OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Et Dieu créa le HTML5 http://owni.fr/2012/05/29/html5-html-jeux-video/ http://owni.fr/2012/05/29/html5-html-jeux-video/#comments Tue, 29 May 2012 12:37:23 +0000 Adrien Carpentier http://owni.fr/?p=109699

Fond d'écran "Steampunk" du jeu Nitrome

Jouer à des jeux sur votre navigateur web peut aujourd’hui vous valoir un certain dédain de la part des hardcore gamers ou de joueurs sur console.

Ce serait pourtant un peu dur par rapport à l’industrie du jeu. D’une part, parce que le succès phénoménal de certains jeux web sociaux (on pense bien sûr à Farmville) a permis de prouver la viabilité de leurs modèles économiques et de celle de l’utilisation de technologies web au service du jeu, comme le Flash ou l’intégration au sein de Facebook. D’autre part, parce que certains studios de jeux web comme Nitrome ont su créer des univers graphiques travaillés qui n’ont pas à rougir face à des titres classiques reconnus.

Et le mouvement continue : grâce à l’avènement de technologies émergentes comme le HTML5, les Websockets ou le WebGL, le jeu web est peut-être promis à un avenir radieux. Ces technologies pourraient même, à terme, ériger le navigateur web en véritable plate-forme de jeu universelle et standardisée.

Exigence

Le HTML est le standard de formatage des données pour le web : totalement ouvert et reconnu par tous les navigateurs, il rend de bons et loyaux services depuis l’invention du web en 1991 en structurant les pages et en y décrivant les différents éléments qu’elle contient – image, lien ou paragraphe de texte par exemple. Mais pour les jeux et animations, il fallait jusqu’à présent avoir recourt à des technologies propriétaires et nécessitant l’installation d’un plug-in, une extension au navigateur, comme le célèbre Flash d’Adobe.

Dernière mouture du HTML, le HTML5 change la donne. Instituée par le W3C (l’organisme chargé de standardiser le web) et bien qu’encore officiellement en phase d’étude, cette nouvelle norme est opérationnelle et les professionnels l’implémentent déjà depuis plusieurs mois dans leurs projets web. Parmi les innovations que propose le HTML 5, la nouvelle balise <canvas> est l’une des plus prometteuses. Elle permet aux développeurs web d’insérer dans leur page une surface sur laquelle il est possible de tracer des formes et de les animer. Dans cette zone peuvent par exemple figurer des jeux qui n’utilisent pas de plug-in externe, et donc reconnus par tous les navigateurs, y compris sur les téléphones mobiles.

Comme souvent en informatique, c’est le jeu vidéo qui, par sa grande exigence technique, est un des meilleurs moteurs et vitrines de l’innovation. La fondation Mozilla n’a pas dérogé à cette règle en présentant avec le studio Little Workshop le 27 avril, un jeu multi-joueurs en temps réel dans une seule page web, BrowserQuest. Histoire de démontrer ce qu’il est possible de faire en utilisant le HTML5, le Javascript et les Websockets. Militante historique de l’open-source, la fondation Mozilla, a également mis à disposition de tous le code de BrowserQuest.

Contournement

Non content d’animer une page web sans plug-in grâce au HTML5, BrowserQuest fait aussi de celle-ci un jeu multijoueurs en temps réel. Ceci est rendu possible grâce à une autre nouvelle technologie : les Websockets.

Jusqu’à présent, pour qu’une page web affichée sur votre navigateur mette à jour son contenu en fonction de l’action d’autres internautes, il fallait que le navigateur réclame à nouveau au serveur web la page mise à jour. Ces requêtes client-serveur unidirectionnelles sont inhérentes au protocole de communication historique du web, le HTTP. Ainsi, pour concevoir une page comportant un chat de discussion, les développeurs devaient jusqu’à présent utiliser des technologies de contournement complexes, ou n’utilisant pas le protocole HTTP.

Les Websockets rendent cette fois possible une communication bidirectionnelle en temps réel entre le navigateur et le serveur qui héberge la page. En clair, les Websockets peuvent par exemple permettre la création de jeux multi-joueurs sur une simple page web, sur laquelle des milliers de joueurs sont connectés, influant sur son contenu en temps réel. Une belle promesse technique pour les jeux massivement en ligne.

