, non déclarées et non règlementées. » Comme beaucoup de pays africains, l’État sénégalais dispose de très peu de moyens techniques pour contrôler et arraisonner les bateaux étrangers. Parfois dotés des plus récentes avancées technologiques, ceux-ci peuvent braconner en haute mer presque en toute impunité. Ces derniers mois, les contrôleurs ont été mobilisés par des bateaux battant pavillon russe, géorgien et ukrainien, que la marine sénégalaise n’arrivait pas à chasser durablement de ses eaux territoriales.

À l’impuissance du Sénégal s’ajoutent les insuffisances de l’Union européenne et des autres pays du Nord : excepté la mise en œuvre d’une liste noire d’armateurs, rien n’est fait pour assurer une meilleure traçabilité des poissons débarqués dans les ports occidentaux, qui ne disposent pas toujours de déclaration légale de capture.

Le piège des accords de pêche

Les pirates ne sont pas les seuls responsables de la surpêche. Des Accords de partenariat de pêche (APP) permettent à des flottes entières de bateaux européens, russes, chinois de venir légalement surexploiter les ressources halieutiques de la Mauritanie, du Maroc, de la Guinée ou du Sénégal. Au sortir de la colonisation, les États d’Afrique ont investi dans le développement d’une industrie de pêche nationale, plutôt que d’opter pour un soutien massif à la pêche artisanale. Mais les flottilles industrielles sont coûteuses. À la fin des années 1970, le secteur de la pêche n’échappe pas aux effets dévastateurs des programmes d’ajustements structurels néolibéraux, imposés par les institutions financières internationales. Des programmes qui déséquilibrent profondément la filière : les États africains – dont les besoins en devises augmentent – privilégieront dès lors les exportations, au détriment de la consommation locale, et la signature d’accords de pêche avec compensation financière.

Depuis, les puissances maritimes tirent un maximum de profit de cette situation. Notamment l’Union européenne qui, depuis 1979, a conclu près de 17 accords de pêche avec le Sénégal. L’accès aux eaux africaines, extrêmement poissonneuses, est un enjeu stratégique primordial pour l’Europe. La Politique commune de la pêche (PCP) européenne limite les captures dans les eaux européennes pour préserver la ressource. Les accords de pêche constituent pour l’Union européenne un moyen de redéployer une partie de sa « surcapacité de pêche », tout en diminuant la pression de la surexploitation de ses propres eaux.

Transfert de la surpêche de l’Europe vers l’Afrique

Formellement, les accords de pêche entre « les nations en eaux lointaines et les pays côtiers » sont fondés sur le principe de complémentarité : la surcapacité dans le Nord et l’abondance dans le Sud permettront un accès privilégié des navires des premiers dans les eaux des seconds. Il s’agit de prélever le « reliquat » disponible, seulement après une évaluation scientifique précise des ressources. Les pays du Nord paient une contrepartie financière annuelle, qui s’élevait par exemple à la fin des années 90 à 150 millions d’euros pour l’accord entre Europe et États de l’Afrique de l’Ouest.

Mais les autorités sénégalaises ne disposent pas de moyens conséquents pour effectuer une évaluation efficace des stocks de ressources halieutiques. Cela nécessiterait aussi un meilleur contrôle des capacités de capture réelles des navires étrangers et nationaux. Des experts internationaux dénoncent l’obsolescence du mode de calcul – en tonnes de jauge brute ou TJB –, qui ignore totalement l’incroyable progression des moyens électroniques de détection à bord des navires d’aujourd’hui. « La véritable raison des accords tient simplement à leur forte valeur marchande » affirment Karim Dahou, chargé de prospective pour l’ONG Enda Tiers-Monde, et Moustapha Deme, membre du Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye. Les flottes européennes se déplacent dans les eaux africaines pour capturer avant tout les espèces les plus rentables sur les marchés – tant financiers qu’à la criée – du Nord . C’est donc un modèle de pêche aux gros sous que promeut l’Europe à travers les APP.

