Urban After All S01E04 – Flirt urbain, graffitis sexuels et géolocalisation

Le 14 février 2011

Des petites annonces (coquines) laissées dans les toilettes publiques aux services de géolocalisation (chastes), la ville est traditionnellement un lieu de rencontres amoureuses.

Toute bonne journée de Saint Valentin ne doit pas occulter que la consécration du couple passe d’abord par des rencontres. Et la découverte, le frottement, la mise en relation… ce sont bien des questions pour Urban After All !

Par sa capacité à concentrer beaucoup de monde dans un même espace, la ville est certainement un environnement de choix pour maximiser les découvertes et les rencontres. On pense évidemment à la ville business (faire des affaires), commerçante (acheter, échanger) ou se cultiver. Mais les rencontres amoureuses et ses avatars plus évasifs ou moins “profonds” (du “public sex” au sexe tarifé) sont clairement une composante urbaine à ne pas négliger, comme Philippe le montrait il y a deux semaines.

Pour l’observateur de la ville attaché à ces petits détails qui échappent à l’attention, les rencontres amoureuses ou à caractère sexuelles sont un sujet évidemment très riche. C’est particulièrement la manière dont certains “se signalent” aux autres qui m’intéresse ici : clins d’oeil à la sauvette ou sifflements dans la rue sont des exemples classiques, voire éculés et en général rarement couronnés de succès. Mais il y a plus intriguant et surtout plus direct dans des messages moins visibles. Je pense notamment aux graffitis dans les toilettes publiques (exemple millénaire) et l’utilisation des services géolocalisés.

La planification du 5 à 7 : us et coutumes

De par leur caractère public et donc fortement “multi-usagers”, les toilettes en ville permettent bien plus que se soulager en pleine journée de vadrouille. Une des fonctionnalités connexes des “WC”, c’est de pouvoir s’extirper de l’espace public… et de se livrer à toutes sortes d’activités contraintes par la taille des lieux, l’hygiène locale et éventuellement la bienséance. Et l’un des usages indirects des toilettes, c’est certainement la possibilité de laisser des messages sur les murs ou sur la porte. Vieux comme le monde, les graffitis dans les toilettes restent une valeur sûre pour crier sa haine de l’autre, tester ses compétences de graffers wannabee ou encore témoigner d’un fort besoin de sexualité… à défaut d’amour.

Il est donc courant de lire des messages hyper concis accompagnés d’un numéro de téléphone ou d’une proposition de rendez-vous. Comme le montre l’exemple ci-dessus, les règles sont claires et la proposition sans équivoque. Sans vouloir généraliser à partir de ce cas, il y a une constante assez basique qui consiste à indiquer : le QUAND de la rencontre, plutôt précis dans le cas présent, le OU de l’activité, des précisions sur COMMENT se reconnaître et évidemment quelques critères de choix témoignant des goûts du personnage. On notera l’utilisation des majuscules qui mettent l’emphase sur les possibilités offertes… L’expression écrite est ainsi claire, rapide, directe et parsemée de détails évocateurs parfois crus. Attention les porteurs d’enveloppes de la rue Pierre Corneille !

Des messages de ce genre sont légions et méritent que l’on s’y attarde. Pourquoi ? Tout simplement car ils montrent l’invisible de la vie urbaine. Ils nous rappellent qu’entre 15h et 15h15 dans la rue Pierre Corneille à Lyon, il y a une véritable pièce de théâtre qui se met en place. Et cette scène qui aura lieu ou non, je ne veux pas la juger positivement ou négativement. Il faut juste garder en tête que cela a lieu, et que ce type d’activité fait aussi partie de la complexité des dynamiques sociales.

Les toilettes publiques, hérauts des “liaisons numériques” ?

Comme les diplomates avec WikiLeaks, comme l’industrie musicale avec Napster et les fichiers torrent, le graffiti de chiottes se voit chamboulé par les technologies de l’information et la communication. Sans passer en revue toutes les possibilités, l’observateur de la ville numérique d’aujourd’hui ne peut passer à côté de plateformes telles que Grindr. Ce service géolocalisé sur smartphoneest dans la lignée de Google Latitude, Foursquare ou Facebook Places : il indique qui est à proximité, parmi vos contacts ou des inconnus.

Plus direct que les trois susmentionnés, nul besoin de vous créer un compte sur Grindr pour arriver à cela, dès le clic sur l’icône de l’application, celle-ci vous renvoie sur un menu qui propose un tableau de photos de torses masculins plus ou moins bodybuildés… sur lesquels faire un choix pour rentrer en contact. Finalement, plus besoin d’aller dans les toilettes, le système vous géolocalise même sans créer de compte. Il vous renseigne alors sur les “opportunités” à proximité. Il existe évidemment d’autres plate-formes de ce genre et des services communautaires mobiles moins ciblés sont aussi détournés pour ce genre d’application (Aka-Aki par exemple).

D’autres plateformes tâchent aussi de reprendre l’idée de géolocaliser des messages dans la ville, en associant des contenus à des lieux. L’utilisateur passant à proximité reçoit alors le dit message. L’avènement de l’Internet mobile et des technologies de géolocalisation nous amène donc vers une diversité encore plus forte de liaisons numériques pour reprendre le terme fort à propos de mon collègue Antonio Casilli.

Mais du coup, du graffiti baveux à l’interface tactile du téléphone, qu’est-ce qui change ? Sans vouloir nécessairement généraliser à partir de ces deux exemples, il y a tout de même des éléments de réponses qui sont intéressants tant au sujet de l’urbanité qu’au niveau des usages du numérique.

En premier lieu, ce qui frappe, c’est la possibilité de ne plus limiter les signaux de rencontre à l’espace des toilettes. Des petites annonces au Minitel en passant par les messages géolocalisés, la technologie permet d’accéder à la porte des chiottes depuis tout lieu couvert par le réseau. Ce qui ne veut pas dire que les toilettes en question ne seront plus couvertes de graffiti ou oubliées comme lieu d’ébat. Et ce n’est seulement le rapport à l’espace qui change, c’est aussi la temporalité puisque le service est utilisable à tout moment.

Au-delà de cette remarque, le cas de Grindr témoigne d’un lissage de la signalisation de la rencontre. La présence de torses musclés devient le produit d’appel plutôt standardisé. Comme une certaine marque en forme de pomme ne laisserait pas passer des contenus trop crus, le service adopte une espèce de pudeur visuelle.

Enfin, et c’est un cas classique pour ceux qui s’intéressent à l’innovation technologique, le sexe est un des contextes majeurs de ré-appropriation ou de détournement de technologies existantes. Par sa possibilité de discrétion, d’optimisation de la mise en relation et sa capacité à fluidifier la circulation d’information, le numérique recèle des opportunités de taille… rapidement comprises par des early adopters qui savent ainsi proposer des usages innovants à la hauteur de leur besoins antérieurs. Si je me pose des questions sur l’adoption des services géolocalisés par la majorité de la population, il est clair que des “niches” telles que celle-ci ont déjà des utilisateurs réguliers.

Sur ce, bonne Saint Valentin !


[ Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-)

Note : Nicolas Nova est l’auteur de Comprendre les médias géolocalisés, publié chez FYP Editions.

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Crédits photo CC FlickR : nicolasnova

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