Accélération

Le WebGL est le troisième larron des nouveaux standards qui changent le jeu web. Développé par Khronos Group et Mozilla, cette technologie permet d’afficher de la 3D en temps réel sur une page web, là aussi sans plug-in à télécharger. Vous utilisez déjà WebGL lorsque vous affichez les immeubles de GoogleMaps en 3D, par exemple.

Jeu BrowserQuest par la Fondation Mozilla

La grande innovation de WebGL repose surtout dans l’utilisation de l’accélération matérielle de l’ordinateur de l’internaute. À l’instar des jeux classiques, le WebGL permet au web de profiter lui aussi des formidables optimisations offertes par l’architecture des microprocesseurs des cartes graphiques pour l’affichage d’un environnement en 3D.  Si le fait de relier le web à une couche informatique de si bas niveau en inquiète certains (Microsoft ne souhaite pas encore implémenter le WebGL pour des raisons de sécurité), elle représente néanmoins une petite révolution technique. On se plaît déjà à imaginer un Call of Duty directement dans son navigateur web.

Convergence

L’arrivée de ces nouveaux standards ne bénéficiera pas qu’aux internautes joueurs. À l’heure actuelle, un studio de jeu qui vise le marché le plus large possible doit développer une version de son jeu pour iPhone en langage Objective-C, une version pour Android en langage Java, une version web en Javascript… Au vu de l’importance croissante du marché jeu mobile, ces portages multiples constituent une barrière rédhibitoire pour les petits studios qui souhaitent se lancer dans l’aventure de la création d’un jeu.

HTML5, Websockets et WebGL offrent l’espoir aux développeurs de produire des jeux sur tous les navigateurs et surtout cross-devices. BrowserQuest est ainsi compatible avec la plupart des navigateurs web récents comme Firefox, Chrome ou Safari, mais également sur iPhone, iPad et sur la version Android de Firefox.

Le navigateur web prend décidément de plus en plus des allures de système d’exploitation. Si l’on ne peut que se réjouir de la standardisation et de l’ouverture technique qu’il offre aux créateurs de jeux, il faut cependant espérer que cela n’impose pas à l’ensemble du jeu vidéo la faiblesse artistique auxquels les jeux web et mobiles nous habituent parfois…


Captures d’écran : BrowserQuest, Nitrome, HTML5

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Bienvenue au festival du film bidouillé http://owni.fr/2012/05/21/bienvenue-au-festival-du-film-bidouille/ http://owni.fr/2012/05/21/bienvenue-au-festival-du-film-bidouille/#comments Mon, 21 May 2012 09:15:41 +0000 Adrien Carpentier http://owni.fr/?p=110126

Au mois d’avril dernier, lors d’une conférence tenue à Genève, le cofondateur de Wikipédia Jimmy Wales a prédit la fin prochaine d’Hollywood. Non pas à cause du piratage, mais parce que selon lui,

les outils collaboratifs pour raconter des histoires et réaliser des films vont faire à Hollywood ce que Wikipédia a fait à l’Encyclopedia Britannica.

À l’entendre, cette révolution serait en germe par l’entremise des machinimas, ces objets filmiques un poil immatures et sur lesquels Hollywood n’a pas encore beaucoup lorgné. Les machinimas, ce sont des films réalisés à l’aide d’un moteur 3D temps réel de jeu vidéo. Décors, personnages, caméra… les moteurs de jeux offrent en effet tous les outils de production pour raconter des histoires en vidéo, sans plateau ni acteurs.