Pour un euro versé, l’Europe en récupère trois

Dans le cas du Sénégal, l’ONG Coalition pour des accords de pêche équitables soutient que « si la compensation financière versée par l’UE est importante, elle ne représente qu’une petite partie de la valeur des ressources pêchées. Ainsi, un euro dépensé par l’UE pour la signature d’accords de pêche, en rapporte trois ou quatre au niveau européen. »
Mamadou Diop Thioune affirme :

Les accords n’ont jamais eu d’effet positif social et économique. Les gouvernements et les gouvernants se sont enrichis sur la misère des peuples en accompagnant sans conscience cet effondrement des stocks. Les accords sont signés au détriment des consommateurs des pays du Tiers monde qui ne peuvent voir leur consommation satisfaite.

Pavillons de complaisance et sénégalisation de bateaux étrangers

Après une importante mobilisation des pêcheurs et de leurs organisations, en pleines négociations de renouvellement des APP, le gouvernement sénégalais a été contraint d’interdire aux navires de l’UE de pêcher dans ses eaux territoriales. Mais pour s’assurer l’accès aux eaux sénégalaises, il existe un moyen moins risqué que la pêche pirate, et plus rapide que de longues négociations internationales : la constitution d’une société mixte de droit sénégalais. Un associé sénégalais, soi-disant majoritaire, enregistre l’entreprise au Sénégal, alors qu’il n’est en fait qu’un employé de son partenaire étranger. Celui-ci le rétribue et « distribue également des pots de vin à tous ces “complices” qui ont permis l’établissement de cette société mixte », résume une étude de la Coordination pour des accords de pêche équitable .

Le nombre de sociétés mixtes a explosé dans les années 1990, lorsque le régime des « sociétés mixtes subventionnées » a été introduit dans le cadre des échanges entre pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et l’Union européenne… par l’UE elle-même. Ce régime permet d’octroyer une subvention aux armateurs européens qui transféraient « définitivement » leur navire vers un pays tiers en créant des sociétés mixtes avec des ressortissants de ce même pays, tout en renonçant – pour le navire concerné – à leurs droits de pêche dans les eaux européennes. Les bénéficiaires de cette aide au transfert s’engagent à approvisionner prioritairement le marché européen. Le Sénégal connaît aujourd’hui une explosion de société mixtes : 11 sociétés mixtes espagno-sénégalaises, avec 29 chalutiers ; 3 sociétés franco-sénégalaises, avec 24 chalutiers ; 2 sociétés italo-sénégalaises, avec 7 chalutiers ; au moins 1 société sino-sénégalaise, avec 26 chalutiers ; 1 société gréco-sénégalaise avec 2 chalutiers ; et au moins 1 société coréo-sénégalaise, 1 turco-sénégalaise, 1 américano-sénégalaise…

Des sociétés écrans exemptées de droits de douane

Ces sociétés-écrans ne sont soumises qu’aux contraintes nationales. Autrement dit, à aucune contrainte. Les côtes africaines deviennent une sorte de buffet en self-service. Au-delà des eaux territoriales sénégalaises, les étrangers peuvent pêcher dans les eaux de toute la sous-région (Mauritanie, Guinée Conakry, Guinée Bissau, Sierra Léone), voire de toute l’Afrique. En octobre 2008, c’est de l’autre côté de l’Afrique, à près de 8.000 km des côté sénégalaises que le chalutier El Amine (appartenant une société mixte espagnole « sénégalisée ») a été arraisonné dans les eaux de Madagascar… pour pêche illicite.

Les avantages de ces sociétés au pavillon de complaisance ne s’arrêtent pas là. Elles profitent au maximum du principe central de la globalisation financière : toujours moins d’impôt. La Convention de Lomé autorise les produits halieutiques des pays ACP à pénétrer le marché européen sans droits de douane. Ces sociétés mixtes ont également bénéficié d’exonérations de taxes par le gouvernement sénégalais . Pendant ce temps, les entreprises réellement sénégalaises, regroupées notamment au sein de la de Fédération Nationale des GIE de pêche, périclitent et licencient. Depuis 2001, les acteurs de la pêche au Sénégal demandent en vain un audit de ces sociétés mixtes. Les grosses sardines du gouvernement sénégalais font la sourde oreille.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Vidéo : Elise Picon


> Illustrations CC Eros Sana

> Article initialement publié sur BastaMag

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Les voix des migrants se rassemblent à Dakar http://owni.fr/2011/02/18/les-voix-des-migrants-se-rassemblent-a-dakar/ http://owni.fr/2011/02/18/les-voix-des-migrants-se-rassemblent-a-dakar/#comments Fri, 18 Feb 2011 10:11:35 +0000 Eros Sana (Bastamag) http://owni.fr/?p=47203 De la manifestation contre l’Agence européenne Frontex, symbole de la militarisation de la lutte contre les migrations, à l’adoption d’une Charte mondiale, sur l’Ile de Gorée, les migrants ont fait entendre leurs voix au Forum social de Dakar. Inlassablement, ils ont rappelé l’insoutenable réalité : depuis 1988, plus de 14.000 migrants sont morts aux portes de l’Europe.

De l’expulsion dans le désert à la création d’un collectif

Marcel Amyeto a quitté la République démocratique du Congo pour des raisons politiques. Il s’est retrouvé au Maroc, où le Haut commissariat des réfugiés (HCR) lui a reconnu le statut de réfugié. En 2008 dans le cadre de ses études en audiovisuel, il décide de réaliser un documentaire sur le sort des migrants à la frontière entre le Maroc et la Mauritanie. Sur la route qui le mène de Rabbat à Agadir, des policiers – qui interpellent systématiquement toute personne noire – le contrôlent et lui affirment que l’Etat marocain ne reconnaît pas la validité de son titre de réfugié.

Marcel est alors incarcéré plusieurs nuits dans la ville de Dakhla. Avant d’être expulsé. Non pas vers le Congo, cela coûterait trop cher à l’Etat marocain, mais vers le désert : dans une « zone neutre » qui ne relève ni de la juridiction marocaine ou mauritanienne. Cette zone, peuplée de contrebandiers et trafiquants, a d’ailleurs été rebaptisée « Kandahar », à l’instar de la région d’Afghanistan où règne les talibans.

Cette zone est extrêmement dangereuse. En plus de la grande violence dont peuvent faire preuve les trafiquants, de nombreuses mines anti-personnel tapissent le sol. Durant les sept jours passés dans cette zone, Marcel a vu mourir une jeune femme nigériane et son enfant, tués par une mine. 14.921 migrants sont morts aux frontières de l’Europe depuis 1988. Dont 10.925 en Méditerranée et dans l’océan atlantique.

Marcel Amyeto, lui, a survécu à son séjour à « Kandahar ». Il a pu revenir au Maroc, y faire reconnaître son statut de réfugié, et venir présenter son collectif d’associations de migrants au Forum social mondial de Dakar.

En marche contre Frontex et sa gestion des frontières

Ce 10 février, le jeune congolais et près de 400 autres participants ont entamé à Dakar une marche contre Frontex. Dans le cortège, une banderole reprend l’immense liste des 14.000 migrants morts aux frontières de l’Europe. Créée en 2004 pour gérer les frontières extérieures de l’Europe, l’agence Frontex est la cause de l’errance de Marcel Amyeto dans le désert, et de la mort de nombreux migrants qui y sont refoulés. Cette agence est censée être en charge de « la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures », former les garde‑frontières nationaux, et suivre les questions « présentant de l’intérêt pour le contrôle et la surveillance des frontières extérieures ».