GTA

La création amateur de films grâce aux outils 3D est une vieille histoire. Dans les années 1980, des hackers créent de petites séquences 3D à l’aide de moyens très réduits, et qu’on découvre en introduction à des programmes dont ils crackent la protection contre la copie. C’est la scène demo. Mais les vrais ancêtres des machinimas sont probablement les speedruns, ces vidéos de parties de jeu vidéo terminées dans un temps record. Un speedrun demande à son auteur des mois ou des années de persévérance pour gagner de précieuses secondes et disposer enfin d’une vidéo qui établisse un record. En effectuant des centaines de prises pour n’en garder qu’une seule qu’il montrera à son public, le recordman devient réalisateur, et le personnage qu’il dirige à l’écran, son acteur.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

 

Disney Animation Studio sur Amiga et surtout le jeu Stunt Island proposent, dès le début des années 1990, de mettre en scène et d’enregistrer des films dans un environnement virtuel. Mais l’Histoire ne retiendra qu’une petite vidéo de 1996, basée sur le jeu Quake, comme le premier machinima à proprement parler. Intitulée “Diary of a Camper” , ultra-courte, au script minimaliste et à peine compréhensible pour les non-gamers, c’est cependant la première fois qu’un simple enregistrement d’une partie de FPS (First Person Shooter) est détourné de son but original pour raconter une histoire. Comme pour les films muets, les dialogues sont affichés à l’écran grâce au détournement du chat intégré au jeu.

La pratique est vite imitée par la communauté des joueurs de FPS. L’arrivée de Quake 2, qui permet de changer la caméra sur une séquence déjà enregistrée, encourage encore un peu plus ces fanarts qu’on appelle encore des Quake Movies.

Le mot machinima, contraction de “machine”, “animation” et “cinéma”, ne remplacera Quake Movie qu’en 2000 lors de la création d’un portail Internet dédié. Jusqu’alors sous-culture de hardcore gamers, la pratique cesse d’être l’apanage des FPS, et les créations commencent à fleurir sur Internet. La série ultra-cinématographique des Grand Theft Auto en 3D apparue en 2001, avec son inspiration très hollywoodienne et ses immenses villes américaines virtualisées, constitue un terrain de jeu rêvé pour imiter le cinéma. De plus en plus de jeux se mettent à intégrer de véritables outils dédiés à la création de séquences, comme le très populaire The Sims 2. The Movies, sorti en 2005, a même pour but la gestion d’un studio de cinéma et la réalisation de petits films.

Cinéaste geek

Pourtant, le processus de production d’un machinima peut être bien éloigné de celui d’un film. Les machinéastes ont ainsi deux méthodes, suivant les possibilités offertes par le moteur du jeu et le but recherché :

- Ils peuvent créer un machinima “en temps réel”. Dans ce cas, comme dans un film classique, il y a tournage. Des joueurs réels contrôlent chacun un personnage, qui sont autant d’acteurs. Ils peuvent enregistrer des dialogues pendant le tournage à l’aide des casques-micros qu’ils utilisent pour les parties multijoueurs, ou bien ceux-ci peuvent être ajoutés en post-production. Un autre joueur tient alors le rôle du caméraman. Le point de vue de son personnage est enregistré sur le disque dur et constituera le rush du film, pour être éventuellement monté plus tard.

Cette méthode collaborative s’apparente à la fois à un tournage de cinéma et à une partie de jeu vidéo, et laisse place à l’improvisation. Elle est par ailleurs un excellent outil d’apprentissage des métiers du cinéma puisqu’elle passe par les mêmes procédés que la production d’un film : écriture, direction d’acteurs, prise de vue, montage… Voici un exemple de machima tourné en temps réel, issu d’une célèbre série :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

 

- La création machinimatographique peut aussi s’affranchir d’un tournage pour être entièrement scriptée. Les personnages comme la caméra obéissent alors aux actions, aux changements de points de vue et aux trajets programmés dans un script informatique qui peut être le fruit d’une collaboration en ligne comme celle d’un seul machinéaste. Et grâce à ces scripts qui décrivent le film, il n’y a pas de rush : il suffit du moteur du jeu et du script pour lire la séquence. Donnant des résultats souvent plus aboutis et spécifique au machinima, cette méthode peut bien entendue être combinée au tournage en temps réel. Voici un machinima scripté utilisant le moteur d’Unreal Tournament.

Bientôt des machinimas dans les salles obscures ?