Mais Frontex ne se limite pas à « gérer les frontières extérieures » de l’Union européenne depuis les côtes européennes. Elle agit aussi depuis les côtes d’Afrique, et du Sénégal en particulier, avec lequel Frontex a signé un accord de « coopération ». Avec la collaboration des autorités sénégalaises, des navires « militaires » européens, agissant dans le cadre de Frontex, arraisonnent directement les embarcations de migrants. Avec, souvent des conséquences mortelles : des migrants meurent, se noient, disparaissent loin des regards.

Cette capacité de projection de Frontex au-delà des eaux européennes est rendue possible par ses immenses moyens : un budget de plus 88 millions d’euros en 2009, 21 avions, 25 hélicoptères et 113 navires armés. Un arsenal conséquent en comparaison de la marine sénégalaise, qui ne dispose que de 10 navires… « Combattre Frontex, c’est combattre la militarisation de la lutte contre les migrations et refuser que le Nord s’érige en forteresse qui dénie tous droits aux migrants », explique Mamadou Diop Thioune, président du Forum permanent de la pêche artisanale en Afrique. S’il s’implique dans cette mobilisation, c’est aussi parce que les navires de Frontex confondent souvent les barques des pêcheurs avec celles des migrants…

Les droits des migrants est l’une des questions majeures abordées au Forum social de Dakar. Du 3 au 4 février s’est tenue la Conférence mondiale des migrants, sur l’île de Gorée. Un lieu symbolique de l’esclavage, au large de Dakar, d’où partaient des navires européens remplis de femmes et d’hommes noirs, forcés à l’esclavage dans les Amériques.

De manifester à rédiger une charte des droits des migrants, le pas est fait

300 participants ont adopté sur cette île une Charte mondiale des migrants. Issue d’un processus initié en 2006, cette charte proclame une série de droits en faveur des migrants. Elle réaffirme qu’ils « sont les cibles de politiques injustes », auxquelles il s’agit d’opposer le « droit à la liberté de circulation et d’installation » sur l’ensemble de la planète.

Jelloul Ben Hamida, coordinateur des travaux, rappelle l’opposition des organisations de migrants à « toutes formes de restrictions des déplacements » : aux visas et autres formalités administratives, mais aussi aux frontières elles-mêmes. Cette charte représente une innovation. Une preuve que la société civile est capable d’élaborer des propositions concrètes. Adoptée sous les applaudissements, la charte incarne le « rêve de Gorée » pour de nombreux migrants.

En dépit du symbole et de l’enthousiasme des participants, de nombreuses interrogations demeurent sur la portée de cette charte. Seules les «  personnes migrantes » peuvent être signataires de la Charte, c’est-à-dire les personnes qui ont « quitté leur région ou pays, sous la contrainte ou leur plein gré, de façon permanente ou temporaire, pour une autre partie du monde ». Comment cette Charte peut-elle avoir un impact si elle n’est signée que par ceux qui sont directement victimes des politiques migratoires ? Pourquoi ne pas l’ouvrir à d’autres organisations ? Voire à des collectivités territoriales, comme cela a été demandé par des participants ? Comment établir un rapport de force avec les Etats, si seuls les migrants sont signataires ?

Mis à part la demande « de refonte de la conception de la territorialité et du système de gouvernance mondiale », peu de nouveaux droits sont proclamés. Il est regrettable que la Charte ne se prononce pas clairement sur la question des migrations écologiques. Alors que les crises climatique et énergétique, la perte de la biodiversité s’accélèrent et que le nombre de migrants écologiques devrait dépasser les 50 millions d’ici 2050. A la fin de la conférence, une proposition est faite pour donner plus de force à la Charte : chaque signataire pourrait disposer d’un « passeport universel ». Une façon pour les migrants de prouver qu’ils sont signataires de la Charte et de pouvoir invoquer, en cas de besoin, les droits mentionnés par cette Charte.

Illustrations Flickr CC Noborder, Geshmally et Mozzoom

Article d’Eros Sana publié initialement sur Bastamag sous le titre 14.000 personnes mortes aux frontières de l’Europe

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