Il n’en fallait pas plus pour que des artistes contemporains s’emparent de cette nouvelle forme de création, à l’instar de l’américain Eddo Stern. En France, on peut citer Frederic Nakache, Benjamin Nuel ou encore Alex Chan, avec ses machinimas “French Democracy” et “World of Electors”, respectivement sortis à l’occasion des émeutes de banlieue de 2005 et de l’élection présidentielle de 2007. Tous ont sans aucun doute contribué à faire du machinima un moyen d’expression plus complet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

 

Les meilleures oeuvres amateurs sont récompensées dans des festivals selon des catégories très proches de celles du cinéma : meilleure réalisation, meilleure bande son et même… meilleur rôle ! C’est l’Academy of Machinima Art and Science, créée en 2002 aux États-Unis, qui organise le tout premier festival de machinimas. D’abord éclipsé par les conférences sur le jeu vidéo qui les héberge, il essaime finalement d’autres festivals comme le Machinima Expo.

Pour l’heure, l’industrie du cinéma semble n’avoir jeté qu’un oeil timide vers la scène machinima. Steven Spielberg a bien utilisé le moteur du jeu Unreal Tournament pour préparer le tournage de son film I.A.. On a vu, ça et là, des machinimas issus de Second Life dans des téléfilms. Les plans aériens de Los Angeles dans Collateral (2004) semblent clairement inspirés par les vues omnipotentes des machinimas de GTA, et la séquence en vue FPS de Kick Ass (2010) en est un hommage encore plus évident. Mais la plus célèbre utilisation d’un machinima par l’industrie hollywoodienne n’est sans doute que celle de l’épisode mythique de South Park consacré à World of Warcraft. Car si la scène machinima est de plus en plus poreuse aux autres arts, elle ne reste encore aujourd’hui qu’un prolongement du jeu vidéo. Pour peu de temps encore.


illustration capture d’écran par Laurence Simon (CC-by)

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Le gameplay, médium du prochain siècle? http://owni.fr/2010/12/01/le-gameplay-medium-du-prochain-siecle/ http://owni.fr/2010/12/01/le-gameplay-medium-du-prochain-siecle/#comments Wed, 01 Dec 2010 13:19:10 +0000 Adrien Carpentier http://owni.fr/?p=37537 Si une énième exposition Titien vs. Picasso vous fait bailler d’ennui, allez traîner vos basques au Palais de la découverte à Paris. Vous tomberez sur une exposition consacrée à l’escrime et destinée aux enfants. On peut y essayer chacune des trois armes de l’escrime, analyser des combats en vidéo et même s’essayer à quelques mouvements. Et comme votre adversaire sera probablement un enfant, il vous sera très facile de le battre.

Link fait preuve d'un certain talent d'escrimeur

Mais l’exposition insiste surtout sur « les valeurs véhiculées par l’escrime », à savoir le respect, la maîtrise de soi, l’harmonie du corps et de l’esprit. Bien qu’aucune des trois n’interdise d’empaler un petit enfant sur votre fleuret, on peut être surpris qu’un sport puisse « transmettre des valeurs » à l’instar d’une œuvre d’art ou d’un objet culturel. Pas seulement parce que l’expression sonne comme celle de votre grand-père en échange d’un Werther’s Original, mais surtout parce que les réflexes, l’habileté, les compétences physiques et tactiques ne semblent pas, à priori, être de bons médias, voire des médias tout court. On peut facilement admettre et trouver des exemples au fait qu’un livre change le monde. Regarder un film, lire, c’est ouvrir un port de communication avec l’extérieur. Mais suer ?

Le jeu vidéo est d’abord un jeu, et son cœur est le gameplay

La même question se pose pour le jeu vidéo. Car le jeu vidéo, avant d’être le seul vrai support « multimedia », pour employer le terme le plus galvaudé de tous les temps, est d’abord un jeu. Un défi tactique ou physique. Pas loin, au fond, du jeu du cowboy et des indiens auquel jouent Quick et Flupke dans un terrain vague. Créer un jeu , c’est créer un univers, c’est-à-dire des règles, des lois. Se prendre pour Dieu. Mais ces règles, à part contraindre et pousser à la performance, peuvent-elles servir à exprimer quelque chose, à transmettre du sens ?

Enlevez à un jeu vidéo ses graphismes, ses dialogues, son scénario, ses effets sonores et sa musique, qui sont chacun autant de médias classiques aux mécaniques culturelles déjà bien rodées et disséquées. Il ne vous restera que ce qui fait qu’un jeu vidéo est un jeu : le gameplay.

Le gameplay, c’est la mécanique d’interaction entre le joueur et le programme. Ce sont les règles du jeu, les réactions du programme au sollicitations du joueur sur son clavier, sa souris, son pad, ou lorsqu’il bouge ses fesses devant un capteur infrarouge. C’est le fait que Mario court lorsque vous appuyez sur B, saute lorsque vous appuyez sur A, et qu’il tombe dans un trou ou se prenne une carapace en plein poire lorsque vous ne coordonnez pas correctement ses mouvements. Sans cette mécanique intrinsèque, ses règles, le jeu vidéo n’est qu’un film, une œuvre musicale ou un livre électronique.

Ne gardez que le gameplay, donc. Et bien, lui aussi nous parle. Ce sont paradoxalement les premiers adversaires du jeu vidéo, sortes d’animaux préhistoriques partouzeurs de droite, qui ont les premiers considéré le gameplay comme un medium puissant, qui peut rendre violent, épileptique et brider la concentration à l’école. Et puis, pour contrer les critiques, les gros studios de jeux vidéo ont à leur tour commandité des études dans lesquelles on lit ici ou là que les joueurs de FPS (first-person shooter, ou jeu de tir subjectif) sont susceptibles de prendre des décisions plus rapidement que les autres, ou que les STR (real-time strategy, ou jeu de stratégie en temps réel) augmentent l’intelligence.

Le gameplay, producteur de sens et d’émotions

Au vu de leurs auteurs, aussi neutres sur le sujet que Jean-Luc Delarue à propos de la cocaïne, on pourrait douter de ces assertions. Pourtant, pensez au jeu de rôle dans lequel vous aviez mis le plus du vôtre : à moins que vous n’y ayez carrément perdu votre vie réelle, n’y a-t-il pas quelque chose d’une quête rôliste dans votre vie ? Et pas seulement lorsque vous allez faire un duplicata du formulaire Cerfa B4452 à la préfecture ! N’y avez-vous pas trouvé une certaine inspiration, une mise en valeur de la responsabilité, de l’engagement, du choix ?

Souvenez-vous maintenant des jeux de plate-forme de votre enfance, sans sauvegarde, où la moindre anicroche vous obligeait à tout recommencer des centaines de fois dans une rage qui aurait mis Joey Starr en déroute. Cela n’a-t-il pas, en y réfléchissant bien, sacrément encouragé votre persévérance ? Appris inconsciemment un certain sens de l’effort ou de l’implication ? A moins que vous ayez au contraire aujourd’hui des difficultés à accepter l’échec, et en rendiez Rick Dangerous responsable ?

Le gameplay peut apporter plus à une œuvre vidéoludique qu’un simple défi à surmonter, mais également sens et émotions, au même titre que le montage pour le cinéma. Celui d’Ico par exemple, ce jeu « chef d’œuvre » – pas moins selon la presse spécialisée – de Fumito Ueda, avait une manière particulière de gérer l’interaction entre le petit héros coiffé à la Jamiroquai et sa jeune amie aux petits cris de jouvencelle. Il s’agissait de la tenir par la main en maintenant la touche R1 appuyée, de la tirer à soi quels que soient les dangers et les autres évènements du gameplay. Comme l’index d’Adam et celui de Dieu dans La Création d’Adam, la touche R1 incarnait dans Ico un lien humain, la peur de perdre un être cher, et devenait le centre de toutes les peurs et les émotions du jeu. Un tableau de Michel-Ange, probablement pas, mais indubitablement un vecteur d’émotions.

Le gameplay de Trackmania, ce jeu de course massivement en ligne à l’esthétique tapageuse, rappelle, lui, par sa furieuse exigence, celui de nos premiers jeux : la trajectoire de course doit être absolument parfaite, sous peine d’un accident qui ruine tous les efforts entrepris. Il faut bien souvent recommencer à zéro le circuit, à tel point que la plus grosse touche du clavier est dédiée à cette fonction. Des classements par ville, par région et par pays mettent ensuite en perspective votre performance. Il y a quelque chose d’olympique dans Trackmania : rarement un jeu vidéo n’aura autant encouragé la ténacité, la persévérance, l’excellence.

Trackmania, un jeu qui ne rend pas que épileptique

Le Gameplay, un médium à part entière

On est cependant confronté au fait que les jeux obéissent encore à une typologie rigide basée sur le gameplay et imposée par l’industrie. Cette classification du jeu vidéo ne favorise pas l’innovation : à l’instar du cinéma, où une comédie romantique qui n’encouragerait pas la monogamie relèverait du paradoxe, le gameplay d’un FPS ne pourra pas dire grand-chose de plus que celui d’un autre FPS. Pour trouver des utilisations signifiantes du gameplay et faire vraiment son intéressant dans les dîners mondains, il faut peut-être déjà aller chercher dans le jeu indépendant. L’un des plus primés du genre, Braid, propose via ses mécaniques uniques de distorsion du temps, une très belle interprétation des théories relativistes d’Einstein. Dans la même veine, le gameplay d’Osmos fait véritablement ressentir l’équivalence énergie-masse et pose des questions pertinentes en thermodynamique.

Il serait temps de traiter le gameplay comme un médium à part entière, comme un outil d’expression pour les créateurs et non comme une fatalité racoleuse que les créateurs ne mettent en place que pour intéresser le joueur aux autres médias. C’est ainsi que le jeu vidéo pourrait le mieux s’émanciper des genres imposés par l’industrie.

Il faudrait peut-être au jeu vidéo des Eisenstein, des Riefenstahl ou des Godard pour qu’on prenne en main la puissance signifiante du gameplay, et qu’on l’utilise pour le meilleur et pour le pire. Les WiiMote, Kinect et PS3 move seront peut-être leurs futurs outils.

>> Illustration FlickR CC : Stéfan, włodi, *n3wjack’s world in pixels, Dunechaser, gnackgnackgnack

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La fin du monde par le jeu vidéo http://owni.fr/2010/11/05/la-fin-du-monde-par-le-jeu-video/ http://owni.fr/2010/11/05/la-fin-du-monde-par-le-jeu-video/#comments Fri, 05 Nov 2010 13:06:52 +0000 Adrien Carpentier http://owni.fr/?p=34491 Connaissez-vous le paradoxe de Fermi ? Il provient d’une question basique, posée par Enrico Fermi à ses collègues au laboratoire de Los Alamos en 1950, entre deux chaleureux essais nucléaires :

Pourquoi diantre n’avons-nous jamais détecté de signes d’activité extraterrestre dans l’Univers ?

À première vue, on peut trouver la question étrange. Beaucoup répondront ce que leur prof de biologie leur a répété au collège : “la vie est un évènement rare, qui avait une chance infime de se produire”. On a eu un bol de cocu, en somme.

En disant ça, le prof de biologie admettait à peu près croire au Dieu qui a foutu Galilée au cachot. Pour la grande majorité des scientifiques, la question est si pertinente qu’elle mérite le nom d’un des plus grands physiciens de l’histoire, de nombreux ouvrages et un article dans Wikipedia plus long que celui sur Britney Spears.

Un million de civilisations détectables dans notre galaxie ?

Résumons modestement un demi-siècle de thèses d’astrophysique, d’exobiologie et de cosmologie en quelques lignes.

Sachant qu’une galaxie comme la nôtre contient un nombre d’étoiles de l’ordre de 100 milliards, et que les astronomes estiment à quelques centaines de milliards le nombre de galaxies dans l’Univers, on peut imaginer que le nombre total d’étoiles dans l’Univers est de l’ordre de… 10 000 milliards de milliards d’étoiles, pour lesquelles on connait assez bien la probabilité d’héberger une planète habitable. Facile pour l’instant, bande de newbies cosmologues.

Plus dur cette fois : il s’agit de prendre en compte la probabilité d’existence de planètes hébergeant une forme de vie autour d’étoiles, la probabilité qu’une forme de vie devienne intelligente, qu’une vie intelligente devienne détectable, et la période de temps pendant laquelle une civilisation est détectable. Vous y êtes ? Non ?

C’est pas grave, beaucoup l’ont fait avant vous sous le nom d’«équations de Drake ». Et même si ces quatre probabilités ne peuvent cette fois être que des chiffres subjectifs biaisées par le principe anthropique, en prenant en compte des estimations très pessimistes, beaucoup de scientifiques obtiennent un nombre élevé de civilisations ayant émis des signaux détectables dans notre propre galaxie. Pour certains, jusqu’à un million.

Pourtant on ne croise pas des aliens tous les jours

En toute logique, cela devrait faire un bon bout de temps que l’humanité se saoule dans les bars bras-dessus bras-dessous avec les aliens, et croule sous de gros blockbusters produits par des extraterrestres, démolissant notre cinéma d’auteur terrien. Or, le célèbre programme SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), qui scanne l’Univers un peu partout à la recherche d’ondes artificielles de différentes fréquences depuis un demi-siècle humain, ne capte que dalle. Pas l’ombre ni l’odeur d’un pet extraterrestre.

L’une des hypothèses de notre problème est donc nécessairement fausse. Partant de ce constat, beaucoup de théories amusantes, voire effrayantes, s’affrontent depuis longtemps pour remettre en question l’une des hypothèses, souvent dans de jouissives collusions entre science et science-fiction.

On peut par exemple imaginer qu’une loi inconnue stipule que chaque civilisation a une durée de vie très courte, nettement plus que ce que l’on a considéré. Soit des phénomènes naturels arrivent toujours suffisamment fréquemment pour détruire ou remettre à zéro l’état d’une civilisation avant qu’elle ait le temps de s’étendre, soit de par leur nature, elles finissent par s’autodétruire systématiquement. Elles s’auto-nukent, en somme.

Mais on peut aussi formuler une hypothèse qui aurait beaucoup plus plu à Philip K. Dick. Et si les civilisations, au bout d’un temps d’avancement technologique suffisant, créaient systématiquement des mondes plus riches que la réalité ? Dans ce cas, ne serait-il pas raisonnable de penser que tout civilisation finit par se désintéresser de ladite réalité, préférant évoluer dans un monde qu’elle aurait créé, plutôt que d’explorer le monde réel ? Ces civilisations pourraient s’être organisées de manière à pouvoir survivre uniquement dans le but de faire exister ce monde virtuel. Ou bien cela sonnerait un jour ou l’autre, inévitablement, le glas de leur destruction. De quoi, dans tous les cas, expliquer leur absence remarquée dans nos contrées.

Le jeu vidéo mettra peut être fin à notre monde réel

Le jeu vidéo tel que nous le connaissons actuellement n’est, si l’on en croit cette hypothèse, qu’une expérimentation extrêmement primitive de notre futur monde. Mais ce jeu vidéo serait aussi le début de la fabrication de l’arme du crime, celle qui mettra fin au monde réel. Sacrebleu, cela présage de problèmes éthiques autrement plus costauds que de futiles histoires d’euthanasie ou d’avortement.

Pour savoir à quel point nous sommes loin du Jeu Vidéo Ultime, nous pourrions calculer la complexité de notre monde et éventuellement la comparer à celle de nos fades mondes numériques actuels. Nous connaissons déjà l’ordre de grandeur du nombre d’atomes dans notre Univers (environ 1080), mais les atomes ne constituent pas la quantité minimale d’information. Pour comparer à nos ordinateurs, il faudrait plutôt considérer notre Univers comme une grande machine à calculer binaire, et compter la quantité d’information stockée, et calculée, à chaque instant. En posant quelques hypothèses ésotériques, Seth LLoyd, professeur au MIT, s’est amusé à le faire, et obtient 10120 opérations binaires par cycle dans l’Univers, traitant 1090 bits de matière.

En 2008, les serveurs de Blizzard qui hébergent le jeu massivement en ligne « World of Warcraft », stockaient 1,3 petaoctets de données, soit 1016 bits. Quant aux ordinateurs les plus puissants du monde, ils traitent 1012 opérations par seconde.

Je vous souhaite une excellente vie réelle.

>> Illustrations FlickR CC : Alex Dram, x-ray delta one

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Cette illustration de Zach Weiner (publiée avec son autorisation) n’est pas en Creative Commons

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